Samedi 19 mars 2004,
10H à la CIP-IDF
1er compte rendu partiel et rapide et orienté autour des pratiques des
starhawks :
enfer et sorciers
• Le capital fonctionne par translation, par alliances. Il n’y a pas de
lieu du capital. Par contre il assigne des lieux à chacun : on
travaille pour Monsanto, donc la biologie, pas pour le capital ; on
travaille pour l’équipe de france de foot, donc pour le sport, pas pour
le capital. Ces alliances créent autant d’individus isolés, vulnérables.
• le politique se cantonne à la pédagogie (expliquer ce qui ne va pas,
ce qu’on va cependant faire) ou à la dénonciation (dire ce qui ne va
pas). Le reste est laissé aux experts.
• Les experts énoncent des « alternatives infernales » transformant les
revendications, les aspirations en mal : si vous créez de nouveaux
droits sociaux, les charges patronales augmenteront, l’embauche
baissera, le chômage augmentera...
de là, la politique devient insaisissable, impraticable sinon par des
initiés qui ne sont pas les politiques. On est dans l’élitisme, la
cooptation, l’obscur : on a un système de sorcellerie (qualifié de masculine par nos invités ). La réponse à ces sorciers, notre réponse peut
passer par une sorcellerie féminine : soyons des sorcières.
Poisons et recettes
La sorcellerie manipule des poisons. Nous sommes tous empoisonnés par
notre environnement, notre culture, notre « naturel ». Être sorcière
consisterait, plutôt que de clamer une pureté inhérente à nos idées,
notre mouvement, à notre position de contestataires (nous dans la manif
comme nous sommes purs), consisterait à nous reconnaître naturellement
empoisonnés et d’identifier les recettes (artifices donc) que nous
pouvons élaborer pour nous débarrasser de ces poisons. Il faut
fabriquer.
Il s’agit de trouver la puissance de « fabriquer ensemble » là où nous
sommes au moment où nous sommes. Que savons-nous faire ? qu’avons-nous
réussi ? Qu’avons-nous raté ? Ce sont les recettes.
Ces recettes représentent l’artificiel. Le naturel est à remettre en
question, il est poison. Dit comme ça, cela paraît sorti de la bouche
d’un gourou. Néanmoins, ce qui est à nous, ce qui est nous, ce que nous
fabriquons est artificiel, ce qui nous est imposé (culture, habitude)
est naturel, ne relève pas de notre choix, de notre action, nous ne le
possédons pas, nous le subissons.
Il est donc important d’identifier ces recettes pour les transmettre à
d’autres (intra/extra muros), pour en accueillir des autres.
Pratiquement cela veut dire savoir remettre en question, à tous les
niveaux de la cohorde, le travail fait, la matière de ce travail, pas
ceux qui l’ont fait (pas de psychologie). Tout échec porte en soi un
enseignement qu’il faut dégager. Toute victoire comporte des erreurs
qu’il faut savoir analyser (excusez de l’évidence) ; du problème, voici
ce qui mérite d’être rendu. L’ensemble est transmissible et ensemble.
Ainsi dans une assemblée, chaque parole (d’où qu’elle vienne) à même
valeur et doit être prise en compte.
vive la cip-idf
Il y avait donc dans cette discussion beaucoup de choses que nous
pratiquons déjà, mais leur énonciation était inédite ; entre autres les
concepts d’alternative infernale, de poison et de recette.
Je propose qu’en préalable à toute réflexion/discussion sur le
fonctionnement de la cohorde, nous identifions et nommions nos recettes
et non-recettes. Une AG sur ce thème s’impose. Non ?
Évidemment, toute recette est à remettre en question au fil des
événements.
2ème compte-rendu de cette réunion
Les deux intervenants ont présenté un programme de travail commun en chantier autour de la question de l’anti-capitalisme.
Philippe Pignarre présente trois types d’analyses proches aujourd’hui :
L’analyse de l’anthropologie des sciences : Bruno Latour pense que le capitalisme ne serait qu’un fantôme créé par l’anticapitalisme qu’on ne rencontre jamais vraiment. Il montre le danger de disparition du politique qui renvoit toutes les questions en direction de la science et des experts. Philippe Pignarre insiste sur l’impérieuse nécessité de revenir peupler le monde de la politique avec les questions d’écologie politique qui vont des problèmes des baleines, aux prions, aux OGM, au solaire...
La position de Greenpeace représente une autre démarche qui, en se concentrant sur des objectifs précis, ne se pose pas comme anti-capitaliste mais plus « comme des gêneurs que des dénonciateurs » selon l’expression d’Isabelle Stengers.
Enfin la tradition marxiste fonde son anticapitalisme sur une pensée théorique inverse mais tout pareillement systémique qui nous positionne dans la dénonciation du système et qui renforce sa domination en nous plongeant dans la même pédagogie de la théorie de la valeur...( « il faudrait interdire le tome 1 de la théorie de la valeur de Marx ! ! »).
Il y a donc nécessité de construire un anti-capitalisme pragmatique, qui nous décoince des « alternatives infernales », dans lesquelles nous enferme le capitalisme global. Les socialistes font ainsi disparaître la politique dans la pédagogie de la réalité économique fabriquée par des experts, en nous réduisant aux alternatives plus d’emplois et moins de droits, où on se trouve coincés entre des faux choix de statuts élitaires et une précarisation qui concernent intermittents, enseignants, chercheurs et tous les autres.
