Je me réveille d’un court sommeil. Depuis dimanche, je commence à m’habituer à ne dormir qu’une heure ou deux de temps en temps. Il est 8h30. Je me dis qu’on va rester encore un jour de plus parce que je n’imagine pas qu’ils puissent prendre la décision de nous évacuer à un autre moment qu’au petit matin, là où c’est le plus calme, où la plupart dorment. D’abord parce que le bâtiment est vraiment compliqué à expulser. En cas de panique, les endroits d’où chuter sont innombrables. Ensuite, parce que vivre en permanence dans le stress de l’évacuation est très éprouvant, et que se convaincre qu’on a un peu de temps devant soi est nécessaire pour continuer à lutter.
Au cours de la matinée, la rumeur d’une expulsion à 13h commence à courir. J’essaye de ne pas trop y prendre garde, il y a tellement de choses à faire. Mais ça enfle. Et puis cette question nous traverse depuis le début... Forcément. Les sans-papiers en premier, eux qui vivent depuis des jours, des semaines ou des mois harcelés par la police, évitant comme ils peuvent les arrestations. Et là, ça ressemble à une souricière.
Tous ceux qui sont là cherchent à mettre en pratique une égalité. Mais il y a une chose qui nous sépare, c’est la question des papiers. C’est précisément pour cela que nous sommes là, parce que nous n’acceptons pas que ça, dont le nom évoque pourtant quelque chose d’aussi fragile, soit aussi déterminant dans nos vies. Mais les risques ne sont pas du tout les mêmes. C’est pour cela que ce sont uniquement les sans-papiers réunis entre eux qui prennent les décisions, le plus souvent après discussions tous ensemble. Et pour l’instant, ils ont à chaque fois décidé de rester, avec la même détermination, parce que les propositions de la mairie sont inacceptables à leurs yeux. Elles ne sont même pas suffisantes à reloger la totalité de ceux qui dorment ici, alors que la plupart aspirent à ce que leur lutte servent tous ceux qui, comme eux, ont quitté la Tunisie pour venir à Paris.
Des cars de CRS sont annoncés par ceux qui arpentent toute la journée le quartier. D’abord à Botzaris. Puis à Colonel Fabien. A Pyrénées. L’information circule. Mais déjà hier, les mêmes mouvements avaient été repérés, juste entre deux rendez-vous de la délégation avec la mairie, au moment où les sans-papiers se réunissaient pour discuter de sa dernière proposition...
Et puis vers 13h, deux personnes arrivent essoufflées. Ils nous disent qu’ils viennent de voir Claude Guéant arriver au commissariat à côté, avec deux troupes anti-émeutes. Dès lors, la menace semble confirmée. Tous l’imaginent déjà faire sa conférence de presse sur notre évacuation. La tension est grande. Quelle décision prendre ? Tandis que l’information circule, que ceux qui dorment encore sont réveillés, ça discute par petit groupe. Mais aucune décision n’arrive à être prise. Quelques uns sortent vers le parc. La plupart restent, rentrent à l’intérieur. Néanmoins les portes restent ouvertes, et un groupe s’est formé sur le pas de la porte, à moitié à l’intérieur, à moitié à l’extérieur, qui attend de voir ce qui va se passer.
Des cars de CRS arrivent à la queue leu leu et s’arrêtent juste devant. Ils sortent tout équipés et se ruent boucliers et matraques en avant et commencent à frapper. Reflux à l’intérieur. Les portes sont refermées. Je ne sais pas si tous sont rentrés. Dedans, c’est la panique. Des courses, des cris.
Des grands coups sur la porte. Les corps se pressent contre elle. Puis c’est l’ouverture. Les corps se dispersent comme une nuée. Nouvelles courses dans tout le bâtiment. Il n’y a plus que le réflexe de la peur qui semble agir sur les corps. Les CRS se précipitent, montent les escaliers en hurlant.
D’autres viennent vers nous au rez-de-chaussée, où nous sommes massés dans un couloir. Ils chargent, nous compriment avec leurs boucliers. Nous sommes peut-être cinquante, écrasés entre ces murs. Heureusement deux portes donnent sur des pièces. Cela permet de relâcher la pression. Personne ne bouge. Je croise des regards apeurés. Les CRS reculent en nous hurlant dessus. « Bouge pas ! » Ils se relaient, parfois avec des civils pour continuer à hurler. Un d’eux, immense, se met à taper très fort sans s’arrêter avec son tonfa sur une canalisation en métal. Un autre surgit avec sa gazeuse hurlant, vociférant.
Des bêtes féroces qui terrorisent des animaux traqués. Ici, c’est du bétail.
Puis la tension redescend. Ils reculent. Nous ne bougeons toujours pas. Là, la peur paralyse les corps. Les CRS nous encerclent. Quelques uns (jeunes) tremblent. Je vois dans leur regard qu’ils sont eux aussi effrayés par leur propre violence.
