Après onze années de conflits, vous venez vous joindre à nous pour nous aider de vos conseils.
Merci Ariane Mnouchkine de venir nous sauver de nous-mêmes, et de notre passion suicidaire.
Il faut cependant que vous sachiez qu’un des grands acquis de notre lutte a été de nous affranchir des grandes figures, des sauveurs suprêmes, des vous-mêmes. Merci donc de nous avoir émancipé de votre tutelle en nous annonçant en 2003 qu’en votant la grève, nous nous tirions une balle dans le pied.
En effet, dans les trois années qui ont suivi 2003, si 30.000 intermittents ont été rattrapés par l’AFT (allocation de fonds transitoire), c’est bien grâce aux grévistes d’Avignon qui ont fait sentir au gouvernement le coût d’un conflit avec des intermittents coordonnés. 30.000 personnes qui ont des allocations pour payer leur loyer, le gaz, l’électricité, cela vous semble négligeable ? À nous, non.
Oui, vous nous avez appris une chose très précieuse : à ne compter que sur nous-même. Pour lire les protocoles Unedic. Pour occuper le Medef. Pour imposer notre présence sur les plateau télé . Pour élaborer ensemble des contre-propositions. Pour accumuler pendant dix ans les propositions et les analyses .
Nous avons aussi appris à être anonyme. À travailler ensemble, patiemment, et sans nous faire un nom sur la misère du monde.
Nous avons avons appris que nous sommes nombreux. Que notre lutte est la même que celle des intérimaires, et que si nous sommes des artistes et des techniciens, nous sommes aussi parfois RSaste, « clients » de Pôle Emploi, en tout cas insérés dans une lutte où les droits sociaux que nous défendons ne sont pas des privilèges, mais des droits, et donc revendiquables par tous.
Nous savions depuis longtemps que le Médef, le gouvernement, et les syndicats gestionnaires de l’Unedic n’auraient de cesse de de séparer notre sort de celui des autres chômeurs et précaires. Nous attendions cette manœuvre, - abjecte, en ce qu’elle feint d’ignorer le sort des plus précaires, pour prétendre sauver la culture. Elle a été opéré par le premier ministre. Il fallait ensuite des relais pour divulger cette vulgate indigne : vous acceptez de vous en charger. C’est bien léger, bien irresponsable de votre part.
Nous avons aussi appris les ruses du pouvoir, les jeux de couloirs de ministère que vous aussi connaissez bien.
Et nous avons appris que nos interlocuteurs politiques, de droite comme de gauche, ne comprennent que le rapport de force.
C’est vraiment très, disons : ingénu, de votre part, de nous conseiller de nous rendre à des négociations en nous interdisant d’attaquer le point faible de nos adversaires qu’est l’industrie touristique et culturelle. Bref de discuter en cessant la grève.
Nous demandons des négociations, vous nous conseillez une reddition.
Non, nous n’irons pas désarmés discuter avec le Medef, la CFDT, le gouvernement.
Non, nous ne scinderons pas notre mouvement entre intermittents avec qui on accepte de discuter et précaires, chômeurs, intérimaires qu’on méprise.
Et, non, nous n’écouterons pas vos conseils.
Nous continuerons à inventer nos propres manières de lutter : en occupant le chantier Bouygues de la Philarmonie à Paris, en poursuivant M. Gattaz à Brest, en nous mettant en grève à Montpellier, à Avignon ou ailleurs, en produisant nos décryptage de l’accord Unedic, en manifestant partout, longtemps et tant que cela sera nécessaire.
Nous nous battons pour que dix chômeurs sur dix soient indemnisés.
Ce n’est pourtant pas compliqué à comprendre, ça, non ?