Thème : « Après le 1er janvier 2004, quelles « adaptations nécessaires » pour les compagnies ?
La réunion commence à 19H30.
Stéphane Olry rappelle en préambule la place de « Saison en lutte » au sein de la CIP-IDF. Ce groupe de travail s’est constitué à la rentrée afin d’offrir aux compagnies un espace de rencontre et d’échange sur la poursuite de la lutte durant la saison, lors des créations ou en tournée. Plusieurs types d’actions mises en œuvre par les compagnies dans les théâtres ont ainsi été imaginées. A été constituée une « valise » qui regroupe des propositions à faire aux théâtres (une charte) dont chacun peut s’emparer et qu’on peut décliner à sa façon.
Lors de la première réunion qui a suivi la mise en application effective du nouveau protocole, nous nous sommes dits qu’il fallait à présent nous poser des questions dont nous n’avions jusqu’à présent pas débattu faute de temps. Ces questions vont se présenter à nous dans nos pratiques quotidiennes. Il nous faudra répondre un jour ou l’autre, parfois dans l’urgence. Il importe donc de préparer ces réponses afin de ne pas être le jouet de ceux qui ont déjà des réponses toutes faites.
Donc, ayant un peu de temps avant les festivals de l’été, convaincus que réfléchir à plusieurs est plus efficace que seul, nous avons établi un calendrier de réunions afin de poser ces questions et réfléchir ensemble, forts de nos expériences multiples, aux réponses que nous voulions y apporter.
Voici le calendrier des réunions :
Lundi 23 mars : Annexes 8 et 10 ou annexe unique. Artistes et techniciens,
que partageons-nous, qu’est-ce qui nous sépare ?
Lundi 8 mars : Après le 1° janvier 2004, quelles conséquences, quelles « adaptations nécessaires » pour les compagnies ?
Lundi 22 mars : Permanents et intermittents qu’avons-nous à faire ensemble ?
Lundi 5 avril : Évaluation, expertise : par qui et comment voulons-nous
être jugés ?
Lundi 19 avril : Spectateurs, public, audience : pour qui jouons-nous ?
Lundi 3 mai : Quelle stratégie de lutte et de résistance adopter pour gagner demain ?
Ces réunions sont ouvertes à tous ceux qui ont envie de réfléchir sur ces sujets, les questionner, y apporter des réponses.
Stéphane Olry qui préside la réunion du jour, en rappelle le sujet et propose l’ordre du jour suivant :
1 : Pourquoi avez-vous monté une compagnie ? (pour ceux qui en dirigent). Pourquoi avez-vous choisi de travailler en compagnie plutôt qu’au sein d’une structure fixe (théâtre, administration culturelle etc) ? (pour ceux qui y sont employés).
2 : Comment l’application du protocole du 26 juin (depuis le 1° janvier) modifie-t-elle concrètement vos pratiques à l’intérieur de la compagnie en terme de budgets, de rémunérations, d’organisation du temps de travail, de fraude ? Comment s’adapte (ou non) le travail artistique ?
3 : Comment l’application du protocole du 26 juin modifie-t-elle le commerce qu’entretiennent les compagnies avec les théâtres ? Avec le ministère de la culture ? Avec les collectivités locales ? Comment s’adapte (ou non) l’activité culturelle des compagnies ?
4 : Que faire ?
Comment envisagez-vous de réorganiser votre compagnie, ou comment vous voulez que les compagnies qui vous emploient se réorganisent ?
Comment souhaitez-vous réorganiser le commerce avec les théâtres et les subventionneurs ?
Regroupement de compagnie, création de micro-structures, intégration des compagnies dans des théâtres, ou autre initiative, que croyez vous souhaitable pour tous ?
5 : S’il n’y avait qu’une action à mettre en œuvre pour inverser le cours des choses avant la prochaine rentrée théâtrale quelle serait-elle pour vous ?
Il faut essayer de réfléchir à partir des conséquences vraiment pratiques de l’application du protocole du 26 juin. Il ne faut pas avoir peur de redire des informations que l’on peut supposer bien connues de tous.
Ces réunions sont des espaces de réflexion dans laquelle la parole doit demeurer libre.
Un premier tour de table permet à chacun de se présenter :
Stéphane Olry et Corine Miret, direction artistique de la Revue Eclair
Martine Pisani, chorégraphe, directrice artistique d’une compagnie de danse
Arnaud Didierlaurent, administrateur
Léandre Garcia Lamolla, régisseur
Jean-Christophe Marti, compositeur
Xavier Marchand, dirige Lanicolacheur compagnie basée à Marseille
Jean Boillot, metteur en scène
Cécile Cholet, comédienne
Théo, danseur
Philippe Boutier régisseur en tout genre
Agnès Bourgeois, dirige une compagnie
Sophie Lecarpentier, dirige sa compagnie
David Gouhier, comédien
On commence par rappeler les origines étymologiques et historiques du mot « Compagnie » :
La racine du mot « compagnie » est la même que celle de co-pain, copain : celui avec qui on partage le pain. On est en compagnie : en présence de quelqu’un. Les antonymes sont : absence, isolement, solitude.
Dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, les origines militaires du mot sont rappelées. À la fin du Moyen-âge, les compagnies sont des troupes de mercenaires étrangers rassemblés par le Roi sous sa bannière afin d’éviter que, dispersés dans le pays, ils ne le pillent. On connaît les compagnies de mousquetaires du roi, et enfin le dernier avatar du mot dans cette acception militaire : les « Compagnies Républicaines de Sécurité » (CRS). Dans la partie consacrée aux compagnies commerciales, l’Encyclopédie rappelle que « Le gain d’un commerce est presque toujours proportionnel à l’incertitude du succès et l’opération est bonne si cette proportion est bien claire ».