Isabelle Stengers propose de considérer le Capitalisme comme maléfique et masculin, qui doit être affronté en faisant un pas de côté dans une démarche de désenvoutement féminin au sens des pratiques des sorcières américaines de Starhawk ( cf Parcours d’une altermondialiste et cf Comment nous avons bloqué l’OMC Multitudes n°1).
Ainsi elle oppose sciences nomades et sciences royales, en référence à Gilles Deleuze et Felix Guattari : Remettre en cause l’approche des problèmes selon les grandes catégories théorématiques prédéterminées qui quadrillent l’espace, y compris celles du marxisme qui pense aussi détenir les catégories définitives, pour s’engager dans des pratiques nomades plus liées à une pertinence de nos situations et de nos pratiques. L’exemple du mouvement « Sauvons la recherche » montre cette conception royale de balisage de tous les problèmes autour de l’excellence et de la mobilisation (dans son sens militaire) hiérarchique dans lesquelles les chercheurs précaires ne vont pas se retrouver.
En quoi avons nous été vulnérables se demande Isabelle ? Nul ne se sent ni se déclare au service du capitalisme, éventuellement peut être au service du marché, de la nation, du progrès. Notre vulnérabilité vient en partie de notre alliance avec ces catégories qui fantomatisent le capital et la politique. La notion de convergence est aussi une vulnérabilité si elle est seulement défensive, si c’est l’ennemi qui nous fait converger.
Comment donc fabriquer une autre position, le pas de côté ? Isabelle propose la notion de « recettes », chercher nos propres pratiques alternatives et les rendre cumulatives en les échangeant. Il faut dépasser les nostalgies du passé ( de « l’Etat bon père de la culture ou de la science »), et produire une culture d’expérience des luttes. Il faut transmettre ces recettes pour se réapproprier nos puissances d’agir, rendre cumulatif les spontanéismes pour qu’il ait place pour un bilan, en éviter la certitude que nous sommes bons parce que nous sommes en lutte, être conscient que « nous sommes tous empoisonnés » par les « alternatives infernales » et qu’il faut d’abord dépister chez nous les poisons.
Un long débat a repris les catégories proposées pour proposer trois types de réponses et de recettes possibles contre les poisons :
a) Se réapproprier des territoires.
A partir de divers exemples de luttes pour des revendications de terres ou de métissage ou de migration, Isabelle rappelle que nous sommes tous des colonisés et que les sorcières de Starhawk se définissent précisément comme païennes, c’est-à-dire des paysannes hors la ville, sur leur propre territoire. Réelle ou virtuelle, cette reterritorialisation s’oppose au processus de dépossessions ( Karl Polanyi) et de détachements ( Felix Guattari), en construisant des coopérations alternatives aux stratégies de dispersion et de déterritorialisation de l’Etat et du Capital. La comecol a ainsi décidé de s’interroger sur d’autres puissances publiques que celle de l’État pour aborder d’autres statuts.
b)Lutter ici et maintenant contre les poisons :
Comment agir, ici et maintenant, contre l’exclusion ou l’enrôlement qui attaquent le fonctionnement de tout groupe ? Comment aussi réaliser nos désirs, et le besoin, de convergence entre différents mouvements ?
S’affirme la nécessité de fabriquer de l’immanence : pas seulement proclamer la démocratie mais surtout créer les situations où chacun est amené à prendre la parole et écouter l’autre. Comment ne pas se perdre dans les ryzomes, comment rendre créatifs les agencements entre intermittents, enseignants, chercheurs, agitateurs anti-pubs... ?. Par exemple faire circuler l’expérience des intermittents dans le mouvement des chercheurs pour sortir de l’empoisonnement du système de la culture comme de la recherche par la hiérarchie de l’excellence qui conduit à de fausses alliances précaires- directeurs de labo- Etat sur la seule question des postes. Comment arriver à avoir un effet cumulatif de cette expérience multiple.
La vie même du CIP-IDF, sa capacité à créer un lieu collectif de vie et de formation d’un espace politique de savoirs et d’expériences et d’expertise collectives, ont été beaucoup questionnées. Forte affirmation de la nécessité non seulement de respecter le droit à la parole et les idées différentes ou divergentes mais surtout de créer des situations et agencements qui permettent de casser les rapports hiérarchiques de compétences et les énoncés transcendantaux.( cf les l’expériences de Felix Guattari ou de Starhawk) .L’important ici est l’idée d’arriver à mutualiser les expériences du groupe.
c) Nécessité enfin d’investir et d’infester l’institué toujours dans l’ici et le maintenant :
La recette du joyeux bordel des intermittents fait partie des techniques nomades des sorcières, avec l’idée des occupations d’endroits où l’on n’est pas attendu ou entendu, le « teach in » américain qui occupe les lieux du pouvoir pour dire les problèmes.
Act Up a ainsi fabriqué sa propre expertise en introduisant les pratiques des malades dans un processus scientifique de laboratoires jusqu’alors fermés. D’autres associations ont créé envers et contre l’Etat et les multinationales des expériences citoyennes. Philippe cite aussi le téléton qui a introduit la demande des familles dans les labos publics. Il faut aller voir ce qui se passe dans le milieu de la recherche privée pour sortir du blocage recherche publique- recherche privée et voir les alliances possibles au-delà de l’institué.
Isabelle dira avant de partir que, si nous sommes tous empoisonnés, nous ne sommes pas tous coupables : refuser la psychologisation de chacun pour essayer collectivement d’énoncer les poisons, de fabriquer nos anti-poisons et de transmettre les recettes.
Dans ce sens il a été proposé de prolonger ce débat au sein de la CIP.
Prochaine réunion du groupe écoles avec étudiants, enseignants, chercheurs, mardi 22 mars 2004, 18H