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Abrogation, Expertise, Négociations, Comme des mots. Commission des mots

Publié, le mardi 6 juillet 2004 | Imprimer Imprimer |
Dernière modification : mardi 18 mars 2014




Vous trouverez d’autres articles réjouissants de la Commission des mots, d’un clic ici-même


ABROGATION : action d’abroger
ABROGER : déclarer nul ce qui avait été établi, institué.


ABROGER est emprunté au latin abrogare « enlever son crédit à quelqu’un » et « supprimer par une loi », d’où « supprimer ».

Le français ABROGATION a gardé le même sens que l’ABROGATIO latine : en termes juridiques, l’action d’abroger, de casser, annuler, supprimer une loi.

Le verbe est composé de :
ab-  : l’idée de séparation, de privation et négation
+
rogare
 : « demander, prier, solliciter »
« inviter, faire venir, mander »
« interroger, questionner »
« demander (à qqn) son avis, son vote, consulter officiellement »
« présenter un projet de loi »
« proposer (un candidat) »

.
ROGARE non préfixé a donné quelques mots français :


les ROGATIONS sont, dans la religion catholique, les cérémonies qui se déroulent pendant les trois jours précédant l’Ascension, et qui ont pour but d’attirer les bénédictions divines sur les récoltes et les travaux des champs.


L’adjectif ROGATOIRE  : relatif à une demande. La Commission (tiens tiens...) rogatoire est adressée à un tribunal par un autre pour un acte de procédure ou d’instruction qu’il ne peut faire lui-même.


le ROGATON a une jolie petite histoire. Le latin rogatum signifie « la demande ». Le rogaton a d’abord servi à désigner une assignation, une convocation, l’expression porteur de rogatons (1637) désignant l’officier chargé de porter cette convocation. Désignant un religieux mendiant qui porte les reliques et les indulgences (1534, Rabelais), elle est ironique, de même qu’à propos de ceux qui présentaient de courts poèmes louangeurs ou des placets aux grands seigneurs dans l’espoir d’obtenir de l’argent (1640). À l’époque classique, le mot signifie en général « placet pour demander une aumône » (1690) ; il s’emploie familièrement au sujet d’une petite pièce littéraire sans importance (fin XVIIe s.)et d’une nouvelle du jour, de peu d’intérêt (1676, Mme de Sévigné).
De nos jours, le mot n’est plus guère employé qu’avec les sens général dépréciatif de « chose de rien » (1662), au propre et au figuré (1860, Baudelaire), comme bricole, brimborion, etc., et surtout avec le sens spécial de « mznus débris de nourriture (de viande en particulier), restes d’un repas » (1694) et spécialement pour un plat composé des restes d’autres plats (1740). De nos jours, avec le sens général de « résidus, restes », il est toujours péjoratif et dérisoire.



L’abrogation a beaucoup de cousins, par le rogare en question, et ses dérivés préfixés :

S’ARROGER, ET L’ARROGANCE :
ARROGARE = ad + rogare
* « interroger, questionner »
* « adjoindre, associer »
* adopter (une personne majeure ou émancipée »
* « attribuer »
Et par l’expression verbale arrogare sibi  : « revendiquer comme sien ce qui appartient à autrui, s’attribuer, s’arroger » ;
D’où l’ arrogantia « prétention, hauteur, arrogance » ;
l’ arrogans est celui qui s’arroge des droits, des prérogatives, un honneur.

DÉROGER, ET LA DÉROGATION :
DEROGARE = de + rogare
* « abroger une ou plusieurs dispositions d’une loi, déroger à une loi »
* « ôter, retrancher »

INTERROGER, ET L’INTERROGATION, ET L’INTERROGATOIRE :
INTERROGARE : Inter + rogare
* « interroger, questionner, demander »
* plus spécialement « interroger en justice, faire subir un interrogatoire »
* et en philosophie « argumenter, faire des déductions ».


LA PRÉROGATIVE :
PRAEROGARE : prae + rogare
* « demander d’abord, d’avance »
D’où praerogativus : « qui est appelé le premier à donner son avis, qui vote le premier ».
D’où « indice, présage, préalable », et « préférence, privilège ».
La praerogatio est le privilège, la prérogative.


