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Module Théâtre : « LA PENSÉE UNIQUE » par Didier DOUET


MODULE D’ACTION CRÉATIVE ENGAGÉE THÉÂTRE (MACET)

Publié, le mercredi 27 août 2003 | Imprimer Imprimer |
Dernière modification : mardi 26 août 2003


LA PENSÉE UNIQUE
par Didier Douet

dans la rue, un comédien revendique son existence de tous les jours appelant Artaud à la rescousse. Il « déclame » un peu, collant à l’image que l’on veut « populaire » du comédien. Comique, un peu, pathétique, peut-être, mais jamais ridicule. Un homme s’approche, écoute, sort un brassard : « Police Culturelle », s’en affuble et intervient.

Le comédien :
La culture, je ne sais pas ce que c’est. « On peut brûler la bibliothèque d’Alexandrie. Au-dessus et en dehors des papyrus, il y a des forces : on nous enlèvera pour quelque temps la faculté de retrouver ces forces, on ne supprimera pas leur énergie. »
« Protestation contre l’idée séparée qu’on se fait de la culture, comme s’il y avait la culture d’un côté et la vie de l’autre, comme si la culture n’était pas un moyen de comprendre et d’exercer la vie »
Mon métier, c’est ma façon de comprendre et d’exercer la vie, c’est celle de beaucoup et peut-être, au fond, de nous tous... " Protestation contre le rétrécissement...

Le policier :
Hé là ! Hé là ! Doucement l’artiste. Qu’est-ce que c’est que ce charabia ?

Le comédien :
Je parle aux gens, j’ai le droit de parler, non ? On est encore en république.

Le policier :
Comme vous y allez !
Vous croyez que vous pouvez arriver n’importe où comme ça, vous adresser aux gens, leur dire ce qui vous passe par la tête

Le comédien :
Ce n’est pas ce qui me passe par la tête, c’est un texte que j’ai adapté.

Le policier :
C’est encore pire ! Vous avez une autorisation pour adapter un texte ?

Le comédien :
Mais enfin, de quel droit...

Le policier :
(montrant son brassard)
Vous savez lire, puisque vous avez « adapté ».
Qu’est-ce qui est écrit là ?

Le comédien :
(lisant)
POLICE CULTURELLE...
Depuis quand est-ce que ça existe ?

Le policier :
Il faut vous tenir au courant, mon vieux ! Ca va vite, je sais, mais vous avez quand même le temps de savoir dans quelles limites vous pouvez exercer votre métier. Et d’abord, est-ce que c’est bien votre métier ?

Le comédien :
Comment ça, si c’est bien mon métier ! Celle-là c’est la meilleure.
Vous voulez quoi ? Que je vous sorte un diplôme, une photo,
une fiche de paie ?

Le policier :
Montrez-moi juste votre feuille avec 507 heures exercées sur 10 mois, allez, je vais être bon prince, 10 mois et demi, et n’en parlons plus.

Le comédien :
10 mois ou 10 mois et demi ? C’est à la tête du client, votre truc ! Et si je ne les ai pas, mes 507 heures sur 10 mois, ça m’enlève mon métier ? Ca fait que je ne suis plus ce que j’étais ? Ca me réduit à quoi, en fait ?

le policier :
Ca, mon vieux, ça ne me regarde pas ! C’est votre problème, pas celui de l’état. La règle, c’est la règle, sinon c’est le foutoir.

Le comédien :
Attendez ! Le foutoir, c’est quoi, pour vous, exactement ?

Le policier :
(un peu agacé)
C’est quand vous faites ce que vous voulez ! C’est quand vous croyez pouvoir disposer de votre temps à votre guise ! C’est quand vous croyez avoir le droit de penser n’importe quoi, et surtout ce qui ne va pas dans le sens du bien général.

Le comédien :
(sifflant de feinte admiration)
Et bien dîtes-donc ! De quel ministère ça dépend la « police culturelle » ?