On trouve donc bien toujours l’idée d’un rassemblement de personnes hétérogènes, et d’autre part de partage du risque.
D’autres mots peuvent décrire la réalité des regroupements d’artistes. En musique : groupes, orchestres. En théâtre et en danse : collectifs, troupe, ballet. Les formes juridiques de ces regroupements sont indiquées dans tous les formulaires de demande de subvention du Ministère de la Culture : association régie par la loi de 1901, sarl, société en nom propre, coopératives etc.
Un tour de table est proposé : pourquoi avoir fondé une compagnie ou choisi de travailler dans une compagnie ?
Xavier Marchand :
« J’avais envie de mettre à jour des spectacles. Or, à l’époque il n’était pas possible d’avoir des subventions si il n’y n’avait pas de structure associative. J’ai choisi un nom en relation avec le projet sur Mallarmé que je voulais créer.
J’ai obtenu les premiers subsides pour monter un premier spectacle. Au départ, c’était donc une question purement administrative et juridique. »
Martine Pisani : « Idem. J’ai eu l’idée d’un projet et pour avoir les subventions j’ai du passer par là. Cela me permettait de salarier les danseurs avec qui je travaillais.
Même maintenant c’est flou. La compagnie n’existe que dans le cadre de projets successifs, et roule d’un projet à l’autre. »
Arnaud Didierlaurent : « Les compagnies sont souvent un moyen. Plutôt que de dire association, on dit compagnie mais c’est un peu un abus de langage. Dans les documents officiels c’est la forme juridique d’association qui prédomine. »
Jean-Christophe Marti : « J’ai longtemps hésité avant de monter une association. Bertrand Krill (administrateur de Claude Régy) m’a appris alors que rien n’empêche (légalement) une structure publique de donner de l’argent à quelqu’un sans association. J’ai malgré tout monté son association car je n’ai pas trouvé d’autre moyen pour fonctionner. J’ai la nostalgie de l’idée de troupe qui aurait pu fédérer des gens autour de projets. C’est utopique. Je préfèrerais cependant que ma compagnie soit une fédération de personnes.
Je m’interroge encore sur la validité de l’information que m’avait donné Bertrand Krill. »
Arnaud Didierlaurent :
(Il lui explique que la structure de « personne morale » permet une protection contre les biens propres, en cas de faillite. Dès qu’on salarie des gens, ça devient plus compliqué de le faire seul.)
Jean Boillot : Si j’avais pu, à l’origine, j’aurais préféré travailler dans une structure permanente. Ça n’était pas possible.
Ma compagnie était partie de l’idée de regrouper d’anciens élèves du conservatoire qui avaient étudié ensembles une technique particulière : le théâtre-récit. J’en ai pris la direction qu’ultérieurement. J’essaye cependant de préserver cette notion de collectif au delà des projets. »
Léandre Garcia Lamolla : « J’aime l’utopie de la troupe. J’ai l’impression pour chaque projet de faire partie d’une troupe éphémère. C’est une construction d’une troupe immédiate autour d’un projet. J’apprécie de participer à des projets nouveaux sans cesse, et donc de travailler avec plusieurs compagnies. J’aurais du mal à effectuer un travail permanent. Les employés permanents autour de moi gagnent tous moins que moi : donc financièrement je n’ai pas intérêt à me fixer dans une structure permanente. Mais surtout humainement je ne pourrais pas. Autrement, je l’aurais déjà fait. Intégrer les projets même tardivement, découvrir de nouvelles personnes, de nouveaux projets me plait. Le collectif est là le temps du projet.
Philippe Boutier : « J’ai travaillé comme régisseur permanent à Beaubourg. J’ai ensuite démissionné car je ne pouvais pas choisir ce que je faisais dans ce cadre là. Je ne voulais pas être un simple exécutant. À Beaubourg : tu ne choisis pas les spectacles sur lesquels tu veux travailler. Je n’ai pas envie forcément de travailler sur le long terme. J’ai ensuite j’ai participé au montage du festival Off de Montpellier avec des copains (25 personnes) pendant 4 ans bénévolement. Le projet artistique était alors mis en amont. Ça marchait assez bien. Le projet s’est arrêté lorsqu’ils ont du lui donner une forme institutionnelle. Il y avait une prise de risque énorme pour le président de l’association car les conditions de sécurité étaient absentes. Cependant, faire la même chose dans les normes avec de l’argent public aurait été beaucoup trop cher. Le festival officiel de Montpellier-danse n’est jamais venu nous voir, n’a jamais reconnu notre existence. »
Cécile Cholet : « J’ai travaillé surtout avec des compagnies et été implantée pendant deux ans aux Amandiers. J’ai vécu une utopie plus grande en travaillant alors dans une structure que dans les compagnies.
La parole de la comédienne me semblait plus libre dans la structure fixe ; elle circulait très différemment. L’ancrage dans un lieu, vis à vis d’un public était une utopie très grande. J’ai travaillé alors à des choses plus diverses qu’en compagnie. En même temps, au bout d’un moment, la lassitude intervient. Quand je travaille en compagnie, c’est des histoires de réseaux. La troupe pour moi, en tant que comédienne, n’existe que dans une troupe permanente ».
Jean Boillot : « Quel était ton contrat aux Amandiers ? »
Cécile Cholet : « C’était un engagement moral pour 3 ans, mais je restais intermittente. Les contrats couvraient une période de onze mois, suivis d’un mois couvert par les congés-spectacles. Bien sûr, cela pose la question du statut des employés dans des compagnies en résidence.
Arnaud Didierlaurent : « Ce que je trouve paradoxal, c’est que la compagnie apparaît comme une possibilité de changement pour les employés. Alors que pour ceux qui les dirigent c’est au contraire un engagement dans une structure pérenne. Souvent les gens m’appellent : j’ai un projet, il faut que je fonde une compagnie. Or, il n’y en a pas de nécessité réelle.
