Boom de la précarité, hausse de l’inactivité des jeunes, détournement de l’indemnisation, le système demeure en crise et très déficitaire.
L’assurance chômage à bout de souffle
par Muriel GREMILLET
Article paru dans Liberation du jeudi 22 décembre 2005
Accord ou pas dans les jours à venir, le nouveau psychodrame de l’Unedic aura eu au moins une vertu : celle de montrer une bonne fois pour toutes que le système d’indemnisation du chômage français est au bout du rouleau. Et qu’un replâtrage de plus, aussi équilibré soit-il, ne permettra pas aux partenaires sociaux de faire l’économie d’un travail de refonte de la doctrine. Pour la première fois, tous en sont conscients. Au point que les syndicats souhaitent se remettre autour de la table en 2006 pour parler de l’avenir de l’assurance chômage, en dehors de toute urgence à trouver un accord.
Montée inexorable.
Le déficit de près de 14 milliards d’euros de l’institution et le taux de chômage persistant ne sont que des signes de l’épuisement du système. D’autres éléments, plus discrets, accablent l’assurance chômage. Ainsi, plus d’un chômeur sur deux ne bénéficie pas des allocations, faute d’avoir cotisé suffisamment longtemps ou à cause d’un emploi atypique, à temps partiel ou saisonnier. Résultat, c’est la solidarité nationale, l’Etat (ou demain les collectivités locales), qui doit pallier cette exclusion. Alors même que certains de ces chômeurs ont une activité. Depuis quelques années, on assiste ainsi à la montée inexorable du nombre des bénéficiaires du RMI ou de l’ASS (Allocation spécifique de solidarité), dernier filet de sécurité pour des chômeurs en fin de droits, ou sans droits.
Parfois même, c’est la Sécurité sociale qui supporte indirectement le risque chômage. Avec une autre discrimination encore plus sournoise, révélée par le Cerc (Conseil de l’emploi des revenus et de la cohésion sociale) présidé par Jacques Delors : une aggravation constante de la situation des jeunes sur le marché de l’emploi, avec un taux de chômage des moins de 25 ans culminant à près de 23 %. « Notre système de distribution des revenus de remplacement est pénalisant pour les jeunes, dit l’ex-président de la Commission européenne. Le RMI n’est pas accessible aux moins de 25 ans, et l’ASS (...) suppose d’avoir travaillé pendant une longue période pour la toucher. »
Le système d’assurance chômage n’a pas su non plus digérer la montée de la précarité et des nouvelles formes d’emploi. En 1958, la création par les partenaires sociaux, à l’instigation de l’Etat gaulliste, du régime d’assurance chômage avait répondu à la crainte d’une crise économique. Mais à l’époque, le plein emploi était là. Le CDI était la norme, jusqu’au tournant des années 80. Le chômage n’était encore qu’un risque. Aujourd’hui, il est hélas un passage obligé, partie intégrante d’une carrière professionnelle. Le boom des contrats précaires fragilise l’édifice. Au point qu’en début de négociations, le 8 novembre, les syndicats, FO en tête, souhaitaient surtaxer le travail précaire (CDD ou intérim qui représentent la majorité des créations d’emplois aujourd’hui), comme cela se fait en Espagne.
Salariat en pointillé. Plus de 30 % des inscriptions à l’ANPE ont lieu à l’issue d’un contrat précaire, CDD ou intérim. Certaines entreprises abusent de ces contrats, en expliquant aux salariés que dans les périodes de non-emploi, c’est l’assurance chômage qui assurera le maintien de leurs revenus. Ce qui ressemble au détournement du système de l’intermittence dans les industries de la culture... Ce salariat en pointillé est très mal assuré par les filières existantes d’indemnisation du chômage. Et même si elles vont être améliorées (lire page 7), on est loin de ce que préconisent certains experts : une relative proportionnalité et un rapport linéaire entre la durée passée dans l’emploi et l’indemnisation. Ainsi que des écarts moindres dans les allocations versées, notamment entre cadres et non-cadres. Dans leur rapport sur la précarité de l’emploi, Pierre Cahuc et Francis Kramarz relevaient que « 10 % des chômeurs les mieux indemnisés perçoivent près de 30 % des dépenses d’indemnisation du chômage ».
Pourtant, personne ne semble prêt à mettre la question d’un plafonnement des indemnités sur la table. « Retrouver du travail coûte cher », explique Michel Dollé, rapporteur général du Cerc. Et toucher de faibles indemnités peut pousser les plus fragiles à accepter des contrats encore plus précaires, voire un déclassement professionnel. En 2006, les partenaires sociaux vont donc devoir essayer de définir une nouvelle assurance chômage, moins inégalitaire, moins excluante. A défaut de réussir, ils pourraient donner de nouvelles munitions à ceux qui en appellent à l’Etat pour gérer directement l’assurance chômage.