La Coordination des intermittents et précaires d’île de France regroupe des
syndiqués et des non syndiqués, des artistes et des techniciens, des
professionnels du spectacle comme de l’audiovisuel tous unis dans leur refus
d’accepter les termes de cet accord.
( P1)
Peut-on parler, comme l’a affirmé le ministre de la
culture le 29 juin, d’un accord entre partenaires sociaux représentatifs
quand parmi les huit négociateurs réunis au sein de l’UNEDIC deux seulement
sont effectivement représentatifs de nos professions ? Quand les branches
professionnelles de deux des syndicats signataires se sont désolidarisées de
leur centrale ? Quand seules les propositions du MEDEF ont été prises en
compte dans les négociations ? Quand seuls, parmi nos employeurs, sont
représentés par ce même MEDEF les grands groupes privés de l’audiovisuel ?
Présenté par le ministre de la culture, Monsieur Jean-Jacques Aillagon,
comme une avancée sociale destinée à « lutter contre les abus et tendre vers
un meilleur équilibre financier », le protocole est en fait une habile
machine de démantèlement de notre système d’indemnisation du chômage.
(Art 2)
Parce qu’il leur faudra travailler autant qu’auparavant
mais sur une période plus courte pour ouvrir leurs droits aux allocations,
des milliers d’artistes et de techniciens vont en être exclus et basculeront
dans une précarité absolue . La violence avec laquelle ces acteurs de la vie
culturelle française seront chassés de leur régime spécifique d’assurance
chômage n’a d’égale que la violence exercée contre les salariés victimes de
licenciements massifs.
Au regard du double objectif du MEDEF : combler un déficit et mettre fin à
des abus, ce protocole n’offre à nos yeux aucune garantie d’efficacité . Il
permettra assurément de faire des économies mais au mauvais endroit car loin
de lutter contre les abus, il entérine les pratiques délictueuses de
certains employeurs - notamment de grands groupes de l’audiovisuel tant
privés que publics- et ce parce qu’il privilégie la régularité des périodes
de travail dans notre secteur (la création culturelle) qui se caractérise
entre autre par une certaine irrégularité . (Une programmation variée induit
qu’on n’y voit pas toujours les mêmes artistes d’une année sur l’autre !)
(Art 2 +Art 7)
Un point particulier de l’accord en révèle l’esprit
pervers et le disqualifie à nos yeux : pour l’ouverture de nouveaux droits,
l’examen du dossier interviendra à l’épuisement des indemnités précédemment
octroyées. Cette règle induit un « glissement » qui entraîne
quasi-automatiquement la non comptabilisation de certaines heures
travaillées en début de période : jackpot ! Des cotisations tombent dans la
caisse sans entrer dans le calcul d’ouverture des droits.
Ce glissement est au coeur de l’élaboration du protocole, il en structure la
logique et opère l’exclusion du système de ceux à qui il est destiné. Et
c’est bien là son objectif caché.
De plus, il accentue le facteur aléatoire des périodes d’activités, inhérent
à nos professions et que notre régime spécifique est censé compenser.
Dans sa traque aux soi-disant fraudeurs, ce protocole oublie (ou plus
probablement fait mine d’oublier) une chose : nous ne choisissons pas nos
périodes d’activité ! Celles-ci dépendent bien évidemment d’une embauche,
elle même dépendante de facteurs extérieurs comme le rythme des
programmations des théâtres et festivals, le planning des tournages, et
parfois même du renoncement à certains contrats lorsque deux projets se
présentent à deux périodes qui se télescopent (ou parce qu’ils sont
géographiquement trop éloignés).
C’est bien méconnaître nos métiers que d’imaginer un système où la période
donnant ouverture à nos droits change au gré du hasard de nos périodes
d’embauche.
Ce protocole générera donc de nouvelles inégalités entre les mutualistes que
nous sommes, ce qui est un comble pour un texte dont l’ambition est de « moraliser » le secteur. Et des injustices inédites verront le jour. Car le
paradoxe c’est qu’on pourra avoir beaucoup travaillé sans pour autant voir
s’ouvrir de droits aux allocations, parce qu’on aura eu la chance de
travailler beaucoup à une certaine période et la malchance de travailler peu
à une autre .
(Art 7)
Cette logique de loterie est également présente dans le
calcul du montant des allocations . (Il semble là que les négociateurs aient
conçu ce texte selon une logique de « grille » de salaire, mais, dans nos
métiers, l’irrégularité des gains aussi est de mise.) : confondant le
salaire journalier de référence avec une « valeur moyenne de notre travail », il nous pénalise lorsqu’un cachet ou un salaire supérieur à cette moyenne
se présente, et ce par une retenue de nombres de jours indemnisés
proportionnelle à la différence entre la somme « habituelle » et la somme
plus importante. On est alors en quelque sorte puni d’avoir touché un
salaire plus important que « d’habitude ».
