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L’Irréversible. Un texte de Bernard Noël

Publié, le jeudi 2 octobre 2003 | Imprimer Imprimer |
Dernière modification : jeudi 2 octobre 2003


L’Irréversible. Un texte de Bernard Noël

Le ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, a déclaré que l’agrément donné par le gouvernement à l’accord du 26 juin sur la réforme du régime des intermittents était « irréversible ». Dans un texte qu’il nous fait parvenir, l’écrivain Bernard Noël réagit à l’usage de ce mot.

Chacun sait que la mort est irréversible, et elle seule. On dit que le temps l’est aussi, du moins sa direction, mais la chose est relative car, à la différence de la mort, son passage est réparable pour peu qu’on y mette de la volonté, du choix ou de l’amour. La conséquence est qu’on ne saurait déclarer une situation irréversible sans la rendre tranchante, sans en faire le couperet d’une condamnation à mort. Le caractère définitif et donc mortel d’une telle déclaration est aujourd’hui légèrement masqué du fait que l’abolition modifie le recours à la mort. On n’exécute plus pour l’exemple bien que la propagande sécuritaire entretienne la nostalgie de la peine capitale. Mais à quoi bon prendre la vie quand, de nos jours, il suffit de prendre la tête des gens pour voler leur voix. Au fond, dans une société où tout est devenu marchandise et où le lien social se limite à la consommation, il est stupide de tuer des consommateurs et beaucoup plus rentable d’occuper les têtes au lieu de les couper. L’opération qui assure cette occupation est facile à résumer : Mettre la même chose au même instant dans toutes les têtes... Et c’est le grand projet culturel de l’élite de nos Entrepreneurs (nouveau nom que se donnent ici les patrons). Quand on voit le regard de leur principal serviteur, on se dit qu’il n’y a pas loin de Matignon à Maquignon, et tant pis si le jeu de mots est aussi facile que l’empressement du valet. Le seul problème devant ce personnage est celui-ci : dans quel but le chef de l’Etat a-t-il mis une caricature à la tête de son gouvernement ? Pour quel aveu ou quelle dissimulation ? Il est vrai qu’il nous donne à voir clairement qu’un philosophe règne sur l’Education et un médecin sur la Santé. Le résultat est d’ailleurs admirable
 : tous les éducateurs de ce pays doutent de l’avenir et tous les vieillards savent qu’ils peuvent compter sur un enterrement discret. Une bonne mortalité peut après tout combler quelques déficits. Il faut oser vouloir sans dire : c’est la règle secrète de ce pouvoir. Aussi est-il surprenant d’avoir risqué l’évidence en plaçant un comptable à la tête de la culture. Lui est le seul à parler carrément d’IRREVERSIBLE, c’est-à-dire à prononcer la condamnation à mort de tout ce qui gêne le grand projet culturel de ses patrons...

Bernard NOËL Publié le 24-09-2003mouvement.net





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