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Outragé, Pôle emploi mord la poussière

Publié, le mardi 13 décembre 2011 | Imprimer Imprimer |
Dernière modification : samedi 28 février 2015


C’est l’histoire d’un plein emploi qui ne reviendra pas et de l’action de son fantôme sur les vies aujourd’hui.

C’est l’histoire d’étranges institutions pour lesquelles ce plein emploi qui n’existe pas vaut à la fois boussole et centre de gravité ; l’histoire d’un Pôle emploi qui désigne les chômeurs comme des « candidats ». Candidats à quoi ? À l’emploi bien sûr.
Et tout ce qui excède ce rôle assigné sera susceptible de sanction, de mépris, d’éviction, de correction, de procès.

C’est l’histoire de la participation obligée à un jeu délétère dont personne ne connait les règles [1] et celle d’un Pôle emploi qui, pour mener ce jeu, inculquer les comportement concurrentiels que chacun devrait reproduire pour décrocher la timballe tant espérée, endosse les rôles nécessaires au déploiement d’un théâtre si quotidien que les tragédies qui s’y jouent passent d’ordinaire inaperçues ; l’histoire d’un juge des comportements des chômeurs qui est aussi l’un des bourreaux de leurs déviances, d’un arbitre des « droits » de ses sujets qui organise dans le même temps l’existence de ses « candidats », de l’un des animateurs d’une disponibilité à l’exploitation que l’on voudrait sans bornes et incarnée en chacun [2] ; l’histoire d’un Pôle emploi, agent instructeur d’un procès sans fin, toujours recommencé, sauf à disparaître, radié, « découragé » - comme ils le disent de ceux qui ne s’inscrivent ou ne pointent plus faute d’y trouver un quelconque intérêt (plus de la moitié des chômeurs, intermittents compris, sont non indemnisés) - ou employé, c’est-à-dire contrôlé par d’autres instances de la société-entreprise.

Occupation du siège de Pôle emploi le 3 mai 2010

C’est l’histoire de ce théâtre où Pôle met en scène des « candidats » et qui, par bien des aspects, emprunte sa grammaire aux sinistres divertissements télévisuels qui font actuellement époque, un pauvre théâtre de la cruauté où s’opposent pour un ou des quarts d’heure de célébrité et en vue de l’obtention d’un gain, des anonymes, sélectionnés et destinés à s’éliminer les uns les autres. Pour qui vient du public appelé à jouer ce jeu, pas question de changer les règles, et, en Pôle, pas même question de prétendre les connaître, voire de les mentionner. Ainsi un chômeur breton qui affirme ne venir à une convocation de Pôle emploi que parce que celle-ci est obligatoire sous peine de radiation pourra être menacé de poursuites judiciaires pour « propos désobligeants » [3]. Ne sommes-nous pas la preuve que le plein emploi n’existe pas tandis que cette valeur se doit d’être aussi universelle qu’elle est abstraite ? Nous sommes accusés et nous sommes coupables car nous sommes une injure, intermittente ou prolongée, à cette vache sacrée dont notre steack devrait pourtant dépendre plus étroitement, l’emploi.
Une allocation chômage ? Une retraite ? Un congé maladie ? Autant d’abus. On pourchassera la « fraude sociale » [4] car le social est une fraude et l’économie, La loi [5].

C’est l’histoire de précaires qui prétendent faire respecter par Pôle emploi ses propres règles en matière d’indemnisation [6] et qui se trouvent accusés et l’un d’eux en procès pour « outrage à la société française Pôle emploi » [7] car, selon la plainte d’une de ses directrice, ce RSAste « vient régulièrement à notre agence pour se plaindre de la qualité de notre travail » et aurait qualifié les agents d’« incompétents, fainéants, bons à rien ».

C’est l’histoire d’un épisode judiciaire qui a à nouveau démontré l’incompétence du Pôle, mais cette fois en matière pénale, ce dont on ne saurait que se réjouir.
En effet, l’outrage à personne morale n’existe pas en droit pénal [8] et il a fallu finalement que ce 13 décembre 2011 une chambre correctionnelle prononce la relaxe. Mais avant cela, puisque l’emploi est sacré et que l’institution qui en est chargé l’est également par extension, la justice aura été saisie du sacrilège que constitue sa mise en cause.
C’est ainsi que le parquet a voulu imposer, sur la base de l’accusation de Pôle emploi, un « rappel à la loi » à l’impétrant. Il s’agissait lors d’une convocation au commissariat de lui faire admettre avoir commis un délit d’outrage puis d’inscrire cela à son casier judiciaire et aussi de lui faire rédiger une « lettre d’excuses », sans autre forme de procès.
Refuser cette offre fort peu raisonnable a été qualifié d’« attitude hautaine vis-à-vis des institutions » par un policier de service. Dans la foulée, le parquet a décidé d’un procès. La solidarité des institutions entre elles a prévalu, et patatras... le parquet en a oublié son latin, c’est à dire son code pénal.
Et voilà un procureur contraint de suivre à l’audience les arguments de la défense pour admettre que la qualification d’outrage à Pôle emploi était « fragile », sans plus pouvoir requérir quelque peine que ce soit. Excès du pouvoir : Pôle emploi est en charge de gouverner les conduites [9] des chômeurs et des salariés, et la mission est si importante pour l’ordre social que police et parquet sont eux aussi conduits... jusqu’à leur seuil d’incompétence, jusqu’à ce que par cette relaxe, Pôle emploi, le parquet et la police soient rappelés à une loi.