PROROGER, ET LA PROROGATION :
PROROGARE : pro + rogare
* « prolonger, accorder une prolongation »
* « différer, ajourner »
* « escompter, payer d’avance »
* « étendre, propager »

SUBROGER ET LA SUBROGATION :
SUBROGARE : sub + rogare
* « faire choisir par le peuple un magistrat à la place d’un autre »
* « élire en remplacement d’un autre, subroger »



plus trois verbes latins qui ne sont pas parvenus jusqu’au français usuel :

CORROGARE (cum + rogare) :
> « amasser, réunir, par prière ou convocation »
La corrogatio est une « réunion d’invités »
Ce qui eût pu donner le verbe corroger : prier de se rendre à une réunion ;
Et la corrogation : réunion, assemblée convoquée.
ex : « vous êtes invités à la prochaine corrogation générale de la CIP-IDF »

IRROGARE : in + rogare
* « proposer contre, prononcer contre »
* « imposer, infliger »
Ce qui eût pu donner le verbe irroger  : infliger,
et l’irrogation : infliction, fait d’infliger

ex : si nous obtenons l’abrogation du protocole, nous aurons irrogé une jolie défaite au gouvernement.

PERROGARE : per + ogare
* « demander successivement à tous »
Ce qui eût pu donner le verbe perroger : demander successivement à tous
et la perrogation  : consultation de tous

ex : La perrogation est, ou en tout cas devrait être systématique à la Coordination.



Bon. On voit donc que l’abrogation fait partie d’une famille de termes juridiques, de droit, où la notion de procédure n’est pas un vain mot. La racine latine implique que l’abrogation est le fruit d’une demande, d’une sollicitation.
Elle raconte aussi qu’il y a là une certaine idée d’un objet qui a perdu son crédit, et qui de fait mérite son abrogation, puisque sans valeur. Ce qui justifie de fait la demande de suppression.

Une abrogation, c’est étymologiquement quelque chose que l’on demande ; et que l’on obtient, donc.

On demande bien l’abrogation du protocole.



INTERROGEONS,
DÉROGEONS A LA REGLE,
PROROGEONS LA LOUTTE,
SUBROGEONS LES MINISTRES DE LA CULTURE,
ARROGEONS-NOUS LES PRÉROGATIVES,
CORROGEONS,
IRROGEONS,
PERROGEONS,

ABRÉGEONS : ABROGEONS !!!!!!!!!!!!



et vive la commission (ab)rogatoire de la Cip-idf .

la commission des mots.




Commission des mots, article « EXPERTISE ».



D’abord un regard sur la définition, telle qu’énoncée par le Petit Robert.

« Expertise n.f. (fin XVIIIe ; expertice habileté 1580 ; de expert).Mesure d’instruction par laquelle des experts sont chargés de procéder à un examen technique et d’en exposer le résultat dans un rapport au juge. Jugement ordonnant l’expertise. Évaluation d’un dommage par expertise. Nouvelle expertise. V. Contre-expertise. Expertise médico-légale. Estimation de la valeur d’un objet d’art, étude de son authenticité par un expert. L’expertise a établi que ce tableau est une copie.Compétence d’expert. Le laboratoire apportera son expertise à l’industrie. »

« 
Contre-expertise n.f. (1869 ; de contre-, et expertise). Expertise destinée à en contrôler une autre. »



Trois champs donc.
Dans l’ordre : la justice, l’art, et la compétence.

Pas mal.

# Une affaire de justice pour commencer. Du sérieux. Du qui va se prononcer, après lecture. Du qui va envoyer au trou, du qui va innocenter. Du qui va aider le juge à dire. Éventuellement avec la contre. Expertise. Comme quoi l’expertise ne suffit pas forcément. Elle peut être contrôlée par un autre expert. Histoire d’être sûr.

# Puis une affaire d’art. Estimation. Estimer. Joli verbe. Etre en estime. Estimer quelque chose, estimer quelqu’un. Affaire d’authenticité. Dégoter la copie, le faux, l’arnaque. Donner un prix. De vente. L’art d’accord, mais à quel prix l’œuvre ?? Valeur.

# Enfin, la compétence. L’expertise, qualité de celui qui est expert. Par l’expérience. À force de faire, on sait. Mais pour savoir, il faut avoir fait.


Le mot expert est resté un adjectif pendant des siècles. Il signifiait juste alerte, adroit, qui a acquis par l’expérience une grande habileté. Juste un qualificatif, notamment d’une partie du corps : un œil expert, une main experte.
Ce n’est qu’au XVIe qu’il est devenu substantif, un expert : un spécialiste ; et au début du XVIIIe, qu’il s’est spécialisé en droit.

