Chroniques de permanences #4
Alisha a 27 ans, une fille trí¨s mignonne et un mari un peu pénible. Elle a obtenu une protection de la France, et elle a commencé í venir dans mon bureau, comme des centaines d’autres par années, pour un problí¨me de CAF : ils avaient arríªté sans raison de lui verser sa prime d’accueil pour jeune enfant.
On a fait des courriers, et des recommandés, fait des visites. On a passé plein d’appels, pendant que sa fille dessinait í l’indélébile sur toutes les tables jaunies du Secours Catholique. On aurait presque pu devenir copines, avec le temps passé í meubler pendant que la musique d’attente de la CAF nous faisait patienter, avant d’entendre í chaque fois que son argent allait arriver.
Alisha est une femme décidée. Epuisée, mais décidée í y arriver. Elle aimerait vraiment travailler, mais ne trouve pas de place en crí¨che. Elle aimerait travailler, parce qu’en l’absence de l’argent de la CAF, elle doit demander et justifier chaque euro qu’elle dépense auprí¨s de son mari. On a fait son CV ensemble une fin d’aprí¨s-midi, aprí¨s une permanence, parce qu’elle ne trouvait personne pour l’aider. Le Pí´le Emploi lui avait dit que le sien était moche, pas assez professionnel, et l’avait laissée lí , avec sa feuille dans les mains, sans lui dire autre chose.
Elle m’a raconté ses expériences, qu’on a enrobées avec des mots qui la rendait employable. Au détour de la discussion, je me suis rendue compte que sa dernií¨re expérience, c’était d’avoir été aide í domicile. Avec des conditions un peu particulií¨res. Deux ans, sans pouvoir sortir, en mangeant les restes qui trainaient pendant que sa patronne dormait, sans passeport, sans clé.
Alisha s’est enfuie un jour de vacances en France. Moi je la regarde, assise bien droite dans mon bureau, et je pense í tout ce qu’elle m’a déjí raconté. Elle se marre, parce qu’elle voit bien mon malaise, mon sourire qui s’est crispé, mes mains qui continuent í enrober tout í§a pour son CV. « It is ok now madam, it is finish you know ». Son rire me contamine, on continue, l’atmosphí¨re est moins lourde, sa fille a recommencé í jouer.
Le lendemain j’ai rappelé la CAF. Ca faisait quatre mois. Quand la dame m’a dit qu’elle ne pouvait pas me parler car Madame Alisha n’était pas avec moi j’ai haussé le ton. Ah í§a ! í§a dérange personne í la CAF de m’appeler moi pour me donner les informations concernant son dossier. D’éviter le dialogue avec la personne qui n’a pas été payée depuis quatre mois et qui parle mal franí§ais. Par contre, aujourd’hui, je passe pour une vieille totalitaire qui enfreindrait le droit í la vie privée des allocataires. Je hurle donc. La conseillí¨re attend patiemment que í§a passe et me dit, comme í chaque appel, que l’argent va íªtre débloqué trí¨s vite. Je lui explique que je doute, vu qu’í mon dernier appel, la technicienne m’avait expliqué qu’ils avaient mis ma lettre dans la chemise verte au lieu de violette, et que c’était pour í§a que í§a n’avait pas été traité. Que je n’ai pas l’air con moi, de devoir expliquer í§a í Alisha. Que si elle galí¨re, c’est pas parce que la CAF veut faire des économies mais c’est í cause de la chemise en carton verte.
í‡a m’a fait penser í mon collí¨gue qui, un jour d’embrouille avec le Pí´le Emploi, leur avait hurlé qu’il ne fallait pas s’étonner que les gens s’immolent devant leurs agences. Ce qui nous avaient fait marrer, mon collí¨gue et moi, c’était la réaction de la conseillí¨re : « monsieur, nous ne tolérons aucune violence verbale í Pole Emploi ». Mais annoncer í une personne qu’elle ne boufferait pas pendant 3 mois, c’était pas violent ? Ah, ce fameux double standard de la violence.
Aujourd’hui, Alisha s’est trompée de destinataire et m’a envoyé un texto. Aujourd’hui, Alisha a écrit qu’elle voulait se suicider. On a parlé, et j’ai écrit un autre recommandé, plein d’articles de loi et de menaces. Alisha a obtenu ses allocations, plus de 10 mois aprí¨s leur coupure.
12 aoí »t 2016
Source : http://marciawanders.tumblr.com/pos...