PETIT MEMENTO POUR AIDER AU DESENGAGEMENT DE L’ETAT
par Bruno Allain
Comment s’y prendre ?
I.
Choisir des entreprises nationales ou des entreprises dans lesquelles l’Etat est engagé. Faire en sorte qu’elles soient mal gérées. Pour ce faire, demander l’aide de grands PDG qui sont des spécialistes. Leur soumettre quelques conseils :
1) alourdir le poids de l’administratif tout en allégeant au maximum le personnel sur le terrain
2) mener une politique de croissance et de diversification, en particulier en achetant des entreprises déficitaires ou moribondes au prix fort
3) se pencher avec attention sur le cas des entreprises dans les pays en crise économique grave : cela permet de provoquer des trous gigantesques en un temps record
4) engager le dialogue avec les syndicats et imposer une réforme absurde qu’ils ne peuvent que refuser
5) s’indigner de la grève qui s’en suit
6) faire part avec apitoiement du coût journalier d’une telle grève, revenir à la table des « négociations » en faisant une concession sans conséquences qui permettra à deux ou trois syndicats minoritaires de signer. Si le mécontentement continue : hurler que la démocratie est en danger ; rendre ainsi la poursuite de la grève impopulaire (suivant l’adage : « diviser pour régner »)
7) attendre que tout cela se délite en plaignant les usagers et les clients
8) demander à l’Etat de pousser un coup de gueule et de rappeler :
que aujourd’hui n’est pas hier ;
que aujourd’hui le pays est en situation de crise économique profonde ;
ET
que aujourd’hui l’argent ne coule pas à flot comme hier
9) se féliciter officiellement de la reprise du travail et du civisme des salariés
10) se féliciter en privé de la réforme qui va augmenter le déficit
APPELER SES PETITS CAMARADES ET LES INVITER A BOIRE DU CHAMPAGNE LORS D’UNE GARDEN PARTY
PETIT MEMENTO POUR AIDER AU DESENGAGEMENT DE L’ETAT
II.
Quelque temps plus tard, demander un audit des entreprises choisies précédemment, par un groupe des députés qui se scandalisent devant le gaspillage de l’argent public (par exemple, prendre Douste-Blazy dans le rôle du député et EDF dans celui de l’entreprise nationale) :
a) constater que cela ne peut plus durer
b) lancer des réformes dans le but de réduire le déficit
c) miser sur la décentralisation, sur le découpage en morceaux, pour que chaque morceau soit plus près du peuple
nota bene : ATTENTION AU LAPSUS, NE PAS DIRE dépeçage
d) repérer les morceaux les plus juteux
e) prendre soin de les présenter comme les plus déficitaires ou comme ne touchant pas le cœur même du service fourni par l’entreprise nationale : ça, c’est SACRÄ’
f) prier des entreprises privées de s’occuper des ces morceaux décrits comme ingérables. Pour cela, légiférer afin qu’elles obtiennent des aides
g) constater que malgré le dégraissage l’entreprise nationale est toujours déficitaire
h) effectuer des contractions de personnel et des mises à la retraites anticipées pour durer un peu et faire monter la pression
i) s’indigner alors du rôle prépondérant de l’Etat
j) arguer à nouveau :
que cela ne peut plus durer ;
que le monde change ;
que il faut s’adapter ;
que là se situe la vigueur d’une nation et lancer l’idée d’une privatisation comme meilleur moyen de s’adapter justement au monde moderne
k) se réjouir de toutes ces réformes
l) déplorer le très bas prix de vente des ces entreprises (mais vraiment cela ne valait plus rien) et saluer quelques amis sympathiques et courageux d’avoir pris sur eux le fait de racheter leur futur outil de travail
m)
nota bene notons au passage que les PDG fautifs ont été remerciés (sans dévoiler bien entendu qu’ils continuent à percevoir leur salaire sur x mois et qu’en plus ils touchent etc.)
n) prendre acte que certains sont conduits devant la justice : la justice doit suivre son cours sereinement
o) se réjouir quelques temps plus tard d’un non-lieu, comme dans le cas du Crédit Lyonnais (dont le contribuable continue, lui, de combler le gouffre)
p) déplorer que certains autres (« les pauvres ») soient mal traités par la presse ou les médias quand ils sont filmés en train de monter dans leur jet privé
nota bene se taire s’ils réclament quelques indemnités, surtout par le biais de tribunaux étrangers (ah ! la mondialisation) : par exemple, 20 millions d’euros en guise d’argent de poche
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III.
Remarquer sans triomphalisme que ce qui faisait des déficits quand c’était public fait des bénéfices quand c’est privé. Omettre de comparer des services puisqu’il est évident qu’ils se sont « améliorés ».
Vanter alors les mérites du libéralisme.
CONTINUER SANS VERGOGNE A FAIRE LE MAXIMUM DE PROFIT.
· par exemple : en employant des intérimaires ; des sous-qualifiés ; des RMistes récidivistes ; des émigrés clandestins
· par exemple : en faisant tourner tout ce petit monde pour qu’ils ne s’attachent à aucun boulot ; à aucun lieu ; à aucune personne ; pour qu’il prenne conscience en profondeur de sa précarité ; pour qu’il n’ait que son balai comme planche de salut
· par exemple : en négligeant l’entretien des infrastructures, ce qui obligent à fermer certains atelier pour cause de sécurité (après, bien entendu, un ou deux accidents regrettables) ou à stopper certains activités.