Personnellement, je préfère travailler pour plusieurs compagnies, pour plusieurs projets.
Peut-on dire qu’une compagnie, ce n’est pas des projets extérieurs à des lieux, qui investissent des lieux, mais qui constituent malgré tout des équipes ?
Il existe des notions d’équipe dans certaines compagnies, il existe des projets de lieux, mais aussi des projets de 3 jours. »
Cécile Cholet : « En tant que comédienne, pour moi la compagnie est la compagnie d’un metteur en scène. »
Léandre Garcia Lamolla : « Pour moi, une compagnie, c’est le cachet de l’employeur. Je connais certains qui sont employées dans des compagnies et qui montent leurs projets propres au sein de ces compagnies. Il se servent des compagnie comme de structures juridiques provisoires. C’est une aide mutuelle. »
Sophie Lecarpentier : « Travailler en compagnie, c’est travailler avec les gens qu’on aime au départ. Fédérer un groupe de comédiens, de techniciens, sans obligation d’être ensemble sur tous les projets. Maintenant on est obligé d’accepter que les gens travaillent beaucoup ailleurs pour gagner leur vie et faire les projets de la compagnie après. La compagnie est éclatée huit mois par an pour que chacun puisse gagner sa vie et se retrouve après.
La direction d’une compagnie est un poids dont je me passerais. Je rêve d’une compagnie d’acteurs qui appellerait un metteur en scène pour lui demander de régler la mise en scène. Hélas, pour les institutions, si il n’y a pas de metteur en scène en titre, il n’y a pas d’interlocuteurs.
J’ai l’impression d’être la seule permanente de ma compagnie, (même si je suis intermittente), avec l’administratrice qui est maintenant vraiment permanente. »
Agnès Bourgeois : « J’ai monté une compagnie parce que je voulais faire de la mise en scène. Si on monte une compagnie, c’est parce qu’on a pas de lieu pour monter nos spectacles. »
Stéphane Olry : « La Revue Éclair a un nom volontairement ambigu. À l’origine la compagnie s’appelait compagnie Stéphane Olry. Puis j’ai changé le nom pour La Revue Eclair car j’avais l’idée d’une structure de rencontre et d’échange entre artistes, comme l’est une revue littéraire. Le terme revue est aussi celui utilisé pour décrire des soirées présentant des pièces courtes et diverses, comme la Revue Nègre. Nous avons ainsi présenté plusieurs soirées présentant les travaux d’autres artistes, auteurs, plasticiens, comédiens, danseurs, cinéastes, vidéastes. Cependant, je constate que ce partage est très difficile à pérenniser. Finalement la Revue Éclair est bien attachée à mon nom, puisque j’en suis le maître d’œuvre, et à celui de Corine Miret avec qui je la co-dirige artistiquement. Nous ne présentons plus de soirées de formes brèves depuis longtemps, mais nous aimons collaborer avec d’autres artistes comme Xavier Marchand, à qui nous avons demandé de mettre en scène deux de nos spectacles. Sa compagnie, Lanicolacheur, a alors aussi été co-producteur de ces spectacles.
Nous diffusons aussi depuis plusieurs années les vidéos d’autres artistes dans les thés vidéo. C’est un dispositif qui a été facile à mettre en place, parce que nous sommes tous logés à la même enseigne dans la vidéo. Il n’y pas vraiment de financement public pour la production ou la diffusion de ce type de film, donc les artistes ont l’habitude de partager expérience, matériel et regards critiques. Au reste tout est à inventer, tant dans les formes vidéos que dans les manières de montrer. C’est donc un domaine très libre.
Il est vrai que quand je rédige comme j’ai été amené à le faire récemment, le curriculum de la compagnie, on se retrouve confronté à ce problème de préciser qui est le maître d’œuvre. La direction artistique, je la revendique, puisque c’est une réalité historique, mais nous sommes deux à décider, et je suis conscient que c’est compliqué de savoir qui décide de quoi à la Revue Éclair pour beaucoup de nos interlocuteurs. »
Deuxième point : On présente quelques quelques chiffres et déclarations publiques concernant le nombre et la qualité des compagnies en France.
Déclarations du ministre de la Culture : « Il y a trop de compagnies et de mauvaises compagnies. »
On constate que l’information sur ce sujet est plus diffuse que précise. En se rendant sur le site du ministère de la Culture on constate qu’aucune enquête sur ce sujet n’a été diligentée depuis 1997 (exceptée l’actuelle mission Latarjet).
Dans un document récent du ministère du Travail sur la fraude dans le domaine du spectacle on lit qu’étaient recensées 400 compagnies subventionnées en 98 et 640 en 2002 (Soit une augmentation de 60% en 4 ans).
Le Centre National du Théâtre décompte lui 1220 compagnies de théâtre reconnues en France, dont 285 conventionnées, 336 aidées à la production (c’est-à-dire 621 compagnies aidées au titre du conventionnement ou de l’aide à la production). L’autre moitié des compagnies (600 environ) subsiste avec uniquement les aides de collectivités locales ou sans aides publiques par la vente des spectacles.
En regard de ces 1200 compagnies de théâtre, il compte 800 structures de diffusions et de productions.
Une récente étude du Centre National de la Danse annonce pour sa part 500 compagnies de danse contemporaine, dont 206 bénéficient de subventions (on suppose via les drac).
La même étude rapportée par « Le Monde » compte 1000 employeurs en danse contemporaine : on se demande ce que recouvre ce chiffre : compagnies ? municipalités ? conservatoires de danse ? cours de danse ? entreprises privées de spectacle ?
