Il est dans la logique du pouvoir d’assigner chacun à ce qui lui est
attribué comme place. Cette logique détermine ainsi un certain partage du
sensible, c’est-à-dire une répartition de ce qui revient à chacun en
fonction de sa place. Le partage du sensible, c’est donc tout d’abord un
repérage des identités (lesquelles passent avant tout par les catégories
socio-professionnelles, telles que « intermittents » ou même « artistes »), une
distribution des visibilités et des modes de parole en fonction des lieux
dans lesquels tel ou tel comportement, telle ou telle prise de parole est
autorisée (théâtre, café, lieu de débat, etc.).
La politique commence lorsque le partage du sensible est mis en question,
c’est-à-dire lorsqu’il devient comme tel à la fois le terrain et l’enjeu de
la lutte. Autrement dit, une lutte devient politique lorsque des individus
et des groupes ne revendiquent plus leur place et leur identité. Lorsqu’ils
assument de devenir indiscernables, et par là même, tendanciellement
ingérables, là où le pouvoir se caractérise toujours plus par un souci de
gestion, de faire de toute activité, invention ou forme de vie un objet de
gestion.
Dans la lutte des intermittents, quelques personnes ont commencé à dire :
"il ne s’agit pas des intermittents comme profession, il ne s’agit pas des
privilèges dus à l’artiste, qui n’est pas le seul à avoir besoin de temps
pour penser et inventer ; il s’agit de ce qu’il y a de commun au-delà des
métiers et des places ; il s’agit de la situation commune qui nous est
faite, et qui détermine l’existence d’une communauté de fait".
Alors, nous sommes dans un régime de parole et d’action qui tend à brouiller
les principaux éléments de gestion du pouvoir, c’est-à-dire qu’un régime
d’énonciation politique est apparu.
Dans le cas de cette lutte, le problème du partage du sensible prend une
acuité nouvelle, puisque dans nos sociétés, c’est aux artistes que revient
la tâche de mettre en travail la sensibilité, et de constituer ainsi ce
qu’on pourrait appeler une communauté sensible.
La question est alors double :
1. Comment ce travail sur le sensible peut-il aboutir à des formes
d’apparition politique nouvelle, qui puissent aller plus loin dans la mise
en crise de la gestion normalisée, identitaire, du partage du sensible ?
2. Comment pour autant ne pas recréer ce qu’il s’agit de contester, à savoir
une distinction entre « les artistes » (ce qui n’indique qu’un statut social)
et les autres (techniciens, profs, sympathisants, etc.) ?
Dans le mouvement même des intermittents, ce n’est certes pas aux seuls
artistes de la profession de s’approprier cette question du sensible ; c’est
à ceux qui y participent de trouver là l’occasion pour libérer l’invention
de puissances d’apparition renouvelées.
JR
Les désirs ne chôment pas, fuck austerity
Après bien des soucis avec la Ville de Paris qui s’était pourtant engagé à nous reloger, la coordination a dû déménager pour éviter une expulsion et le paiement d’une astreinte. Nous sommes actuellement hébergés à la commune libre d’Aligre.
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