Lors d’une action collective la directrice de l’agence Vic d’Azir à Paris a porté plainte contre un camarade de la coordination des intermittents et précaires pour avoir dit, selon elle, « fainéants, incompétents et bons à riens » [1] et s’être « plaint régulièrement de la qualité du travail du Pôle ».
Accusé « d’outrage » par Pôle emploi », son procès au lieu ce mardi 22 novembre à 9h à la 10ème chambre correctionnelle du TGI, au palais de justice, métro Cité à Paris.
Un peu partout en France des collectifs de chômeurs, intermittents et précaires tentent de briser l’isolement et de résister collectivement aux institutions sociales. À Montreuil, nous avons fait de même au sein du collectif des CAFards. [2]
« Fainéants, incompétents et bons à riens » ce n’est pas bien méchant et c’est surtout bien en-deçà de ce qu’on oppose quotidiennement aux chômeurs et précaires. Mais tenons-nous en à ces trois mots que nous aurions pu maintes fois prononcer lors d’actions collectives que nous avons menées ces dernières années, principalement dans les CAF.
incompétent, adj, qui n’a pas les compétences requises, qui n’a pas les connaissances nécessaires
Une famille étrangère se voit refuser les allocations familiales. Le père s’est rendu au guichet de la CAF avec une autorisation provisoire de séjour d’une validité supérieure à trois mois et s’est entendu répondre « Monsieur, vous n’avez pas droits aux allocations familiales. Nous il nous faut un titre de séjour et c’est tout ». Fin de non recevoir.
La famille vient nous voir et en se penchant sur les textes de loi nous apprenons qu’il existe non pas un, mais plusieurs titres de séjours et autres documents, dont celui qu’il possède, qui permettent d’ouvrir des droits (carte de résident, carte de séjour temporaire, récépissé de demande...) [3]. Nous l’accompagnons donc à la CAF munis du texte de loi. On nous dit tout d’abord que nous n’y connaissons rien, que nous avons tort, mais en insistant la CAF reconnaît son erreur en ouvrant les droits sur le champs.
Il ne s’agit pas là de stigmatiser tel ou tel agent qui a fait obstruction au droit, on le sait, pour toute formation, la plupart du temps, les agents en première ligne n’ont à leur disposition que des fiches pratiques simplificatrices qui ne rendent pas compte des subtilités du droit, des reader digest en quelque sorte. Par ailleurs ils doivent obéir à des directives internes à la CAF qui sont souvent illégales. De plus ils sont astreints à une logique de rentabilité [4] qui s’oppose au bon accueil des allocataires. Ainsi, la plupart du temps, ils instruisent à charge contre l’allocataire.
Si par incompétence ils ouvraient des droits et donnaient l’argent à tout le monde, cela ne nous poserait pas de problème. Mais ne rêvons pas, nous en sommes souvent à devoir leur prouver qu’en matière de droits des « usagers » nous sommes plus compétents qu’eux. Et c’est tout simplement parce que nous, nous avons des raisons d’y tenir [5].
Fainéant, nm, personne qui ne fait rien ou ne veut rien faire
Nous accompagnons cette fois un allocataire qui n’a pas touché son RSA depuis trois mois. Lorsqu’il s’est rendu au guichet quelques jours plus tôt, on lui a expliqué qu’il faut attendre trois mois après la fin des allocations chômage pour pouvoir toucher le RSA... Ce qui est totalement faux. Nous ramenons donc, une fois encore, le texte de loi et faisons débloquer son dossier rapidement ainsi que celui d’une jeune femme rencontrée sur place qui était dans la même situation.
La CAF est pleine à craquer, plus que d’habitude. Quelques jours avant, le président du conseil de la CNAF avait écrit au ministre du travail : « depuis juillet 2009 la demande sociale explose... et en ce début d’année 2010, la situation des CAF semble s’aggraver dangereusement... l’ensemble de l’institution est proche de l’implosion ». Les CAF du 93 ont été fermées pendant plusieurs semaines pour pouvoir écouler les dossiers en retard mais aussi pour recouper des données concernant les allocataires entre la CAF, Pôle emploi, les impôts etc. et des centaines de personnes se sont vues couper leurs allocations sans aucune explication.
Quelques jours après la réouverture la queue qui se prolonge sur plusieurs dizaines de mètres à l’extérieur de l’agence est donc pleine de mécontents. La directrice décide de fermer les portes bien avant l’heure, laissant dehors une centaine de demandeurs de revenu qui ne peuvent attendre le lendemain. L’ambiance s’électrise.
La directrice de la CAF appelle la police et ordonne aux agents d’arrêter le travail. Une rangée de policiers armés de flash ball se postent devant l’entrée tandis que le commissaire entre pour voir de quel trouble à l’ordre public il peut bien s’agir. La police n’est pas l’amie des pauvres, c’est pourtant le commissaire qui demande à la directrice de rouvrir les portes et de traiter les dossiers. La CAF cesse donc de ne rien faire pour ses ayants-droits et tout le monde est finalement reçu.
