Pourquoi suis-je solidaire du mouvement de défense des intermittents ?
Parce que la réforme qui leur est imposée est injuste et destructrice.
Parce qu’elle ne lutte aucunement contre la fraude des grandes entreprises de
l’audiovisuel et du spectacle (presque) vivant, qui plombe en réalité
l¹ASSEDIC.
Parce que la tentative de division de nos métiers entre acteurs
et techniciens (où sont rangés de surcroît les créateurs de lumière,
costumes, son, scénographies, images, tous artistes que je sache !) est
petite et manoeuvrière.
Parce que la transformation des CDI en CDD et des
CDD en vacataires est devenu la règle dans nos métiers.
Parce que la souplesse
et la flexibilité, que nous revendiquons comme une philosophie de vivre
notre art, sont devenues l’instrument d’un asservissement généralisé.
Parce
que la création indépendante est au bord de l¹étouffement, avec il faut
bien le dire l’accord tacite de trop nombreux de directeurs de théâtre.
Parce
que les producteurs indépendants ont dû l’un après l¹autre jeter l’éponge.
Parce que l’action destructrice du MEDEF (où ne siège aucun patron culturel !)
et du gouvernement ne va bien sûr pas s’arrêter là, mais, de coups de force
en grignotages, laminer l¹espace de l’innovation.
Parce que derrière
l’attaque de la spécificité légitime d’un statut, il s’agit de la remise en cause du
concept de solidarité interprofessionnelle, qui sera demain généralisable
à toute branche « déficitaire » de la société, et ensuite privatisable.
Parce que derrière la mise en cause de la solidarité interprofessionnelle, il y
a aussi la mise en cause de la solidarité intergénérationnelle (on le voit
en ce moment même dans l’introduction de la capitalisation dans le régime des
retraites), et la mise en cause de la solidarité interclasses
(riches-pauvres), bientôt sur vos écrans, à la rentrée (réforme Sécu) !
Derrière ces remises en cause, un projet de destruction de la cohésion et
de la cohérence d’une société, un projet d’ individualisation sociale et
d’atomisation des personnes au pur profit d’une expansion sans limite, et
sans doute à terme suicidaire, du libéralisme.
Parce que l’OMC prépare
déjà ses attaques juridiques contre nous, au prétexte que nos oeuvres
(subventionnées) feront une concurrence déloyale aux majors de
l¹entertainment.
Parce que trop c’est trop, et qu’au delà de tout cela il
y a tout simplement le déni du droit d’un Etat de promouvoir un intérêt
général, la culture, comme la santé, ou l’éducation, contre des intérêts
particuliers.
Nous nous sentons donc en solidarité avec les métiers de l¹éducation qui
se battent pour une formation de l’être humain et non son adaptation à
l’acheter-vendre, des architectes qui se battent contre le projet
d’ouverture totale des marchés publics au clientélisme et à la corruption,
des libraires et bibliothèques qui résistent au rouleau-compresseur de la
concentration et de la sous-culture industrielle, des éditeurs
indépendants qui se contenteraient bien de la marge de 3 et 4 % nécessaire à
l’équilibre de leur activité en lieu et place des 15 % exigés par leurs actionnaires,
des chercheurs et des conservateur qui se battent pour que les musées
soient d¹abord ouverts à la connaissance fondamentale et non aux produits
dérivés, des archéologues qui se battent pour que la recherche
désintéressée prévale quelque jours sur le bulldozer des intérêts commerciaux, etc,
la liste n’est pas limitative...
Et nous serions heureux aussi de la
solidarité des emplois permanents, qui dans le monde du spectacle vivent de et avec
la création des artistes, des intermittents du privé qui font les Goofy et
les Mickeys chez Disney, les animations commerciales dans les grandes
surfaces, les concerts de Johnny ou de Bruel, assurent les prises de vues du Loft,
font vivre le Tour de France !
Certes, il ne serait ni sain ni logique que les structures publiques qui
offrent encore un soutien à l’art et à la création soient les seules
pénalisées quand les grandes entreprises de commerce sous-culturelles, à
commencer par les télévisuelles, continueraient impunément leur
décervelage quotidien, alors que ce sont eux les plus grands responsables du grévage
des comptes de l¹Unedic et qu¹en maquillant leurs emplois permanents en
vacataires, ils fraudent quotidiennement la loi.
Il nous faut donc inventer des formes d¹action qui touchent aussi
celles-là.
Développer les solidarités hors notre petit monde du spectacle. Et obtenir un débat ouvert qui mette aux yeux de tous les responsabilités là où elles
sont !
Et parce que jouer du violon sur le Titanic, c¹est très très beau, mais aussi très con.
Jacques Rebotier