En conclusion, le ministère de la Culture sait combien il aide de compagnies, pour le reste... Quoi qu’il en soit, son diagnostic est qu’il en a trop. On sent bien que la question de l’augmentation du nombre des artistes et des compagnies est au centre de la crise actuelle. Il n’y aurait peut-être pas eu d’agrément de l’accord du 26 juin, si le ministre de la Culture n’avait pas été persuadé d’être approuvé dans cette analyse par beaucoup de ses relais dans l’institution.
Il est proposé de voir l’efficacité de cette politique du malthusianisme en demandant à chacun quelles sont les conséquences de l’application du protocole du 26 juin à l’intérieur des compagnies.
Arnaud Didierlaurent : « Si on dit qu’il y a trop de structures juridiques, je suis assez d’accord avec ça. Il faut trouver d’autres solutions que de monter une association pour monter des projets. »
David Gouhier : « Je n’ai pas de structure de compagnie. Je suis en contact avec un théâtre en ce moment pour un contrat (et je pense que ça serait pareil avec une compagnie) : je ressens une plus grande fragilité. Nous, comédiens, nous sommes plus en demande. Ça peut créer des mésententes. Je pose la question : Est-ce que les compagnies sont prêtes à arranger leurs salariés pour qu’ils aient leurs droits aux ASSEDIC ? »
Sophie Lecarpentier : « Pour moi, non. J’avais déjà demandé aux personnes qui travaillaient avec moi si elles voulaient être mensualisées. Avant, elles ne voulaient pas. Maintenant je vais être plus draconienne : c’est plus simple pour moi. Pour le prochain spectacle, je leur propose de les mensualiser pour les trois mois de travail. C’est une manière d’affirmer qu’on travaille pendant trois mois ensemble, même si je suis consciente que le salaire que je propose n’est pas génial (1500 Euros net par mois). Le reste du temps, comme moi, ils peuvent travailler sur d’autres travaux mieux payés, mais moins intéressants ».
Philippe Boutier : « Si les gens s’engagent, est-ce qu’ils ont vraiment la possibilité de travailler ailleurs en gagnant beaucoup plus ? »
Agnès Bourgeois : « Si j’étais dans le cas des artistes et techniciens avec qui travaille Sophie Lecarpentier, et que je gagnais beaucoup plus ailleurs, je préfèrerais lui dire de garder mon salaire pour l’artistique. Je trouve ça un peu terroriste de présenter cette forme de mensualisation obligatoire aux gens avec qui tu travailles. »
Sophie Lecarpentier : « Proposer la mensualisation, je trouve que c’est un geste de responsabilité artistique par rapport à notre métier. »
Arnaud Didierlaurent : « En tant qu’administrateur je passe la moitié du temps à gérer ce type d’histoire. Normalement, un employeur devrait engager un salarié pour une somme d’argent, une durée, un début et une fin de contrat, précis. En général, ça ne se passe pas comme ça. D’emblée est posée la question de « comment on déclare ? » Ça pervertit la notion de rapport au travail.
Cette tendance à la fausse déclaration s’accentue avec le nouveau protocole : l’employeur prend de plus en plus de risque, en terme de fraude. C’est très net depuis le 1er janvier. Je ressens une panique des employés pris à la gorge en terme de temps, et du coup, la masse de travail des administrateurs se démultiplie à gérer ce type de situations.
C’est ridicule. »
David Gouhier : « Entre la mise en danger que peut connaître la compagnie et une simple facilité pour les employés, il y a une marge. Nous, comédiens, devons exiger la souplesse des déclarations, même à l’égard des employeurs avec qui nous avons l’habitude de travailler. »
Arnaud Didierlaurent : « L’application de ce protocole pousse l’employeur à devenir l’ennemi du salarié. Jusqu’où on peut-on pousser les arrangements ? Qui sera responsable enfin en cas de sanction : l’administrateur ? le metteur en scène ? le président ?
C’est crétin de nous rendre ennemis. »
Stéphane Olry : « J’ai aussi le sentiment que le travail administratif augmente avec l’application du nouveau protocole. Nous sommes dans une logique paperassière délirante. Un formulaire de déclaration qu’on pouvait remplir par employé une fois par mois sur ordinateur, doit être écrit à la main sur papier carbone divisé en autant d’exemplaires que de périodes travaillées dans le mois. Par ailleurs, ces feuillets devraient être renvoyés dès la fin du mois pour que l’employé puisse toucher ses ASSEDIC ? Qui va bloquer une journée de travail le dernier jour du mois uniquement pour ce travail ? Donc, aujourd’hui, si le ministère de la Culture réinjectait comme promis de l’argent dans le système, cet argent public irait où il y a un surcroît de travail, c’est à dire pour les administrateurs et les comptables. Encore une fois l’artistique sera le dernier servi. »
Jean-Christophe Marti : « Ça met effectivement plus de tension entre employeurs et employés. Ça renforce la position tyrannique du metteur en scène. Comme juridiquement les metteurs en scène ne sont que des employés de l’association, c’est une situation schizophrénique. »
Philippe Boutier : « Les directeurs artistiques des compagnies bénéficient d’avantages en nature que les employés n’ont pas. Jamais une compagnie ne m’a payé un ordinateur, un portable, etc... J’ai remarqué par ailleurs, que le renouvellement du matériel personnel que j’ utilise n’est pas payé par la compagnie.
Jean Boillot : « Je vais te donner l’exemple du travail d’un sonographe avec qui je travaille. Il doit renouveler en permanence son matériel et actualiser ses logiciels. Ces frais d’investissement ont été intégrés dans les budgets de la compagnie, afin de parvenir à une mutualisation du matériel.
Un des changements que je souhaite, c’est l’engagement à l’année d’acteurs à plusieurs compagnies (comme on mutualise du matériel). »
Stéphane Olry : « Ce type de solution est préconisé par plusieurs contributions déposées sur le site de la mission Latarjet. On peut aussi voir-là une tendance générale à la sous-traitance, à faire des compagnies des sociétés d’intérim, des structures de « réservoirs de comédiens ».