Nous sommes bien les experts. Je suis un expert de ma vie.

Bon. Étymologie.


« EXPERT est la réfection (début XIVe) de espert (1252-1262), issu du latin expertus éprouvé, qui a fait ses preuves, participe passé adjectivé de experiri éprouver, faire l’essai. Le verbe est formé de ex- (> ex-) et d’un ancien verbe °periri seulement attesté par le participe passé peritus qui a l’expérience de, habile à (> expérience). »


La racine indo-européenne en est le thème °per-  : idée d’aller de l’avant, de pénétrer ; qui a donné bien des choses en somme :
péril, pirate, pirouette, pore, porosité, porche, port, péroné, importun, opportun, -isme, porter et ses dérivés préfixés, portulan, péricliter, impéritie, empirique, -isme, et d’autres encore.
Dont l’expérience donc, et l’expertise.




- Quoi fait le lien ? Expérimenter, expertiser, c’est faire l’essai de quelque chose, donc oser, tenter, aller de l’avant.
Rentrer, éventuellement dans le chou. Dans le gras. Dans le vif.
Du sujet.



La Comme des mots note quoi.
Que cette frénésie d’expertite aiguë qui caractérise la prise de décision politique depuis une paire d’années, éloigne le mot de son sens. L’expert doit parler « d’expérience », son rapport est sensément une restitution de son expérience, de sa pratique.
En ce sens, nul n’est plus expert que moi en ce qui concerne ma pratique.

On reliera donc cette « expertise » à nos « premiers concernés » ; les premiers concernés sont les experts.



NOTA BENE
 : Le mot « concerné », du verbe « concerner », n’a aucun rapport avec le verbe « cerner ». Les concernés ne sont pas cernés, malgré les apparences...Les cernes, le verbe cerner, sont issus du latin cirnicus « compas, cerceau », diminutif de circus « cercle ».

Concerner vient du latin concernere « cribler ensemble, mêler » et « voir, considérer l’ensemble de quelque chose », d’où « mettre en rapport ».
Concernere serait un dérivé de concretus « qui a pris une consistance solide, fort, épais » (>concret), de concrescere « croître par agglomération », rattaché à la famille de crescere « pousser » « grandir, s’accroître » « arriver à l’existence », qui a donné croître, et dont le verbe transitif correspondant est creare « faire pousser, grandir, naître » (> créer).



crescere CROÎTRE------------------------------------------ creare CRÉER CRÉATION


concrescere


concretus ------------> CONCRET


concernere -----------> CONCERNER <br


===========================LES PREMIERS CONCERNÉS <br


Commission des mots, article « NÉGOCIATIONS ».

Négociation n. f. (1323) représente le latin negociatio , -onis « commerce ». Anciennement, il désigne une activité commerciale et, dans un cadre plus vaste, se dit d’une affaire, d’une occupation (1330), sous l’influence de négoce.
L’usage moderne l’emploie essentiellement pour l’activité déployée en vue de parvenir à un accord concernant les activités publiques ou privées. (1544). Depuis le milieu du XIXe siècle, c’est aussi un terme de bourse désignant le marché passé dans les bourses de commerce ou des valeurs.
in Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française


Négociation vient bien entendu de négoce.
Qui nous raconte des choses sur le droit, le juridique d’abord, puis sur le commerce.

Négoce a d’abord, au pluriel, signifié « occupations, affaires, intérêts ». Puis le juridique « discussion en vue de l’élaboration d’un texte », sens repris par négociation.
Au XVIIe s., c’est l’économie qui l’utilise, pour la valeur moderne d’« activité d’échange ou de commerce à petite ou grande échelle » ; ce sens disparaît peu à peu, en se spécialisant dans le commerce de gros, les activités d’organismes financiers et de l’import-export.
Le négoce est devenu archaïque, remplacé par le commerce.
Le verbe négocier, lui, est resté vivant, dans le sens de « discuter avec qqn pour arriver à un accord » (1559), notamment dans le domaine des relations internationales.
À noter que par l’anglais to negociate , on négocie plus ou moins bien un virage, une difficulté apparue, une complication, voire une situation défavorable.

Bon. Le négoce , terme souvent juridique, parfois commercial, mais limite en voie de disparition, concurrencée par le mot commerce lui-même.

