Le non-recours aux droits sociaux [1], c’est quoi ? une forme d’austérité autogérée ?
Une récente évaluation du RSA, résumée ci-dessous par un article du Canard Enchaí®né, réví¨le l’ampleur du non-recours í cette prestation. Pour les 5,3 milliards d’€ d’économie réalisés chaque année, le gouvernement devrait remercier toutes ceux qui ne passent pas par la case d’un RSA auquel ils auraient pourtant droit... Mais il a mieux í faire et encourage ce prudent retrait du social.
On connait la rengaine,l’économie c’est la LA loi. Disposer d’une pension de retraite, prendre un arríªt de travail, sont autant d’abus. Car lorsque le chí´mage n’est plus l’envers du travail mais l’un de ses moments, le social c’est le vol.Les campagnes de dénonciation et de chasse í la « fraude sociale » présentent bien des avantages. Elle permettent de diviser les salariés, au chí´mage ou/et en poste alors que la catégorie des « chí´meurs en activité í temps réduit » qui dépendent í la fois d’allocations et de salaires issus de l’emploi est de plus en plus peuplée, que plus personne ne sait oí¹ serait la frontií¨re, que chacun est appelé í passer par le chí´mage, l’emploi discontinu.
Nous sommes bien gouvernés [2], conduits, capturés. Mais alors, comment respirer [3] lorsque l’on est plongé dans les eaux glacées du calcul égoí¯ste ?
Ces salauds de pauvres qui boudent le RSA
Ils sont 1,6 million de fauchés qui renoncent í affronter les démarches pour le toucher. Soit par découragement, soit par manque d’information... soit par choix.
Le discours sur le « cancer » des assistés va prendre du plomb dans l’aile : Non, les pauvres ne pompent pas les finances de l’Etat jusqu’í la moelle. C’est le trí¨s officiel rapport du Comité national d’évaluation sur le RSA, remis ce 15 décembre í Roselyne Bachelot, qui le démontre. Plus de 1 million de foyers qui vivotent avec quelques heures de boulot et pourraient donc toucher un complément de salaire via le RSA « activité » ne le réclament pas. Un million ! Soit les deux tiers des ayants-droit qui regardent passer les plats.
Idem pour les chí´meurs en fin de droit. Ils sont 1,8 million qui ne bossent pas du tout et pourraient bénéficier d’un RSA complet. Mais plus d’un tiers - 650.000 - ne le demandent pas. Et ils y perdent : pas vraiment gloutons, ces pauvres laissent ainsi filer 249 euros par mois en moyenne. « On est loin du discours selon lequel les gens grappillent un maximum d’aides », ironise Nicole Maestracci, représentante des associations au sein du Comité national d’évaluation.
Bande d’ingrats
Principale raison de ce manque d’entrain : le RSA est une sacrée usine í gaz, pas bien connue et beaucoup plus compliquée que le RMI, qu’il a remplacé en 2009. La moitié des travailleurs précaires ne savent pas qu’ils peuvent cumuler boulot et RSA, réví¨le le rapport. L’étude est carrée : 3.500 personnes ont été interrogées individuellement. Et les résultats sont plutí´t décoiffants.
Parmi les nombreux foyers qui ne réclament rien, beaucoup ne le font pas par ignorance mais par choix. Quatre sur dix préfí¨rent « se débrouiller autrement ». Et prí¨s de 30% d’entre eux y renoncent « par principe » [4], parce qu’ils n’ont « pas envie de dépendre de l’aide sociale ou de devoir quelque chose í l’Etat » [5]. Un chiffre pas franchement claironné par nos politiques.
Avec tout í§a, l’í‰tat fait de jolies économies : 5,3 milliards d’aides non distribuées en 2010 ! « C’est une économie sur le dos des pauvres », rí¢le Martin Hirsch, l’inventeur du dispositif. Il réclame « une vaste campagne d’information », mais l’í‰tat n’est pas pressé. Le RSA a coí »té 7 milliards l’an dernier. Alors, ajouter 5 milliards en temps de crise...
Les auteurs du rapport, eux, se grattent la tíªte. Si le RSA est boudé en raison d’« un faible intéríªt pour l’allocation » ou « un refus de principe », écrivent-ils, « une meilleure information, pour souhaitable qu’elle soit, ne suffira pas í résoudre le problí¨me ». Salauds de pauvres qui refusent d’íªtre aidés !
Formulaires de rien
« On sent chez les gens une lassitude í faire des démarches et í íªtre stigmatisés », note le sociologue Philippe Warin qui a créé l’Odenore, un groupe d’études sur ce phénomí¨ne de « non-recours » í l’assistance sociale.
Car le RSA n’est pas la seule prestation dédaignée. Trop compliquées ou mal connues, un tas d’autres aides ne sont pas réclamées. Ce phénomí¨ne, ignoré, est tellement fréquent que l’Observatoire national de la pauvreté y consacrera un colloque le 12 mars prochain. Le talent de nos tíªtes pensantes í monter des labyrinthes administratifs est en effet infini. Et décourageant í souhait. Prí¨s de 400.000 personnes qui pourraient avoir droit í une couverture complémentaire gratuite (CMU-C) s’en dispensent. Pour l’aide í l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS), c’est encore mieux : 80% de non-réclamations. Idem pour les tarifs sociaux du gaz ou de l’électricité.
Les fauchés ne se pressent pas non plus aux guichets des caisses d’allocations familiales (CAF) : « Pour 1 euro de fraude, il y a 3 euros de rappel de prestations non versées au départ », souligne Philippe Warin. Et ces rappels ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan des prestations í jamais perdues. « Du coup, on a du mal í sensibiliser les collectivités ou l’administration sur le sujet. Ils nous disent : « Ouh la la ! í§a va faire mal au budget ! » » Mieux vaut continuer de noyer les allocataires sous des montagnes de formulaires.
Depuis 2009, les CAF [6] passent au peigne fin 10.500 dossiers par an pour détecter les fraudes [7]. « On pourrait en profiter pour repérer les allocations non réclamées [8] explique notre sociologue. Mais la Caisse nationale a refusé. » La chasse aux fraudeurs, c’est beaucoup plus porteur.
Isabelle Barré
Le Canard Enchaí®né
í‰cart et bouts de ficelles : Voler, c’est frauder.