Pour ce qui est de la modifications des projets artistiques, je crois que nous avons même pour notre part anticipé les conséquences du protocoles depuis quelque temps. En septembre dernier, le conseil général des Bouches du Rhône m’a demandé de concevoir un spectacle pour les journées du patrimoine au Muséon Arlaten à Arles. Il était impossible de dégager un budget permettant de payer réellement quatre semaines de répétition avec les sept comédiens. J’ai donc répondu artistiquement, en écrivant 7 monologues que j’ai fait répéter indépendamment les uns des autres. Le collectif ne s’est réuni au complet que deux jours avant le spectacle. Il n’a n’existé que le temps de la représentation. Je pense réutiliser ce même principe pour d’autres projets. En même temps, je suis bien conscient que c’est une réponse à un désir politique (animer les journées du patrimoines), et à une contrainte économique (le producteur ne peux pas donner plus que ce qu’il a). Je revendique cependant la réalité artistique de la réponse. »
Jean-Christophe Marti : « On ne peut pas découpler l’artistique et l’économique. La tension entre les metteurs en scène et les employés augmente. Ce que j’ai senti chez des metteurs en scènes amis, c’est qu’ils vont décider plus drastiquement.
Le rapport de pouvoir va changer énormément. Le pouvoir des employés qui étaient relativement plus libres auparavant ira en s’amenuisant. »
David Gouhier : « Alors peut-être les employés préfèreront-ils monter leurs propres projets ? »
Jean Boillot : « Je pense au contraire que cela renforcera le rôle du metteur en scène au sein des compagnies, et polarisera l’attention sur des compagnies déjà reconnus. »
Agnès Bourgeois : « Avant le 1er janvier déjà, il y avait un manque croissant d’argent ; j’ai donc décidé de commencer le travail avant d’avoir le financement. On adaptera les répétitions en fonction du travail des uns et des autres pour que tout le monde puisse gagner de l’argent ailleurs. »
Léandre Garcia Lamolla : « Ça se passe aussi comme ça dans la petite compagnie dans laquelle je travaille. Le metteur en scène ne peut plus décider du planning. On risque de finir par ne plus jouer que des monologues qui ne se joueront qu’une fois. »
David Gouhier : « L’exemple du Museon m’effraie. Je trouve que c’est un danger énorme pour la finalité d’un projet. Il n’y a plus de groupe."
On passe au troisième point de l’ordre du jour, sur les nouveau rapports entre les compagnies et les théâtres.
Martine Pisani : « Pour moi, les difficultés actuelles ne sont pas la conséquence directe de l’application du protocole du 26 juin.
J’essaie quoi qu’il en soit de conserver un temps de travail parce qu’il m’est nécessaire. Je travaille peu avec des théâtres en France et de plus en plus avec l’étranger.
Je sens cependant que je suis plus en concurrence avec d’autres compagnies. Il y a moins d’argent. On a beaucoup de mal à monter les prochains projets. Il y a beaucoup plus de non-réponse. Les théâtres attendent paraît-il le résultat des élections régionales »
Arnaud Didierlaurent : « On atteint un point de rupture. Par rapport à la danse (domaine déjà compliqué), c’est le fardeau de plus qui va faire chavirer la barque. Le fossé s’est creusé entre les compagnies et les théâtres. Les théâtres se moquent des difficultés économiques des compagnies. Ils ne savent pas ce qu’est une compagnie, ni comment ça marche. Un travail pédagogique en direction des théâtres à cet égard serait nécessaire.
On sent une pression permanente dans la gestion du temps. Par exemple, ça devient difficile d’organiser la moindre réunion de production avec les producteurs.
Dans le rapport entre interprètes, ça pénalise ceux qui travaillent moins, car celui qui travaille beaucoup peut empêcher le spectacle de tourner s’il n’est pas disponible. »
Sophie Lecarpentier : « Les réseaux se durcissent. Donc, certaines compagnies tournent beaucoup. Sur des spectacles sûrs. La prise de risque des programmateurs est de moins en moins grande. »
Xavier Marchand : « Je reçois beaucoup de lettres de comédiens qui s’inquiètent et me demandent du travail. J’ai la chance d’être conventionné. J’ai fait un choix. J’avais un projet avec 4 comédiens, et j’ai choisi de n’en prendre que 3 afin d’augmenter leurs cachets. Je leur propose plus que j’avais l’usage (2300 euros brut par mois).
Cet aboi aura des répercussions sur les rapports que nous aurons avec les théâtres. Je sens que l’inquiétude commence à me gagner. Je sens que ça va être encore plus compliqué pour moi dans mes rapports avec les directeurs de structures : j’aime travailler avec des textes littéraires contemporains, non théâtraux. Les directeurs des théâtres vont-ils continuer à accepter de prendre des risques sur des auteurs inconnus ? Je me pose la question : me faudra-t-il faire du répertoire pour être certain de monter mes productions ? »
Jean Boillot : « Je ne sens pas encore les effets pour ma compagnie car je suis conventionné. Mais je constate que les contrastes s’accentuent. Les employeurs vont être plus puissants, les salariés vont souffrir d’avantage dans ce rapport de force, les théâtres vont attiser la concurrence.
La différence entre les compagnies subventionnées et les autres va s’accentuer.
Moi aussi, je commence à recevoir des appels d’acteurs qui demandent des heures (ce qu’ils n’auraient jamais fait auparavant).
Il y aura sûrement l’invention de nouvelles formes, de nouvelles façons de faire dans la diffusion. La crise révèle que nous avons une déficience au niveau du public.Nous n’avons d’ailleurs pas observé de solidarité concrète du public.