Négoce est issu du latin negotium ,
qui signifie « affaire, occupation »,
et ensuite « difficulté, embarras »,
voire « chose, affaire ».


Très bien.

Mais c’est l’origine du mot latin lui-même qui est frappante :


Negotium est tiré de la contraction d’une phrase toute simple en latin :

MIHI NEG OTIUM EST


À MOI PAS DE LOISIR IL EST

je n’ai pas le loisir de.

>> j’ai affaire, je suis occupé.


C’est-à-dire que negotium signifie donc littéralement
« le non-temps libre »,
« l’absence de loisir, de temps non travaillé »...


C’est le mot OTIUM qui attire donc notre attention.
OTIUM est un mot latin d’origine inconnue pour le coup, qui caractérise le loisir, le temps de repos laissé par les affaires, l’inaction, l’oisiveté.
C’est également la paix, la tranquillité, le calme.

Le temps dont on dispose pour soi, en somme.

L’adjectif correspondant, otiosus , signifie donc « qui a du loisir, oisif, inoccupé, désœuvré »
Quand il qualifie de l’argent, c’est de l’argent qui repose, ne rapporte rien.
Otiosus signifie aussi « neutre, qui ne se mêle de rien »,
« consacré au repos »,
« tranquille, calme »,
et aussi « oiseux, inutile, qui ne sert à rien, superflu ».

Et précisément, otium a donné en français : l’oisiveté, oisif, oiseux ; en italien : il ozio ; en espagnol : el ocio, en portugais : o ocio.


Épatant de voir que la négociation est proprement opposée au temps de loisir....


Alors bien sûr, il faudrait travailler plus profondément sur la notion de temps libre dans le monde romain... La démocratie romaine était exercée par l’assemblée des hommes libres. L’esclave travaillait, lui, mais le citoyen n’était pas dans un rapport au travail. Il faisait travailler par contre. Il négociait.
Ceci dit, il me semble que les hommes, même « libres », n’avaient pas nécessairement tous le même rapport au travail et au loisir (il manquerait plus...), puisque le negotians, « celui qui n’a pas le temps de se reposer », est le banquier, le négociant en gros, et que le otiosus homo « celui qui a du loisir » est le désœuvré.
On peut tout de même sûrement dire que les acceptions de ces termes sont bien différentes dans le monde romain et dans le monde moderne.
L’oisiveté est perçue dans le monde moderne comme un défaut, un trait de caractère plutôt négatif, et l’oisif, comme un individu peu enclin à faire sa part de travail, ce que la société peut lui reprocher. Et le négociant comme celui qui bosse, que ce soit pour lui ou pour la collectivité.
Le monde latin, lui, ne déprécie pas particulièrement la notion d’oisiveté, la reliant plutôt à la paix et la tranquillité, et dans le même temps donne au negotium , son contraire, une valeur d’embarras, de tracas, de problème.


Bon, voilà.
Il est assez extraordinaire de voir que le champ du mot négociation recoupe celui de l’oisiveté, surtout dans le cadre de notre loutte, qui pose la question du temps travaillé / temps déclaré / temps rémunéré, qui essaie de réfléchir sur le couple travail / temps libre, qui pense l’intermittence comme la possibilité de disposer de temps entre les périodes travaillées, un temps peut-être « oisif », mais qui a ce mérite...

Surtout dans ce monde du XXIe siècle, où la culpabilisation opérée sur le chômeur-qui-ne-veut-pas-retrouver-du-travail est une pression de tous les instants.


Toute intervention sur le rapport OTIUM / NEGOTIUM, TEMPS LIBRE / TEMPS TRAVAILLÉ, LOISIR / TRAVAIL est la bienvenue, notamment dans le monde romain. Sans parler des Grecs...

La commission des mots.

Post-Scriptum :
remerciements aux dictionnaires, et à la petite discussion avec Maurizio.



Document(s) à télécharger :

Négociations

Taille : 10.2 ko
Mise en ligne le : 6 juillet 2004

Expertise

Taille : 10.6 ko
Mise en ligne le : 6 juillet 2004

Abrogation

Taille : 18.2 ko
Mise en ligne le : 6 juillet 2004

Après bien des soucis avec une Ville de Paris qui s’était pourtant engagée à nous reloger, la coordination a dû déménager pour éviter une expulsion et le paiement d’une astreinte. Nous sommes actuellement hébergés à la commune libre d’Aligre.

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