« Mais laisssez-moi parler ! », tente, encore une fois,
Renaud Donnedieu de Vabres. Il est 13 heures, jeudi 12
janvier. A la Cité de l’architecture et du patrimoine,
au Palais de Chaillot, à Paris, le ministre de la
culture et de la communication vient d’achever son
discours de voeux, constamment interrompu par un
groupe d’intermittents. Un vrai chemin de croix.
Les militants de la Coordination ont estimé que cette
cérémonie était l’occasion de rappeler au ministre les
engagements qu’il a pris à l’égard des artistes et des
techniciens du spectacle et qu’il n’a pas tenus, pour
l’instant. Plus efficace qu’une tarte à la crème dans
le visage ! Il fait un froid de canard à la Cité du
patrimoine et de l’architecture, dont l’ouverture,
plusieurs fois retardée, est annoncée aujourd’hui pour
« février 2007 ». Ce n’était pas un bon jour pour le
ministre.
Plutôt que de répondre aux critiques, M. Donnedieu de
Vabres a continué à égrener, imperturbable, les
projets de l’année 2006. Au risque de ne pouvoir finir
ses phrases : alors qu’il évoque "les nouveaux espaces
disponibles du Palais de Tokyo", une militante
l’interrompt : "Nous, nous pouvons parler des petites
compagnies qui disparaissent !« Et ainsi de suite. »La ferme !", finit par lâcher un monsieur cravaté, à
l’intention des trouble-fête. Un journaliste de RFI
râle, il n’arrive pas à enregistrer l’allocution du
ministre. "Désolé, on perturbe le son, mais notre vie
est perturbée", lui explique en aparté un intermittent
qui vit aujourd’hui « du RMI ». Puis, à voix haute :
"Les festivals, les remises de prix, les cérémonies ne
pourront se dérouler dans de bonnes conditions."
La colère des intermittents est à la hauteur des
attentes que M. Donnedieu de Vabres a suscitées, en
formulant de nombreuses promesses depuis son arrivée
Rue de Valois, au printemps 2004 : ainsi, il s’était
engagé à ce qu’un nouveau système d’assurance-chômage,
« pérenne et équitable », voie le jour au 1er janvier en
remplacement du protocole de juin 2003, contesté de
toutes parts. A défaut, avait-il ajouté, le
gouvernement prendra ses responsabilités devant le
Parlement, en déposant un projet de loi. Le 22
décembre, les partenaires sociaux, réunis au siège du
Medef, ont prorogé les annexes 8 (techniciens) et 10
(artistes) de l’Unedic et reporté les discussions au
début de l’année 2006 (Le Monde du 24 décembre 2005).
Une nouvelle réunion paritaire est prévue le 18
janvier. "Alors pourra commencer la vraie négociation
(...) dont les partenaires sociaux doivent fixer le
calendrier précis", a indiqué le ministre, qui s’est
voulu rassurant.
Quid de la date limite du 31 décembre que le ministre
s’était fixée pour régler le conflit ? "Je suis moins
attaché à un butoir de calendrier, sur lequel je sais
pourtant que le gouvernement est observé, qu’à une
négociation approfondie", explique-t-il à présent.
Aujourd’hui, les intermittents se demandent si le
ministre a encore la main sur le dossier. La
Coordination comme la CGT-Spectacle redoutent que les
partenaires sociaux se bornent à toiletter la réforme
de 2003, tout en maintenant ses principales
dispositions.
A la fin de son discours, le ministre de la culture a
été chaleureusement applaudi par des invités qui
souhaitaient visiblement manifester leur solidarité.
Mais le répit fut de courte durée. Dans le brouhaha a
émergé cette phrase assassine : "Monsieur Aillagon,
quand est-ce que vous démissionnez ?", a lancé un
homme en faisant allusion au prédécesseur de M.
Donnedieu de Vabres, qui n’a pas su gérer la crise des
intermittents, déclenchée par la signature du
protocole de juin 2003.
Devant les micros, le ministre a esquivé les réponses.
Le projet de loi annoncé est-il toujours d’actualité ?
"Je ne vais pas partir du principe que les
négociations vont échouer. A chaque jour suffit sa
peine..." Le gouvernement donnera-t-il son agrément à
l’accord si celui-ci ne lui semble pas équitable ? "Le
gouvernement appréciera l’ensemble du texte."
Devant les caméras de télévision, cinq ou six
militants brandissent des tracts, en scandant :
« Chômeurs, intermittents, précaires, non agrément ! »
Le directeur de cabinet du ministre, Henri Paul, fait
la grimace. Quand il sort du Palais de Chaillot, vers
13 h 30, l’ambiance n’est guère plus engageante :
derrière huit cars de gendarmes, une centaine de
manifestants crient : "Donnedieu, démission, menteur
!"
Clarisse Fabre
, Le Monde du 13 janvier 2006, rubrique « Culture »