C’est l’histoire d’une décision de relaxe du chef d’outrage à Pôle emploi par la 10e chambre correctionnelle. Et si la police et le parquet se sont eux aussi montrés « incompétents », la justice n’est, elle, pas tout à fait « bonne à rien » puisque cette relaxe, de par son motif, n’a pas permis d’aller au fond de la question qui fut posée lors de cette audience comme elle l’est dans les Pôle et ailleurs : est-il possible de critiquer le travail de l’administration sans encourir des poursuites pénales ? Est-il loisible pour qui dépend matériellement d’une institution de mettre en cause ses décisions, ses procédures, son dédain pour les administrés, le traitement qui lui est infligé ? Risque-t-on davantage qu’une radiation [10], un prélèvement d’« indu » [11], un emploi contraint, un stage obligatoire et non payé [12], une minoration de ses droits lorsque l’on a affaire à Pôle emploi et peut-on, si l’on en conteste les actes, être poursuivi et condamné au pénal ?

C’est probablement l’histoire à venir, et qui sera celle de n’importe lequel de ces salarié confrontés au chômage comme nous le sommes tous désormais, de poursuites judiciaires qui seront sans doute mieux bricolées.
Il sera alors utile de disposer des éléments de jurisprudence qui n’ont pas été cette fois étudiés par le tribunal quant à cette possibilité de critiquer le travail des administrations. Voilà pourquoi nous joignons à ce texte le jugement de la Cour d’Appel de PARIS (26 janvier 1996, 020247), étayée sur l’Arrêt de la Cour de Cassation du 10 août 1899, chambre criminelle : « il faut distinguer la critique de l’action politique et administrative et, d’autre part, l’attaque personnelle contre le représentant de la puissance publique. Dans le 1er cas, les tribunaux devront appliquer la loi du 29 juillet 1881 [sur la liberté de la presse] et, dans l’autre, l’outrage réprimé par le Code Pénal. »

L’histoire continue...

Pourquoi occuper les Pôle emploi ? http://mcpl.revolublog.com/


Notes :

[1Face à l’opacité de l’institution, un élément dont chacun pourrait avoir besoin un jouir ou l’autre Jurisprudence, Pôle Emploi condamné pour insuffisance d’information

[2Voir d’André Gorz, La personne devient une entreprise

[5Et cette loi et sa brutalité se doivent d’être appliquées aussi aux agents salariés du Pôle, avec les techniques de management idoines voir : De l’autre coté du guichet : Pôle Emploi, la violence et l’ennui

[6Voir l’ensemble des témoignages produits lors du procès pour « outrage » du 22 novembre 2011 Outrage à Pôle emploi : Moi, personne quelconque de nationalité de hasard, déclare avoir été témoin des faits suivants

[8Voir ces compte rendus de l’audience du 22 novembre 20011 par la presse Du coeur à l’outrage - Le procès d’un chômeur vire au procès de Pôle emploi

Ni emploi forcé, ni culpabilisation, ni management, grève des chômeurs !

État social actif, ne pas céder sur nos désirs - Choming out

Déprolétarisation et nouvelle prolétarisation - Enquête collective

Dette objective et dette subjective, des droits sociaux à la dette - Enquête collective

Il n’est de pire chômeur que celui qui se fait entendre, MCPL, Rennes

Nous sommes tous des irréguliers de ce système absurde et mortifère - L’Interluttants n°29, hiver 2008/2009

Pour ne pas se laisser faire, agir collectivement :

Permanence d’accueil et d’information sur le régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle
Envoyez questions détaillées, remarques, analyses à cap cip-idf.org

Permanence précarité
Adressez témoignages, analyses, questions à permanenceprecarite cip-idf.org

La coordination a dû déménager pour éviter une expulsion et le paiement de 100 000 € d’astreinte. Provisoirement installés dans un local municipal exigu, nous vous demandons de contribuer activement à faire respecter l’engagement de relogement pris par la Ville. Il s’agit dans les temps qui viennent d’imposer un relogement qui permette de maintenir et développer les activités de ce qui fut un centre social parisien, alors que le manque de tels espaces politiques se fait cruellement sentir.

Pour contribuer à la suite :
• faites connaître et signer en ligne Nous avons besoin de lieux pour habiter le monde.
• indiquez à accueil cip-idf.org un n° de téléphone afin de recevoir un SMS pour être prévenus lors d’action pour le relogement ou d’autres échéances importantes et urgentes.

jugement de la Cour d’Appel de PARIS (26 janvier 1996, 020247)-1
jugement de la Cour d’Appel de PARIS (26 janvier 1996, 020247)-2
jugement de la Cour d’Appel de PARIS (26 janvier 1996, 020247)-3
jugement de la Cour d’Appel de PARIS (26 janvier 1996, 020247)-4
jugement de la Cour d’Appel de PARIS (26 janvier 1996, 020247)- 5
jugement de la Cour d’Appel de PARIS (26 janvier 1996, 020247)- 6



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