(Art 2)
On pourra rétorquer que l’allocataire bénéficiera l’année
suivante d’un taux plus élevé par la prise en compte de ce meilleur salaire
: encore faudra-t-il que celui-ci tombe dans les 10 (ou 10,5) mois de
référence. Quoiqu’il en soit, quelle philosophie inspire cette curieuse
équation temps/argent ?
En fait, le grand absent de ce protocole c’est le travail ; il est conçu sur
une logique de réduction des coûts qui, certes, a sa légitimité, mais vise à
ignorer les pratiques professionnelles.
Ce système est pensé comme un portefeuille d’actions ( nos cachets et/ou
salaires) dont le renouvellement n’est même pas envisagé. A l’épuisement de
ses capitaux, le mécanisme d’exclusion est beaucoup plus rapide qu’avant et
touchera beaucoup plus de monde. On a d’un côté une élévation des droits
d’entrée et de l’autre une accélération des rythmes de sortie. Il conduit
donc implacablement à une précarisation accrue de nos métiers déjà
considérés comme précaires par les institutions elles-mêmes (cf étude du
ministère, rapport du Sénat, enquête INSEE 2001, tous consultables sur les
sites web relatifs).
(Art 8)
On notera aussi qu’une journée de maternité non seulement
n’est pas comptabilisée 7 heures comme pour les autres salariées, mais 5
heures (contre 5,6 actuellement). Peut-être parce que les femmes enceintes
passent aux 35 heures pendant leur grossesse. En fait le protocole joue
habilement sur les 35 heures et les 39 heures, et ce, toujours en notre
défaveur.
Nous ne sommes ni des privilégiés ni des troubadours.
Nous avons une
fonction sociale qui oblige à un statut dérogatoire. Et c’est
l’intermittence qui nous donne l’indépendance, la liberté qui nous
permettent aussi, si nous le désirons, d’échapper un peu ( !) à la loi des
marchands.
La survie des intermittents et le scandale de ce protocole de désaccord
s’inscrivent dans une réalité plus vaste qui est celle de la dégradation de
l’outil culturel, dégradation organisée depuis longtemps par le
désengagement successif de l’état dans ce secteur.
Par ailleurs, cet accord ne doit pas être considéré de manière isolée, il
s’inscrit dans la droite ligne de toutes les politiques qui désintègrent
lentement mais sûrement les biens et les services publics : le système des
retraites, de l’assurance maladie, l’éducation nationale .
Avec ce protocole, le gouvernement et le MEDEF, sont étroitement liés dans
la volonté d’annihiler l’espace de liberté et de pluralité qu’est la
création artistique en France aujourd’hui et que nous prétendons aussi
défendre hors de nos frontières par l’exception culturelle .
Aujourd’hui est mise en oeuvre une politique conjointe qui voit nos acquis
sociaux remis en cause en même temps que notre ministère se contente de
moyens d’actions toujours plus étroits, et ce nouveau choix de société
s’accorde parfaitement avec les recommandations de l’OCDE et de l’OMC, qui
ne tolèrent pas les résistances locales au libéralisme mondial.
La diversité et la multiplicité qui sont les seules garanties d’un véritable
tissus culturel de qualité pour tous, sont en péril :
nous refusons un monde qui refuse les intermittents.
NB 1 : Le 30 juin, Monsieur le ministre Jean-Jacques Aillagon nous
enjoignait à « mieux lire le protocole ». Notre petite commission constituée
d’acteurs, de chorégraphes et d’une administratrice de compagnie qui se sont
retrouvés dans le souci de connaître par eux-même un texte qui engage leur
avenir, s’est astreinte à une lecture précise, projetant toujours
l’application de chaque article à des cas exemplaires. Dès nos premières
Assemblées Générales nous avons exposé notre conviction que ce que nous
appelons le « glissement » justifiait notre inquiétude sur notre avenir et
nous permettait d’affirmer que personne ne pouvait se croire à l’abri de
l’exclusion du dit-régime. On nous dit qu’il faut lire ce qui sera écrit,
dans la convention que prépare l’UNEDIC, que le calcul ne se fera pas -
comme il est écrit - sur les 10 ( ou 10,5) derniers mois avant notre dernier
contrat de travail, mais sur les 10 ( ou 10,5) meilleurs mois avant notre
dernier contrat de travail. Nous pensons avoir débusqué là un des lièvres
que la complexité du système dissimule sous une image rassurante. Et si
certains prestidigitateurs faisaient sortir de leur chapeau un lapin, tel
que l’adjectif « meilleurs » dans des documents plus complets, nous serions
en droit de penser que notre mouvement spontané d’opposition à ce texte
n’aurait d’ores et déjà pas été inutile.
NB 2 : Réforme :
1° Amélioration apportée dans le domaine moral ou social.
2° Rétablissement de la discipline primitive dans un ordre religieux.
(Cf Petit Robert).