La conséquencedecette flexibilité de l’intermittence, c’est la coupure que nous observons entre les artistes, un territoire et donc un public. Personnellement, je préconise que les théâtres allongent les séries de représentations d’un spectacle.
Ce choix des séries a un revers : il y aura mécaniquement moins de compagnies programmées. Pour subventionner les tournées, dès à présent, l’ONDA demande qu’il y ait plus de dates en série : donc les forts vont être plus forts et les faibles plus faibles. »
Stéphane Olry : « Très récemment, un festival voulait que nous présentions notre prochaine création. Notre administrateur a donc inclus une partie des coûts de production dans le budget présenté au festival. Notre interlocuteur nous a répondu qu’il refusait de payer aucun droit de suite, ni de frais administratifs, ni rien d’autre finalement, que le coût plateau. Nous avons répondu que cela revenait à ce que nous jouions à perte. Nous ne sommes pas conventionnés, et nous ne pouvons pas nous permettre ce luxe. On nous a répondu que de jouer dans ce festival donnerait une visibilité à notre travail. Ça nous a fait rire, car tous disent la même chose, et nous avons refusé d’en rabattre sur la création. Notre interlocuteur fait partie d’un comité d’expert DRAC. Nous lui avons dit que nous aimerions lui expliquer comment, avec ce système-là ne pourront plus survivre que les compagnies conventionnées. Le nouveau protocole va les renforcer et enfoncer les autres. »
On passe alors au 4° point de l’ordre du jour : que faire ?
La question qui se pose à nous collectivement et individuellement est : acceptons-nous cette concurrence effrénée qui s’annonce ? Si non, comment pouvons-nous nous organiser entre compagnies pour biaiser cette concurrence ?
On observe que le jeu de la concurrence pousse à la dispersion. Comment éviter d’en arriver à monter chacun notre propre structure ?
Certains proposent comme solution la mutualisation des compagnies. D’autres l’attachement d’une compagnie à un théâtre. Quel est l’opinion de chacun à ce sujet ?
Agnès Bourgeois : « Pour ce qui est des résidences des compagnies dans des théâtres, tout dépend de la ville où tu tombes. »
Jean Boillot : « Voilà qui remet au cœur du débat la question du public. Depuis des années, nous ne savions plus à qui nous nous adressions, et nous avions délégué la gestion du public aux technostructures. À présent, il faut que nous la reprenions en main. La question de l’implantation est posée.
Certaines propositions évoquées dans la Mission Latarjet visent à forcer les compagnies à mensualiser les équipes artistiques et à offrir des « packs » compagnies , comprenant spectacle, action culturelle, animation.
Arnaud Didierlaurent : « Comme tu l’as dit, il y trop de compagnies pour faire des séries avec tout le monde. Par ailleurs, avec quel argent va-t-on mensualiser les équipes ? »
Jean Boillot : « Il faut trouver de nouveaux lieux, trouver un nouveau public. Il y a un réservoir de public considérable. C’est à nous d’aller le chercher. »
Sophie Lecarpentier : « Il existe quand même déjà beaucoup de lieux intermédiaires, nous avons assisté à un vrai souffle à cet égard ces dernières années. Partout en France. Ça marche plutôt bien in fine, c’est hyper précaire au début , ça se stabilise petit à petit mais ça reste très fragile. Est-ce que ce mouvement-là peut perdurer ?
La recherche du public dans des nouveaux lieux existe donc bien mais pas dans l’institution. »
Stéphane Olry : « Je ne suis pas d’accord avec Jean Boillot sur le manque d’effort supposé de recherche du public. La politique de décentralisation a été une recherche éperdue de public : on a voulu faire venir dans le théâtre des classes sociales qui n’y allait pas. On a voulu rapprocher géographiquement les théâtres des spectateurs. On a construit des théâtres en banlieue, en province. Depuis vingt ans, le ministère de la Culture incite les compagnies à s’installer en province. Beaucoup d’artistes ont alors monté des structures de production et de diffusion là où il n’y avait rien. Cette politique a entraîné la multiplication des compagnies en province, et aussi des intermittents qui y travaillent.
Mais en terme de résultats par rapport à ce qui était attendu, l’échec de cette politique est patent : le nombre de spectateurs est demeuré stable et ce sont toujours les mêmes classes moyennes qui remplissent les salles. En revanche, on a donné aux spectateurs l’envie de devenir des artistes, ce qui est bien en soi, mais ingérable en terme budgétaire. On renvoie aux artistes un échec qui n’est pas le nôtre.
Par ailleurs, est-ce que l’action culturelle doit être mise-en-œuvre par les compagnies ? Pourquoi les compagnies doivent-elle prendre ce travail en charge en tant que structures administratives ? Ce serait en toute logique au théâtres de l’assumer puisqu’ils sont compétents par rapport à leur public, et définissent la durée, les lieux et la nature de ces missions d’actions artistiques. Or, les théâtres ne veulent plus employer directement, et préfèrent sous-traiter ce travail aux compagnies. »
Jean-Christophe Marti : « En effet, les théâtres veulent de moins en moins salarier. Ou plutôt, ils veulent salarier mais pas comme intermittent. »
Jean Boillot : « Personnellement, je me débrouille pour me situer en amont et que ça soit moi qui propose et pas eux. J’essaye toujours d’être une force de proposition.
Jean-Christophe Marti : « Sur le terme de conquête de public, je suis toujours sceptique sur l’idée du public-roi. En musique par exemple cette notion entraîne des résultats catastrophiques. Je ne citerai que le nom d’André Rieu comme repoussoir.
La demande du public est toujours présupposée. »
(On fait remarquer qu’une séance complète sera consacrée à la question des spectateurs, du public et de l’audience.)