Le policier :
Ca dépend, et ça dépend pas. De la culture, du commerce, de l’intérieur, un peu tout ça, enfin de toute façon, du seul, du meilleur : du Premier

Le comédien :
Mais qu’est-ce qui vous dérange tant dans le fait que chacun puisse s’exprimer ? Que chacun puisse avoir son originalité ? La société, elle évolue bien en rapport avec sa diversité, non ? On nous l’a assez répété.
Comme je le disais avant que vous arriviez : « il n’y a pas la culture d’un côté et la vie de l’autre ». C’est bien parce qu’il y a des gens comme moi que votre vie n’est pas rectiligne comme un jour sans pain, non ?

Le policier :
Parce que vous croyez sérieusement que les gens ont le temps de penser ?

Le comédien :
Si on leur en donne les moyens, ils le trouveront, le temps.

Le policier :
(lyrique)
C’est bien pour ça que vous êtes dangereux. Vous dérangez un ordre qui doit être immuable : c’est la seule garantie à la sécurité.
Les pensées doivent converger jusqu’à se confondre en un courant qui ne permette plus la diversité.
(de plus en plus lyrique)
La diversité : c’est le désordre . L’unité : c’est l’ordre absolu.
Tous les citoyens devront avoir au centre de leurs préoccupations le développement de la force commerciale de la Nation.
Les loisirs seront organisés par l’Etat,
bienveillant à ne pas laisser les idées distraire les forces travaillantes de cet objectif premier.
Alors viendra l’ère de la pensée de base,
universelle,
indivisible,
l’âge d’or de l’Etat libéral : la Pensée Unique.

Le comédien :
Vous devriez faire du théâtre

Le policier :
Ca suffit ! circulez ou je vous boucle pour outrage à la pudeur culturelle

Le comédien :
Qu’est-ce que vous pourriez bien me faire ?
Croyez-vous que je sois seul ?

Le policier :
Justement ! vous interdire de vous regrouper et d’exister en tant que courant de pensée, ça fera le ménage !

Le comédien :
Vous savez bien que nous reviendrons tôt ou tard.
Nous supprimer, d’autres ont essayé...

Le policier :
Nous, nous réussirons.

Le comédien :
Et qu’est-ce que vous ferez de cette société où la recherche, l’éducation, l’écologie, seront réduits à néant. En nous menaçant vous menacez tout passé, mais aussi tout présent et tout futur.

Le policier :
Nous ne menaçons rien, nous rectifions !

Le comédien :
Et vous aurez rectifié quoi, quand plus de la moitié de la population sera réduite à la mendicité, non seulement culturelle mais aussi économique ?

Le policier :
En attendant, je vous rappelle que toute mendicité agressive est interdite sur la voie publique.

Le comédien :
C’est moi qui suis agressif ?

Le policier :
Tout ce qui pense est subversif, tout ce qui est subversif est agressif.

Le comédien :
Vous ne vous sentez pas un peu étroit ? Un peu fermé ?

Le policier :
La fermeture est la base de la tranquillité sociale

Le comédien :
Vous m’avez convaincu.

Le policier :
J’en suis heureux

Le comédien :
Je suis convaincu maintenant que ce que nous faisons,
nous avons raison de le faire, et qu’il faut continuer à le faire.

Le policier :
Foutez-moi le camp !

Le comédien :
Qu’on se rassure ! Nous n’avons ni envie, ni besoin de prendre le public en otage. Il suffit de le prendre à témoin
(s’éloignant)
La culture, je ne sais pas ce que c’est. « On peut brûler la bibliothèque d’Alexandrie. Au-dessus et en dehors des papyrus, il y a des forces : on nous enlèvera pour quelque temps la faculté de retrouver ces forces, on ne supprimera pas leur énergie... »

(pendant ce temps)
Le policier
(affolé, court de tous côtés en sifflant
et en agitant son brassard comme un drapeau)

FIN





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