Paradoxe, ce que nous nous obstinons à faire faire à la CAF et à Pôle emploi, c’est cette fois la police qui l’a obtenu. Sans que l’on sache si les intérêts des allocataires ont été convenablement pris en compte, la CAF a dû néanmoins accepter de travailler pour eux au lieu de les tenir à distance, de les faire attendre ou revenir...
Bon à rien, nm, inutile, incapable
Une jeune femme italienne attend son RSA depuis déjà huit mois. Elle s’est rendue à la CAF à maintes reprises sans comprendre pourquoi on ne lui versait pas cet argent. Elle a récemment reçu un courrier lui expliquant que c’est parce qu’elle n’a pas de droit au séjour. C’est faux. Elle a cherché et étudié les textes de loi, elle rentre dans la case des communautaires européens actifs, ce qui lui donne droit au séjour et donc au RSA.
Lorsqu’elle se rend accompagnée de quelques amis à la CAF et des textes de loi, c’est la même histoire, elle ne peut se faire entendre, aucun argument n’est pris en compte.
Nous nous rendons donc, plus nombreux cette fois, à la CAF. Les agents ne veulent rien savoir, ils arrêtent de travailler et tentent de nous en faire porter la responsabilité vis à vis des autres allocataires présents. La police arrive, puis un responsable de la direction départementale de la CAF. Ce dernier ose dire, avec un grand sourire, comme s’il avait trouvé la solution magique « mais mademoiselle, c’est parce que vous ne pouvez justifier de cinq ans sur le territoire français qu’on vous refuse vos droits ». Bien qu’il ait un poste à responsabilité qui lui octroie le pouvoir d’examiner ce dossier avec toute l’attention requise, cet homme préfère nous raconter n’importe quoi et nous donne une explication qui n’a rien à voir avec la situation. Bon à rien, inutile, incapable oui nous pouvons le dire. Nous partons sans avoir réussit à faire faire à la CAF son travail. Mais...
Épilogue, nm, fin d’une histoire, dénouement.
Quelques jours plus tard nous nous rendons au siège national de la CAF, la CNAF. L’entrée dans les lieux peu habitués à recevoir du public, est plutôt rock and roll. Nous obtenons finalement un rendez-vous pour le jour suivant. Cette fois, après plusieurs heures de discussion, les responsables de la CNAF finissent par reconnaître des droits à la jeune femme. Peu après, les 8 mois de RSA de retard lui seront versés sur son compte.
Que ce soit au Pôle emploi [6] ou à la CAF, les phrases qu’on entend le plus souvent c’est « non vous n’y avez pas droit », « appelez donc le 39 49 », « votre dossier est en cours de traitement, soyez patient », « C’est un refus car c’est la loi, bref, c’est comme ça ». Il devient tellement difficile voire impossible de faire valoir ses droits, d’obtenir un rendez-vous, de savoir pourquoi on vous a coupé les allocations que de nombreux ayant-droits renoncent.
Seuls les plus vaillants, ceux qui parlent le mieux français, les moins épuisés par ces marathons administratifs, iront jusqu’au recours amiable puis, plus rarement encore, jusqu’au tribunal administratif pour se faire rétablir dans leurs droits. Mais combien de temps après ? Après les huissiers, les agios bancaires et les emprunts pour payer les factures, l’angoisse au jour le jour de ne pas s’en sortir et de ne pas savoir comment on va s’en sortir.
C’est somme toute une manière assez simple de faire des économies, dissuader dès le départ, faire ressentir qu’il ne s’agit pas là de droits mais d’une faveur ou d’une chance. Nous ne pensons pas aller trop loin en disant que nous sommes confrontés à une volonté politique qui prend forme au ras des pâquerettes, dans les courriers administratifs obscurs et menaçants que nous recevons et dans les agences là où fonctionne l’arbitraire des guichets.
Le 15 novembre dernier Nicolas Sarkozy mobilisait les agents de la CAF de Bordeaux : « Sans vous, il n’y a pas de lutte contre la fraude ». Quelle joie ce serait si, cette fois, dans cette mission de chasse aux « voleurs » et « traîtres à la confiance de tous les Français » [7] que sont ses allocataires, la CAF était « incompétente, fainéante et bonne à rien »...
Mais rien n’est moins sûr, alors continuons à nous défendre et, procès pour « outrage » ou pas, inventons de nouvelles armes pour la suite.
Des CAFards de Montreuil
Contact : cafardsdemontreuil riseup.net
Face aux contrôles domiciliaires de la CAF, quelques conseils - Les CAFards
Je soussignée, une personne quelconque de nationalité de hasard,retraité de Pôle Emploi depuis 2010, déclare avoir été témoin des faits suivants :
En tant que conseiller à l’emploi de 1982 à 2010 [1], militant syndical et associatif, j’ai eu à constater les difficultés que rencontrent les demandeurs d’emploi avec l’institution Pôle Emploi.
La suite des témoignages lors de l’audience du 22 novembre
Du coeur à l’outrage - Le procès d’un chômeur vire au procès de Pôle emploi
Le communiqué annonçant la relaxe du chef d’outrage à Pôle emploi intervenue le 13 décembre 2011 :
Outragé, Pôle emploi mord la poussière
Il n’est de pire chômeur que celui qui se fait entendre - Mcpl