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Convention collective du cinéma : « on veut bien de nos films à condition qu’ils se fassent pour pas cher », Alain Guiraudie

Publié, le mardi 8 avril 2014 | Imprimer Imprimer |
Dernière modification : mardi 8 avril 2014


Évidemment, je me doutais que ça allait arriver. Je me doutais bien que ça trottait dans certains esprits, cette coïncidence entre mon soutien à la convention et le succès de L’inconnu du lac.

  1. Oui, j’aurais approuvé la convention avant mon premier long métrage, d’autant plus qu’avant mon premier long, j’étais aussi régisseur adjoint.
  2. Je ne me sens absolument pas en position de force, c’est sans doute mieux aujourd’hui pour moi mais je ne pense pas en avoir fini avec les problèmes de budget (en finit-on jamais avec ça ?)."¨ Et rassure-toi, on ne soutient pas la convention collective juste pour emmerder la jeunesse.

J’ai pas mal réfléchi à cette histoire de convention, coincé entre des préoccupations que j’ai eues comme technicien et des problèmes auxquels je me suis heurté en tant que réalisateur. J’ai fait des courts-métrages sans salaires, des longs payés sous le tarif syndical. Donc c’était pas non plus évident pour moi cette histoire.

Aujourd’hui, on veut bien de nos films à condition qu’ils se fassent pour pas cher. Si on veut tant de la diversité, de la nouveauté, de l’audace, il faut la financer à hauteur de ce qu’elle coûte. C’est en s’en donnant les moyens qu’on gardera un cinéma fort. Pas en colmatant les brèches ou en ramassant les miettes. Je ne vois aucune raison à ce que cette diversité se paye sur le dos des techniciens (ou même des réalisateurs).

Depuis les années 90, je vois les budgets de beaucoup de nos films se boucler en rognant sur les salaires. Je vois même des longs métrages se faire sans salaire du tout. Sur certains films, il n’y a guère que les électriciens et les machinistes, de par leurs exigences et la trouille qu’en ont les directeurs de productions, qui font que la journée de travail ne dure pas 24 H."¨ Non seulement, ça ne donne pas nécessairement de bons films, ça peut même donner des films très académiques, car la précarité n’est pas un gage de qualité... Mais surtout, je ne sens aucune perspective d’amélioration. Bien au contraire. Je parle du cinéma, je parle aussi du fonctionnement du monde en général.

Depuis trente ans, on aménage le système capitaliste en préservant l’économie de marché, la loi du plus fort tout en essayant dans le même temps de ne pas trop faire mal aux pauvres. Charité oblige. Une précarité s’est installée qui permet à chacun de grappiller des miettes par ci par là, qui permet à chacun de croire en sa chance. Un fragile équilibre aurait soit disant été trouvé dans nos démocraties occidentales entre la liberté d’entreprendre et la solidarité envers les plus pauvres. Y compris dans le cinéma français. "¨Mais il n’y a aucun équilibre de trouvé.
On réduit les salaires, on réduit le personnel, on réduit les temps de tournage. Je ne pense pas qu’il soit souhaitable de continuer comme ça. Des films de plus en plus pauvres d’un côté, des films de plus en plus riches de l’autre.

Il me semble très important de rappeler qu’un film, comme toute production (voiture, pain, poireau, etc), c’est avant tout du travail. Aussi ça me semble normal que les salaires représentent une grande part du coût d’un film. "¨Dans le cinéma français, on échappe aux 35 heures. Tout le monde accepte que la journée de travail fasse dix heures, que les CDD soient renouvelables ad vitam aeternam. On peut virer n’importe qui du jour au lendemain. On peut appeler un mec à dix heures du soir pour venir bosser le lendemain (et il est là). Les gens viennent travailler même malades. Le technicien de cinéma est taillable et corvéable à merci Il le sent moins passer parce qu’il aime ça. On constitue un corps de métier hyper souple Un vrai petit laboratoire pour le capitalisme. Alors la moindre des choses, c’est que les salaires soient à la hauteur.

