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Figures, discours, Bernard Aspe - 18 mars 2010, Université ouverte

Publié, le lundi 22 février 2010 | Imprimer Imprimer |
Dernière modification : samedi 16 juillet 2016


Admettons que la politique soit l’élaboration des conditions qui permettent l’abolition de l’état de choses existant. Le communisme était pour Marx le « mouvement réel » qui effectue cette abolition. Cette définition suppose que le capitalisme porte en lui les conditions de sa propre abolition ; qu’il les sécrète, et ne peut que s’appuyer sur elles, tout en conjurant autant que possible leur complète mise au jour, qui supposerait son démantèlement. Il y aurait donc, au cœur du capitalisme, cette contradiction : il ne peut vivre que de ce qui, inéluctablement, doit lui donner la mort. Certains ont attendu, attendent encore que cette contradiction conduise d’elle-même au renversement du système-monde dans lequel nous sommes planétairement immergés. Cette erreur a cependant été corrigée depuis longtemps : pour qu’un tel renversement soit possible, il ne suffit pas d’invoquer une nécessité objective. Il faut encore qu’elle soit doublée d’une nécessité proprement subjective. Mais cette nécessité ne peut être conçue sans que lui soit donnée une figure. Le prolétariat a été la figure donnée à la nécessité subjective de l’abolition du capitalisme. L’histoire du mouvement révolutionnaire est celle des déclinaisons de cette figure, de sa cristallisation en « classe ouvrière », et de la sortie progressive hors de la référence à la classe ouvrière à partir des années 1970.

Certains ont pu en conclure qu’il fallait abandonner toute référence au mouvement révolutionnaire en tant que tel, et accepter l’irréductible disparité des « luttes minoritaires ». Pour ceux qui n’ont pas voulu s’engager dans cette impasse, le problème qui se posait était le suivant : fallait-il disjoindre la matrice prolétarienne de sa cristallisation « ouvrière », ou bien abandonner, en même temps que la centralité de la classe ouvrière, la matrice prolétarienne elle-même ? La réponse à cette question n’a pas toujours été parfaitement claire. On peut du moins constater que la matrice prolétarienne, dégagée de la référence ouvrière, anime encore quelques hypothèses récentes, de la théorie du Bloom à la pensée des multitudes.

On demandera alors ce que peut signifier : abandonner la matrice prolétarienne. Pour cela, il faudra dans un premier temps l’identifier plus clairement. Mais il faudra également ouvrir une série de questions.

1. La caractéristique des sujets politiques contemporains, c’est précisément qu’ils ont le choix, et qu’ils sont même embarrassés par ce choix : ils ont en permanence la tentation de renoncer à l’exigence politique, et de faire enfin des choses « pour eux-mêmes ». Autrement dit, le sujet politique ne peut plus se confier à la nécessité. On objectera qu’il en a toujours été ainsi ; qu’à une époque antérieure, ce problème pouvait se traduire par le rapport entre les avant-gardes intellectuelles bourgeoises et les masses prolétaires ; que la nécessité portée par le prolétariat devait encore être en quelque sorte activée par l’avant-garde. Toute la difficulté commence lorsqu’on ne dispose plus de ce schème. Car on ne peut justement considérer comme donnée la coupure entre ceux qui ont le choix et ceux qui ne l’ont pas. Ce qui est donné, c’est bien plutôt cette condition commune selon laquelle chacun a désormais le choix. Dès lors, comment la politique peut-elle être autre chose qu’une exigence susceptible de ne pas être suivie ? Ou pour le dire autrement : pour concevoir le rapport contemporain à la politique, est-on condamné à réhabiliter le concept de devoir ? Et si ce n’est pas le cas, comment concevoir qu’une exigence parvienne à s’inscrire dans une vie ?

2. Abandonner la matrice prolétarienne, n’est-ce pas justement se livrer à ce que le capitalisme demande ? À savoir : des sujets libres, justement ; des sujets qui font des choix, qui sont encombrés par leur capacité à choisir, et qui trouvent leur délice dans cet encombrement ; des sujets soucieux avant tout de ne pas gâcher leur vie, de faire des expériences enrichissantes et de parvenir à une forme d’accomplissement d’eux-mêmes. Ces sujets si homogènes aux injonctions du capital et à la forme contemporaine de l’exploitation, il est vrai que la matrice prolétarienne permettrait de les tenir à distance. Mais ce n’est pas un argument suffisant, et ceux qui voient dans les tentatives de description des comportements de ces sujets une focalisation sur une composante « petite-bourgeoise » ratent quelque chose d’essentiel. Car il est vrai qu’il n’y a que la dispersion irrémédiable des vies singulières. Ou : il est vrai qu’il n’y a pas de nécessité historique, ou de destination historiale, susceptible de faire support pour l’orientation de ces vies. Nous sommes alors reconduits à la question du choix, et plus précisément de ce qu’il peut avoir de coûteux et de paradoxal. Si les prolétaires sont « ceux qui n’ont à perdre que leurs chaînes » (Marx), que peut avoir à perdre le sujet politique qui n’est plus soutenu par la matrice prolétarienne ? Et d’où trouve-t-il la force ou l’énergie de se vouer malgré tout à la politique ?

3. On pourrait à bon droit juger déplacé le fait de considérer que la matrice prolétarienne est épuisée précisément au moment où tout semble indiquer son retour, et un retour sur une scène plus que jamais internationale. Tout annonce en effet que les rapports de classes sont loin de disparaître, et l’on peut parler aujourd’hui d’un « prolétariat-monde » que cristallise en particulier la figure du migrant. La gestion de ce prolétariat est l’un des problèmes cruciaux qui se posent aux hommes de pouvoir des pays riches, et son acuité ne pourra qu’être décuplée dans les années qui viennent. Mais la question est alors de savoir si l’on peut compter sur le développement inéluctable des conflits qui seront liés à l’existence de ce prolétariat-monde. Que l’on doive compter avec ne fait pas de doute. Mais n’avons-nous pas tout d’abord pour tâche d’initier une action qui, si elle peut un jour se révéler susceptible de polariser ces conflits, doit cependant dans un premier temps être conçue indépendamment du pronostic de leur expansion et de leur radicalisation « inéluctables » ?

4. Question subsidiaire enfin : qu’est-ce qu’une pensée politique dé-figurée ? Autrement dit, qu’est-ce qu’une politique qui conquiert l’abstraction ? Vieille question, posée par les avant-gardes du début du XXème siècle, mais qui est au fond restée cantonnée à ce qui est demeuré malgré tout le champ plus que jamais clos de l’art et de la culture. Peut-être notre présent impose-t-il de reprendre à nouveau cette question, et pour cela de la dégager de son entente culturelle. Il faudrait alors savoir si l’on doit aller dans le sens d’une (re)conquête de l’abstraction, ou bien si nous devons travailler à découvrir une figure nouvelle.

Bernard Aspe

Figures, discours, Bernard Aspe, pour la séance de l’université ouverte du 18 mars 2010.

Université ouverte, jeudi 18 mars à 18h30
À la coordination des intermittents et précaires, 14 quai de charente, Paris 19e, M° Corentin Cariou, Ligne 7.

La figure du prolétariat, multitudes, insurrection et nécessité subjective

Université ouverte 2009-2010 : La vie « militante » dans la politique et dans l’art

L’instant d’après. Projectiles pour une politique à l’état naissant, Bernard Aspe





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