« Mais j’observe aussi que le public en province est toujours le même. Alors que le nombre d’employés qui bossent à la communication dans les théâtres est impressionnant. »
Jean Boillot : « Oui, les proportions des administratifs en regard de la part artistique est impressionnant.
Cependant, si nous nous battons nous avec les mêmes moyens de communication que les grosses structures nous sommes perdus d’avance.
Pour répondre à Xavier, fait-on nécessairement des tournées gigantesques avec une pièce de répertoire ? Il faut sortir de ce débat classique / moderne entre nous si nous voulons nous en sortir. »
On propose un tour de table sur la question suivante : êtes vous prêts à implanter votre compagnie dans un théâtre ? À l’inclure dans un groupe de compagnies ? À travailler avec des bureaux de production ?
Arnaud Didierlaurent : « On s’oriente vers des CDN qui se transforment en boîtes de production.
Les directeurs vont-il devenir producteurs au sens cinématographique du terme ? »
Philippe Boutier : » Aux Recollets, le Labo est une structure administrative qui aide à monter les projets. On peut imaginer des associations de production qui toucheraient des subventions pour monter des projets de différentes compagnies. »
Cécile Cholet : « Ça peut être le pire et le meilleur.
Stéphane Olry : « Les choses ne me semblent pas mûres au ministère de la Culture à cet égard. Quand j’ai posé la question à la DRAC de savoir si la Revue Éclair (compagnie parisienne) pouvait demander une aide à la production pour un spectacle dont la production déléguée était confiée à Lanicolacheur, compagnie conventionnée en PACA, on m’a répondu qu’il fallait que les deux DRAC se mettent d’accord. Je leur ai fait remarquer que la région PACA n’était pas encore indépendante, donc que je ne voyais pas le pourquoi d’accord entre deux directions du même ministère de la Culture de la République. Ils m’ont dit que j’avais raison, mais il leur a fallu malgré tout ensuite encore deux mois pour nous donner une réponse que c’était possible. »
Arnaud Didierlaurent : « Les Recollets, ni juridiquement, ni financièrement, ne portent la responsabilité juridique du projet. C’est donc très différent d’un producteur de cinéma. C’est plutôt une structure qui fait de la prestation de service avec un lieu.
Il y a aujourd’hui, un débat entre administrateurs sur les termes administrateur et producteur. De plus en plus d’administrateurs vont monter leur boîte de production.
Stéphane Olry : « Notre administrateur nous a déjà fait remarquer que le regroupement de plusieurs compagnies autour d’un administrateur lui semblait une fausse bonne idée. Il dit que cela ne fait qu’augmenter la charge de travail de l’administrateur, payé un coût moindre. Au mieux, on économise des frais de bureau, de papeterie, mais c’est dérisoire. »
On propose d’imaginer la structure utopique où chacun aimerait travailler, puisque la structure de la compagnie n’a pas l’air d’avoir été choisie en général.
Temps de silence.
Arnaud Didierlaurent : « Le rêve de l’artiste, c’est l’administrateur à plein temps qui ne grèverait pas le budget artistique. »
Sophie Lecarpentier : « Mon administratrice travaille avec une autre administratrice, elles s’occupent de 6 compagnies et je trouve que c’est très bien. On se connaît un peu entre nous, on peut échanger des renseignements, des compétences techniques par exemple. »
Stéphane Olry : « Abandonnerais-tu ton association pour proposer tes projets à une seule structure qui regrouperait les six compagnies ? :
Sophie Lecarpentier : « Non, car ces six compagnies-là, je ne les ai pas choisies. Si les compagnies se choisissaient entre elles, je dirai oui. Le partage des ressources est intéressant. On partage peu ce genre de choses entre compagnies. Et pourtant parfois on peut profiter des réseaux des autres compagnies pour vendre les spectacles. »
Arnaud Didierlaurent : « On peut imaginer une même plaquette pour toutes les compagnies avec qui tu travailles afin d’économiser des frais de communication. Le piège c’est l’effet « catalogue » de compagnies. On finit par faire des « packs ». On se retrouve à parler des autres artistes dont on s’occupe quand on en vend un. »
Jean Boillot : « On a donc de plus en plus d’intermédiaires entre nous et le public. Je pousse chacun à prendre différentes responsabilités dans le métier, programmateur, producteur, comédien, metteur en scène, afin de relativiser.
Je rêve d’un outil avec une permanence d’acteurs, et des metteurs en scène différents, or je trouve difficilement des personnes (notamment des interprète) qui veuillent prendre ce risque de venir travailler à long terme en province. »
Sophie Lecarpentier : « Dans ces cas-là, on a peur de se couper d’un réseau et de ne pas retrouver de boulot à la fin de ce contrat longue durée. »
Jean-Christophe Marti : « L’idéal serait de protéger le temps de la recherche. Qu’il y ait des lieux de recherche, (il en existe déjà) qui mêlent travail sur le public et lieu de recherche protégé où les compagnies peuvent se retrouver, un peu à l’écart. »
Stéphane Olry : « Tu imagines des pôles de radicalité plutôt que des pôles d’excellence ? »
Jean-Christophe Marti : « Oui, et ça n’est pas contradictoire avec le travail sur le public. »
Philippe Boutier : « On a proposé ça à Loïc Touzé dans la Creuse, il n’y avait pas le public, ça ne correspondait pas à ses ambitions. Ça s’est arrêté. »
Jean-Christophe Marti : « Je crois que cela est possible dans le cadre de politiques à long terme. »
Cécile Cholet : « Nous pouvons mutualiser l’administration, les acteurs éventuellement. Mais qu’est-ce que 2 metteurs en scène ont à faire ensemble ? Très peu de choses s’échangent entre des metteurs en scène. »
Stéphane Olry : « Je trouve très juste la position de Jean sur la programmation. Nous devons être capable d’assumer ce genre de mission. L’obligation de production est-elle obligatoire pour nous ? Nous générons de plus en plus d’objets artistiques qui se font concurrence les uns avec les autres.