Derrière nous, il y a un escalier qui descend. Je m’y glisse avant qu’ils n’arrivent. Je préfère conseiller aux quelques tunisiens que je trouve là de remonter avec le groupe. Ne pas rester seuls. Nous remontons, les CRS sont devant l’escalier. Ils sont stupéfaits de nous voir. La plupart des tunisiens sont redescendus en les apercevant. Certains CRS sont envoyés pour aller les chercher. Pas un ne semble avoir eu l’idée de descendre avant. Je me demande si j’ai bien fait, mais j’imagine mal quand même qu’ils n’aient pas vérifié ensuite. Et puis comment sortir ? Je comprends surtout qu’ils ne connaissent même pas le bâtiment. C’est-à-dire que l’opération n’était pas du tout préparée, ou très mal. Juste de la violence. Ici, c’est du bétail.
Et ils commencent à parler entre eux, comme pour essayer de justifier toute cette débauche. Ils font un métier risqué. Quand même, avant de rentrer, ils ont pris une poubelle sur la tête. Et l’autre fois, c’était je ne sais plus quoi. L’un dit : « Ce sont eux qui nous ont chargé à la Villette l’autre fois. » Pathétiques réflexes pour se justifier mais ils ne s’en rendent même pas compte.
Tout le monde est plus calme. La violence a disparu. L’humain revient petit à petit. Tout doucement. Un tunisien entre dans les toilettes (c’est marqué dessus) et referme la porte. Un CRS se précipite et l’ouvre violemment. « Tu laisses ouvert ! » Je ne sais pas s’il arrive à pisser, avec ce type derrière son dos.
Puis c’est l’attente. Parmi nous personne ne parle ou presque. Eux continuent d’échanger des plaisanteries, discutent de choses et d’autres. La plupart triomphent. Leur chef en fait partir quelques uns. Ils remontent vers la sortie le long de nous qui sommes maintenant alignés. Il nous lance : « Allez ! Faites leur une haie d’honneur pour les féliciter de leur opération ! » Ils ricanent.
En sortant de ma garde-à-vue, j’apprends que Guéant n’était pas venu pour ça mais pour parler de la réforme de la garde-à-vue et féliciter ses troupes de s’y être adaptée aussi efficacement. À cette occasion, un CRS a interdit l’accès à la conférence de presse à une journaliste de TF1 parce qu’elle était noire. Nul doute qu’il doit regretter de ne pas avoir été envoyé ici à la place.
En tout cas, c’est la mauvaise interprétation de cette information qui nous a permit, un minimum, de nous préparer à l’imminence de l’intervention. Je n’ose pas imaginer comment elle se serait passée sans cela... Le geste de venir nous prévenir a été aussi utile...
Pourtant, la garde-à-vue, c’était un peu n’importe quoi dans le commissariat où j’étais. Il faut dire que 138 interpellations à gérer, même répartie dans plusieurs, ça fait beaucoup ! C’est d’ailleurs ça qui a permis à la plupart des tunisiens d’être libérés. Certains assez vite, d’autres après annulation de la procédure pour les nombreux vices dont elle est entachée. Heureusement, ils ne sont pas encore traités comme du bétail partout.
En sortant, j’apprends également que c’est la mairie qui a requis notre expulsion. Depuis le début de négociations, ses représentants nous ont affirmé que le bâtiment était frappé d’un arrêté de mise en péril (incendie). Et donc que la préfecture pouvait nous expulser sans son accord et qu’ils ne pouvaient pas garantir qu’on ne le serait pas, comme le leur demandaient les sans-papiers. Nous n’avons pas trouvé ce bâtiment dans la liste officielle des lieux frappés d’un arrêté de mise en péril. A ce jour, je ne sais toujours pas s’il existe ou non. Ce que je sais, c’est que la mairie n’hésite pas à mentir concernant ses intentions...
Un français de Lampedusa
7 mai : Les Tunisiens sans papiers occupent un gymnase rue de la Fontaine au Roi - Appel à soutien
Les fichiers de divers textes des Tunisiens sont sur la page ci-dessus, merci à qui peut d’apporter des photocops, plutôt recto verso et avec l’adresse mel du collecif, au gymnase
Besoin de café, Cafetières, bouilloires, rallonges électriques, Tables, chaises, serviettes de tables, couvertures, Savons, Shampooings, dentifrices, brosses à dents, serviettes de bains, chaussettes, chaussures, vêtements de corps, pantalons, pulls, T-shirts, Marqueurs -Tableaux blancs/peintures tableaux noirs-craies, papiers toilettes, Grands sacs poubelles. Surplus boulangeries (pains, patisseries, sandwichs) bienvenus, ... au 100 rue de la Fontaine-au-Roi, Paris 11e, Métro Couronnes ou Belleville
De qui la Ville de Paris est-elle l’amie ?
Occupation du 51 avenue Bolivar - 3ème Kasbah à Paris
30 avril - 5 mai : La police évacue le 51 avenue Simon Bolivar occupé par des sans-papiers Tunisiens et Lybiens