CHOISIR ALORS CELLES QUI MALGRE UN ACHARNEMENT REMARQUABLE DEGAGENT ENCORE UN BENEFICE.
· Par exemple : en réduisant à néant l’innovation, ce qui en peu de temps permet de prendre de nombreuses parts de marché.
· Par exemple : en diminuant la qualité des services jusqu’au point de ne plus pouvoir les qualifier des services et qu’ils deviennent des emmerdements récurrents pour tous (un truc très sympa dans le genre et facile à mettre sur pied, c’est d’allonger jusqu’au trottoir les files d’attentes au guichet).
CONSTATER QU’APRES X ANNEES DE PROFIT, L’ENTREPRISE N’EST PLUS RENTABLE
OU QUE, 5% DE MARGE,
CELA EST BIEN INSUFFISANT
AUX YEUX DES ACTIONNAIRES.
A CE POINT DEUX SOLUTIONS :
1) Déposer le bilan. Trouver un repreneur qui liquidera stocks et capital foncier en usant de la bonne volonté aidante des salariés qui y croient encore. Solliciter auprès de l’Etat un plan social pour faire bonne figure. Liquider définitivement la boîte en ne payant les dernières factures qu’aux entrepreneurs complaisants dotés de quelques enveloppes.
2) Provoquer un déficit colossal (il suffit généralement de faire perdurer la catastrophe de deux à six mois) de façon à ce que l’activité même de l’entreprise soit menacée. S’indigner d’une telle situation : il s’agit tout de même d’un service indispensable à la nation tel que l’eau, les routes, les communications etc. Maudire les gouvernements précédents qu’ils n’ont rien fait, tout en ajoutant ne pas juger leur action. Demander à l’Etat de se porter garant, de faire un effort, de sortir le pays de la noyade. Entamer une campagne d’information. Finalement nationaliser, ou mieux : faire acheter la boîte colossalement déficitaire par une entreprise nationale en début de cycle de désengagement de l’Etat, ce qui permettra (une pierre, deux coups) de commencer à grever son budget. Se réjouir de cette nouvelle réforme qui, certes, demandera un effort du contribuable.
APPELER SES PETITS CAMARADES ET LES INVITER A BOIRE DU CHAMPAGNE LORS D’UNE GARDEN PARTY,
se féliciter entre soi d’être revenus à la case départ et constater que : « décidément, le peuple avait beaucoup d’argent ».
Enfin, lancer un bon mot en disant :
« celui qui gagne le plus c’est celui qui coule ».
PETIT MEMENTO POUR AIDER AU DESENGAGEMENT DE L’ETAT
IV.
On peut signaler en corollaire que ce qui est faisable pour une entreprise est faisable aussi pour une catégorie socio-professionnelle. Pour cela :
· Organiser le déficit chronique et exponentiel de la branche (par exemple, en obtenant la complicité d’entrepreneurs publics ou privés et en fermant les yeux sur les abus qu’ils commettent, mettant ainsi le système en danger.
· Dire alors que le système est obsolète, que le monde change, qu’il faut s’adapter, que c’est ça qui est bien dans la vie. Et prôner le dialogue (très important, le dialogue !).
· Laisser mijoter le dialogue pendant un temps assez long, laissez bouillir à petit feu, laissez le couvercle par dessus le tout.
· Faire entendre enfin qu’il faut en finir, que la situation ne peut pas durer, que le système lui-même doit disparaître.
· Puis un beau matin sortir une réforme de sa manche, une réforme qui ne tient aucun compte du dialogue antérieur, une réforme cependant qui maintient le système (hourrah), mais au prix fort (car nombreux sont les salariés qui vont en être éjectés) et qui ne résout aucun problème. En particulier le déficit et les abus.
· Préparer son coup à l’avance pour que un ou deux syndicats, même extrêmement minoritaires acceptent la réforme après quelques aménagements mineurs. En particulier, des aménagements qui permettent à ceux qui abusent de rester dans le système et aux autres d’en être exclus à terme.
· Dire que c’est un bon accord, qu’on a évité le pire, qu’on a sauvé le système.
· Nier, évidemment, que la précarité dans la branche en question sera de plus en plus grande.
· Se réjouir en privé de cette précarité qui permettra aux entreprises privées de trouver des professionnels à moindre coût.
· Ne pas comprendre le tollé général chez les salariés. Promettre de l’argent pour qu’ils se taisent, BON DIEU ! QU’ILS SE TAISENT !
· Et rester confiant en la baisse de pression qui se produit habituellement tout au long du mois d’août.
CEPENDANT ATTENTION.
ATTENTION, PARFOIS ILS SE TAISENT VRAIMENT ET ÇA DERANGE.
ATTENTION, PARFOIS ILS MANIPULENT DES IDEES ET OUVRENT LES YEUX A D’AUTRES.
ATTENTION, PARFOIS ÇA LES MET DANS UN TEL ETAT DE DESESPOIR QUE ÇA SE RETOURNE CONTRE VOUS.
ATTENTION, PARFOIS ILS VOTENT. LES AUTRES AUSSI.