Le commerce qu’on peut avoir les uns avec les autres pourrait être différent en variant nos postes : programmation, assistant d’un autre metteur en scène, producteur, que sais-je ? Pourquoi ne pourrait-on pas changer de casquette de temps en temps ?
Arnaud Didierlaurent : « Je crois en tout cas que la mutualisation n’est possible que sur un temps fini. Quand à l’idée de mutualiser les artistes, elle ne me paraît pas facile à mettre en œuvre.
Stéphane Olry : « Regarde François Rancillac à Saint-Étienne. Il a été très clair qu’il ne concevait pas de diriger le CDN seul, et il s’est associé dès l’origine à Berrutti qui co-dirige. Les Fédérés à Montluçon sont un autre exemple, plus ancien. »
Corine Miret : « Ma première compagnie de danse était la compagnie de Quentin Rouillier à Caen. Une année, il s’est trouvé qu’il n’avait pas d’idée de spectacle, il a appelé Georges Appaix pour qu’il fasse une chorégraphie avec nous. »
Dernière question à l’ordre du jour :
Quelles formes d’actions proposiez-vous pour obtenir l’abrogation du protocole ?
Philippe Boutier : « Démissionner ? »
Jean-Christophe Marti : « Les débats que nous avons ici sont un moyen d’action : il faudra ensuite les communiquer mais soigneusement. »
Catherine Bot annonce qu’elle va se rendre à Munich, faire la liaison avec les compagnies allemandes qui sont invitées à Avignon, sachant que le modèle allemand est caressé par nos interlocuteurs : 1 compagnie, 1 théâtre.
Martine Pisani sera à Berlin en avril. Elle se pose la question du festival de Montpellier avant Avignon.
Juliette rappelle que la coordination nationale va voter sa position concernant tous les festivals avant Cannes.
Arnaud Didierlaurent : « Je n’ai pas d’idée d’action précise. Le point qui me touche est le fossé qui se creuse entre les théâtres et les compagnies. Il nous faut faire de la pédagogie, impliquer plus les structures avec lesquelles on travaille, leur expliquer comment fonctionnent les compagnies. Les théâtres continueront d’exister, ils ne se rendent pas compte de la précarité dans laquelle sont les compagnies. Comme on est beaucoup en communication avec les lieux, en tant qu’administrateur, il faut leur parler de ça. Il faut orienter l’action plus vers les structures que vers les spectateurs. Il ne faut pas oublier qu’on ne défend pas forcément les mêmes intérêts que ceux des directeurs de structures. Ils ne sont pas au courant de comment on fonctionne. C’est consternant. Peut-être faut-il utiliser les RIDA pour faire circuler cette information ?
Stéphane Olry : « Nous autres artistes et techniciens, nous bénéficions d’une force incroyable, car depuis huit mois que nous nous battons, nous sommes encore ensemble. Un directeur de théâtre qui est mis en danger (par sa tutelle par exemple), est sensible à ce que nous racontons parce qu’il partage avec nous une certaine précarité, mais lorsqu’il est viré personne ne fait rien, ne dit rien. Il est seul. »
Philippe Boutier : « Il faut plutôt faire des actions pédagogiques vis à vis des élus, des politiques. »
Xavier Marchand : « Je suis un peu sec sur les actions à mener. »
Sophie Lecarpentier : « Tout tend vers un accroissement de la concurrence, il faut aller à l’inverse, aller vers la solidarité, le parrainage (par exemple proposer à des lieux qui nous programment de programmer une autre compagnie à une date) »
Arnaud Didierlaurent : « Peut-on imaginer une normalisation des prix de vente ? Un spectacle avec tant de personnes, c’est tant ? pour éviter la concurrence ? »
Cécile Cholet : « Ta proposition va vers des grilles de salaires. »
Arnaud Didierlaurent : « Il serait souhaitable qu’une petite compagnie ait de l’aide quand elle rencontre des difficultés, en contactant d’autres compagnies, des structures. »
Jean Boillot : « il faut cerner quel est l’ennemi. L’état, le MÉDEF, les directeurs de structures, les professionnels (ne faisons pas d’amalgames) ? Ainsi que les objectifs : demandons-nous uniquement l’abrogation du protocole ?
Il faut réfléchir aux exemples de la démission des chercheurs, de la grève massive des diplomates.
Le droit de vote est une arme. Il faut être convaincus qu’on peut changer les choses.
David Gouhier : « Les idées vont venir avec ce qui va se passer les prochains mois, et notamment avec la CGT. Il faut créer des agoras. Éviter l’annulation des festival pour qu’ils ne deviennent pas des lieux mort.
Ça va être lié aux élections aussi. »
Jean Boillot : « La spectacularisation des revendications me choque. C’est une manière de se faire avoir que de faire un spectacle sur la grève, sur les revendications. Par exemple, le « Cabaret du protocole » me gêne beaucoup. Quand on fait de la politique, on la fait dans la rue, dans les ministères, pas sur le plateau. (cf Genet)
Jean-Christophe Marti : « Nos adversaires pensent que les intermittents vont s’entredéchirer entre eux. Nos adversaires misent sur nos divisions et l’exacerbation de nos différences, sur notre incohérence. »
Stéphane Olry : "Ceux qui sont incohérents me paraissent être à ce jour le MEDEF et les partenaires sociaux. Je rappelle à cet égard, que sont données tous les vendredis ici des formations sur le protocole proposé par la CIP. Ces réunions ont pour but de nous rendre responsables de nous-mêmes. »
La séance est levée à 23h30.
La préparation de la prochaine réunion sera assurée par Jean-Christophe Marti, Sophie Lecarpentier, Corine Miret, Stéphane Olry.