L’offensive contre la convention collective participe pour moi d’une offensive généralisée contre la valeur du travail. "¨Du Medef au Parti Socialiste, sur tout le front libéral, on n’entend que ça : « Le travail coûte trop cher ». C’est pas les loyers, les bagnoles ou les actionnaires qui coûtent trop cher. Non, on nous dit que c’est le travail.

On cherche à « libérer le travail ». On veut nous faire entrer dans l’ère de la négociation individuelle, de l’accord de gré à gré contre la réglementation collective. Que chacun se démerde avec ses propres moyens. La concurrence comme moteur du monde. Je ne vois ce qu’on a à gagner socialement avec ça (ni artistiquement d’ailleurs). Je reste favorable à une société qui partage les richesses, les risques et les chances.

Enfin, je trouve très prétentieux de penser que parce qu’on fait de l’art (ou parce qu’on croit en faire) on devrait faire passer sa condition « d’artiste » avant tout. Comme le dit le texte que j’ai signé : « les droits des créateurs ne sont"¨ pas opposables au droit du travail ».

Une convention collective a été signée. Face à ça, on a deux solutions :

  • On peut se lamenter, se demander comment on va faire une fois que ça sera plus comme on a l’habitude que ça soit. À ce compte-là, on n’aurait jamais rien fait. Je me doute qu’en 36, lorsque les congés payés ont été adoptés, non seulement des petits artisans ont dû être inquiets mais même certains ouvriers ont dû se dire que plus personne n’allait vouloir les embaucher dans ces conditions.
  • On peut aussi envisager les choses d’une façon plus politique. Considérer qu’un accord collectif nous oblige à faire des choix. Doit-on laisser le marché imposer ses critères ou est-ce qu’on essaie de reprendre tout ça en main ? On a deux gros leviers pour ça : Le CNC et le service public audiovisuel."¨ Sur les films à 1millions, il manque combien pour payer les salaires correctement ? 100 200 000 euros. Le CNC en brasse 750 millions par an.

Avec un minimum de volonté on pourrait initier une politique de redistribution des richesses vers le cinéma qui ne trouve pas sa place dans les financements télés. C’est d’ailleurs pour ça que le CNC a été créé à l’origine et sous un gouvernement de droite."¨ Quant à l’audiovisuel public, tu as bien raison, les télés ne vont pas aller d’elles mêmes vers des films « difficiles ». D’ailleurs rien n’a jamais coulé de source. Pourquoi Canal + est soumis à une clause de diversité et pas le service public ? Et pourquoi le service public ne retrouverait-il pas sa mission première qui est de donner à voir des programmes différents ?

Tout ça découle de choix politiques, ça ne tombe pas et ça n’est jamais tombé du ciel.

Voilà, j’ai choisi mon camp. Ça s’appelle comme ça. Et pour répondre à ta première réflexion au sujet de notre phrase soi disant démagogique « nos fidèles équipiers, techniciens », je pense, effectivement, qu’on a eu raison de nous désolidariser du CA de la SRF avec ce texte.

Quand tu écris que « vous ne cherchez pas la guerre », je me demande ce qu’il te faut. « ¨Lors de la dernière assemblée générale de la SRF, à grand renfort d’adhésion de dernière minute, vous avez élu un CA ayant pour seul projet la lutte contre la convention collective. »¨Et maintenant, ce recours auprès du Conseil d’État, alors que la convention est (que vous le vouliez ou non) signée par toutes les associations de producteurs et quasiment tous les syndicats de salariés (sauf la CFDT toujours dans les bons coups). Tout ça ne me donne pas l’impression que vous cherchez la paix.

Alain Guiraudie

P.S. : Je viens de prendre connaissance du communiqué de 5 associations de techniciens en réponse au recours de la SRF contre la convention collective. Je le joins à ce mail et je t’en conseille vivement la lecture.

Texte en réponse au réalisateur Yann Gonzales





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