Mémoire. On trouve souvent dans la presse patronale, dans la presse de droite, des papiers plus francs du collier que dans celle de l’extrême centre et des bons sentiments véhiculés par d’autres organes détenus, eux aussi, par des marchands de missiles et des vendeurs de com’. En voilà un. Plutôt drôle par les vérités qu’il prétend démentir, les confusions absolues et les prévisions erronées qu’il véhicule et mêle allègrement. On l’a assorti ici de quelques notes pour ne pas en rester à cet instantané daté du 28 février 2004 et dont le scribe, qui pastichait ici Audiard, nous reste aujourd’hui inconnu.
Faut pas prendre les enfants de Bourdieu pour des canards sauvages
Que penser de la cérémonie des Césars qui s’est transformée, samedi dernier, en une cérémonie des Brutus ? On y a vu quelques centaines d’intermittents de l’intelligence frapper « courageusement » d’un coup de poignard médiatique le ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon. Ce dernier, stoïque, a dû essuyer avec le sourire énigmatique de sainte Blandine livrée aux lions les critiques injustes de toute une profession.
Il paraît qu’il y a eu des esprits distingués pour se féliciter de cette mésaventure. De même qu’il y a des esprits éclairés pour s’enthousiasmer de la pétition qui dénonce la « guerre » que livrerait ce gouvernement au monde de la culture et de la recherche. Que ces deux dernières soient mal en point dans notre pays, nul ne le conteste et ce depuis bientôt vingt ans. Mais il y a dans la virulence du ton, dans le choix de caricaturer la position de l’adversaire, une musique qui rappelle les pétitions de décembre 1995 quand un Tiers état culturel portait le sociologue Pierre Bourdieu sur un tonneau.
La disparition de ce dernier n’a pas entamé la rage de ses disciples qui, munis d’un prêt-à-penser idéologique, curieux et furieux mélange de babouvisme social et d’une lecture bâclée de Michel Foucault [1]occupent le terrain médiatique avec l’ardeur des sectes millénaristes.
Voilà de nouveau la droite clouée au poteau d’infamie. Et tenue d’écouter les diktats de cette culture festive et sclérosée, culture de l’inculture, sans ancrage dans le peuple, sans attaches dans les mémoires, sans résonance dans les coeurs et sans vertu didactique. De cette culture qui a le culot de nous faire croire, par exemple, qu’il y aurait le moindre lien entre l’oeuvre d’un Jean Vilar et les cuistreries arrière-gardistes du Festival d’Avignon. Sommé de faire de la « culture populaire », Jean Vilar répondit un jour à Sartre : « Lorsque nous avons fait salle comble à Gennevilliers, c’est le Cid qui a fait salle comble et non Mère Courage ! »
Oui, mais voilà. Selon les sourates de Bourdieu, il est désormais convenu que les professionnels de la culture, de la recherche et de l’« intelligence » sont des prolétaires [2] et que l’Etat est un patron [3]. « Je ne demande pas que les barricades s’élèvent, vient de déclarer Jack Lang. Mais la situation est grave. Il faut mettre le feu aux esprits et aux coeurs. »
Les socialistes ont tort d’imaginer une seule seconde qu’ils sont à l’abri des foudres de cette gauche de l’extrême. Le même Jack Lang a été sèchement taclé pour avoir osé soutenir les pétitionnaires. Accusé de « récupération politicienne », nos modernes tricoteuses l’ont invité prestement à prendre une « retraite politique ». C’est que personne ne trouve grâce à leurs yeux. L’erreur est de croire - en raison du score à l’élection présidentielle réalisé par le souriant facteur Besancenot - que l’on est toujours en présence du néotrotskisme sociétal des années 70 ou des fines analyses d’un Daniel Bensaïd. Cruelle bévue ! Dans la confrontation partisane qui oppose la LCR à Lutte ouvrière, c’est LO qui a gagné et Arlette Laguiller qui donne le tempo.
Dans un ouvrage qui fait bien le point sur le sujet [4], Denis Pingaud s’interroge : l’extrême gauche veut-elle faire perdre la gauche ? Ou, plus prosaïquement, les éléphants (du PS) doivent-ils craindre les taupes (trotskistes) ? Il est encore trop tôt pour répondre à cette question. En revanche, ce qui est beaucoup plus clair, c’est que le PS est en train de perdre, pour la première fois depuis bien longtemps, la bataille idéologique [5]. Et ne parlons pas du Parti communiste qui est devenu un compagnon de route de cette gauche radicale.
Le PS a beau s’illusionner en opérant un tri entre une « bonne » extrême gauche altermondialiste et une « mauvaise » trotskiste, il ne parviendra pas à récupérer un tel mouvement. Tout comme il était vain pour la droite, dans les années 80, d’imaginer un seul instant récupérer les miettes électorales du Front national [6].
28 février 2004
Le Figaro Magazine