C’est l’histoire d’un plein emploi qui ne reviendra pas et de l’action de son fantí´me sur les vies aujourd’hui.
C’est l’histoire d’étranges institutions pour lesquelles ce plein emploi qui n’existe pas vaut í la fois boussole et centre de gravité ; l’histoire d’un Pí´le emploi qui désigne les chí´meurs comme des « candidats ». Candidats í quoi ? í€ l’emploi bien sí »r.
Et tout ce qui excí¨de ce rí´le assigné sera susceptible de sanction, de mépris, d’éviction, de correction, de procí¨s.
C’est l’histoire de la participation obligée í un jeu délétí¨re dont personne ne connait les rí¨gles [1] et celle d’un Pí´le emploi qui, pour mener ce jeu, inculquer les comportement concurrentiels que chacun devrait reproduire pour décrocher la timballe tant espérée, endosse les rí´les nécessaires au déploiement d’un théí¢tre si quotidien que les tragédies qui s’y jouent passent d’ordinaire inaperí§ues ; l’histoire d’un juge des comportements des chí´meurs qui est aussi l’un des bourreaux de leurs déviances, d’un arbitre des « droits » de ses sujets qui organise dans le míªme temps l’existence de ses « candidats », de l’un des animateurs d’une disponibilité í l’exploitation que l’on voudrait sans bornes et incarnée en chacun [2] ; l’histoire d’un Pí´le emploi, agent instructeur d’un procí¨s sans fin, toujours recommencé, sauf í disparaí®tre, radié, « découragé » - comme ils le disent de ceux qui ne s’inscrivent ou ne pointent plus faute d’y trouver un quelconque intéríªt (plus de la moitié des chí´meurs, intermittents compris, sont non indemnisés) - ou employé, c’est-í -dire contrí´lé par d’autres instances de la société-entreprise.
C’est l’histoire de ce théí¢tre oí¹ Pí´le met en scí¨ne des « candidats » et qui, par bien des aspects, emprunte sa grammaire aux sinistres divertissements télévisuels qui font actuellement époque, un pauvre théí¢tre de la cruauté oí¹ s’opposent pour un ou des quarts d’heure de célébrité et en vue de l’obtention d’un gain, des anonymes, sélectionnés et destinés í s’éliminer les uns les autres. Pour qui vient du public appelé í jouer ce jeu, pas question de changer les rí¨gles, et, en Pí´le, pas míªme question de prétendre les connaí®tre, voire de les mentionner. Ainsi un chí´meur breton qui affirme ne venir í une convocation de Pí´le emploi que parce que celle-ci est obligatoire sous peine de radiation pourra íªtre menacé de poursuites judiciaires pour « propos désobligeants » [3]. Ne sommes-nous pas la preuve que le plein emploi n’existe pas tandis que cette valeur se doit d’íªtre aussi universelle qu’elle est abstraite ? Nous sommes accusés et nous sommes coupables car nous sommes une injure, intermittente ou prolongée, í cette vache sacrée dont notre steack devrait pourtant dépendre plus étroitement, l’emploi.
Une allocation chí´mage ? Une retraite ? Un congé maladie ? Autant d’abus. On pourchassera la « fraude sociale » [4] car le social est une fraude et l’économie, La loi [5].
C’est l’histoire de précaires qui prétendent faire respecter par Pí´le emploi ses propres rí¨gles en matií¨re d’indemnisation [6] et qui se trouvent accusés et l’un d’eux en procí¨s pour « outrage í la société franí§aise Pí´le emploi » [7] car, selon la plainte d’une de ses directrice, ce RSAste « vient régulií¨rement í notre agence pour se plaindre de la qualité de notre travail » et aurait qualifié les agents d’« incompétents, fainéants, bons í rien ».
C’est l’histoire d’un épisode judiciaire qui a í nouveau démontré l’incompétence du Pí´le, mais cette fois en matií¨re pénale, ce dont on ne saurait que se réjouir.
En effet, l’outrage í personne morale n’existe pas en droit pénal [8] et il a fallu finalement que ce 13 décembre 2011 une chambre correctionnelle prononce la relaxe. Mais avant cela, puisque l’emploi est sacré et que l’institution qui en est chargé l’est également par extension, la justice aura été saisie du sacrilí¨ge que constitue sa mise en cause.
C’est ainsi que le parquet a voulu imposer, sur la base de l’accusation de Pí´le emploi, un « rappel í la loi » í l’impétrant. Il s’agissait lors d’une convocation au commissariat de lui faire admettre avoir commis un délit d’outrage puis d’inscrire cela í son casier judiciaire et aussi de lui faire rédiger une « lettre d’excuses », sans autre forme de procí¨s.
Refuser cette offre fort peu raisonnable a été qualifié d’« attitude hautaine vis-í -vis des institutions » par un policier de service. Dans la foulée, le parquet a décidé d’un procí¨s. La solidarité des institutions entre elles a prévalu, et patatras... le parquet en a oublié son latin, c’est í dire son code pénal.
Et voilí un procureur contraint de suivre í l’audience les arguments de la défense pour admettre que la qualification d’outrage í Pí´le emploi était « fragile », sans plus pouvoir requérir quelque peine que ce soit. Excí¨s du pouvoir : Pí´le emploi est en charge de gouverner les conduites [9] des chí´meurs et des salariés, et la mission est si importante pour l’ordre social que police et parquet sont eux aussi conduits... jusqu’í leur seuil d’incompétence, jusqu’í ce que par cette relaxe, Pí´le emploi, le parquet et la police soient rappelés í une loi.
C’est l’histoire d’une décision de relaxe du chef d’outrage í Pí´le emploi par la 10e chambre correctionnelle. Et si la police et le parquet se sont eux aussi montrés « incompétents », la justice n’est, elle, pas tout í fait « bonne í rien » puisque cette relaxe, de par son motif, n’a pas permis d’aller au fond de la question qui fut posée lors de cette audience comme elle l’est dans les Pí´le et ailleurs : est-il possible de critiquer le travail de l’administration sans encourir des poursuites pénales ? Est-il loisible pour qui dépend matériellement d’une institution de mettre en cause ses décisions, ses procédures, son dédain pour les administrés, le traitement qui lui est infligé ? Risque-t-on davantage qu’une radiation [10], un prélí¨vement d’« indu » [11], un emploi contraint, un stage obligatoire et non payé [12], une minoration de ses droits lorsque l’on a affaire í Pí´le emploi et peut-on, si l’on en conteste les actes, íªtre poursuivi et condamné au pénal ?
C’est probablement l’histoire í venir, et qui sera celle de n’importe lequel de ces salarié confrontés au chí´mage comme nous le sommes tous désormais, de poursuites judiciaires qui seront sans doute mieux bricolées.
Il sera alors utile de disposer des éléments de jurisprudence qui n’ont pas été cette fois étudiés par le tribunal quant í cette possibilité de critiquer le travail des administrations. Voilí pourquoi nous joignons í ce texte le jugement de la Cour d’Appel de PARIS (26 janvier 1996, 020247), étayée sur l’Arríªt de la Cour de Cassation du 10 aoí »t 1899, chambre criminelle : « il faut distinguer la critique de l’action politique et administrative et, d’autre part, l’attaque personnelle contre le représentant de la puissance publique. Dans le 1er cas, les tribunaux devront appliquer la loi du 29 juillet 1881 [sur la liberté de la presse] et, dans l’autre, l’outrage réprimé par le Code Pénal. »
L’histoire continue...
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