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Chômeurs contrôlés , patrons assistés : la démagogie, mode d’emploi (précaire)

Publié, le dimanche 14 septembre 2014 | Imprimer Imprimer |
Dernière modification : mardi 6 octobre 2015


Les déclarations de François Rebsamen sur le contrôle des chômeurs ont été suivies d’un tollé [1] qui a amené le Ministre à déclarer qu’aucune nouvelle mesure n’était prévue, et qu’il s’agissait simplement d’appliquer la loi.

Il n’y a en effet nul besoin d’ajouter des dispositions à un ensemble législatif et administratif qui permet au Pôle Emploi comme aux départements chargés du contrôle des allocataires du RSA, de moduler radiations et sanctions selon les besoins du moments [2]

Depuis le début des années 2000, en effet, de multiples textes ont été adoptés par les gouvernements successifs : chacun d’entre eux a élargi les possibilités de contrôle, les obligations diverses de pointage et de justification imposées aux demandeurs d’emploi et aux plus précaires. Dans le même temps, les possibilités concrètes de formation et d’insertion sociale se sont réduites comme peau de chagrin.

La réalité, tout le monde la connaît : même en reprenant le chiffre tronqué de 350 000 emplois non pourvus, le mettre en rapport avec le nombre de demandeurs d’emploi suffit à démontrer qu’il n’y a pas de possibilité immédiate pour des millions de gens.

Exiger des gens qu’ils recherchent quelque chose qui n’existe pas est donc devenu une politique publique à part entière, avec ses victimes , mais aussi ses bénéficiaires, dont on parle peu.

Parmi les victimes,outre les chômeurs, les personnels du Pôle Emploi, mais aussi les travailleurs sociaux chargés des allocataires du RSA ont expérimenté ces dernières années la souffrance au travail dans des proportions inconnues jusque là : en 2006 la mise en place du Suivi Mensuel Personnalisé les contraint à un travail dépersonnalisé et quasi-automatisé. Il faut impérativement convoquer à date fixe l’ensemble des « unités » d’un « portefeuille » de demandeurs. Peu importe qu’on n’ait rien à leur dire, rien de nouveau à leur proposer, il faut les voir en face à face. Et accepter la radiation automatisée de ceux qui manqueront un rendez-vous : la dévastation gratuite de vies déjà difficiles se généralise. De fait, la radiation, même d’un mois déstabilise sur la durée les budgets déjà fragiles, ceux des mères qui ne pouvaient pas faire garder leur enfant ce jour là, ceux par exemple des gens qui n’ont tout bonnement pas les moyens d’engager des frais d’essence en fin de mois, alors que leur agence est loin , notamment en zone rurale.

Autre effet collatéral de ces convocations imposées, les conseillers doivent, faute de temps refuser de recevoir les demandeurs qui ont besoin d’eux en urgence : des formations programmées seront ainsi manquées parce qu’un papier pour le financement n’a pu être fourni à temps. Des chômeurs manquent une occasion d’être embauchés parce qu’ils n’ont pu obtenir du Pôle , le document nécessaire à l’employeur pour finaliser un contrat aidé.

Le règne de l’absurde ne cessera pas avec l’abandon effectif du Suivi Mensuel Personnalisé, faute de personnel suffisant.

Les nouvelles technologies permettent un contrôle virtuel fondé notamment sur les obligations édictées par la loi sur « l’offre raisonnable d’emploi », qui édicte des critères d’ « acceptabilité » des offres, que le demandeur ne pourrait refuser sans subir des sanctions.

Le rôle des travailleurs de Pôle Emploi consiste désormais en partie à submerger les demandeurs d’offres qui n’ont rien à voir avec leur emploi initial, leurs expériences passées, et leurs propres projets, et à sanctionner celles et ceux qui n’y répondent pas. Cette politique est absurde en plus d’être arbitraire et dégradante : ce n’est pas parce que Pôle Emploi a décidé qu’un demandeur pouvait faire n’importe quel boulot, que les employeurs vont se plier à cette exigence. Devant la masse des demandeurs avec une expérience et une formation dans un secteur précis, les patrons n’ont pas intérêt à prendre des novices. Et même pour les emplois n’exigeant pas de spécialisation, même pour les emplois les plus difficiles et les moins bien payés, l’employeur recherche un minimum de motivation, qui lui évitera un turn over trop important. Les candidatures contraintes , dictées uniquement par la nécessité de prouver sa recherche d’emploi sont vite détectées.

Mais ces politiques de contrôle permettent quand même 515 000 radiations par an. Ce qui représente 515 000 plongées dans une précarité accrue.

Et la plupart des emplois existants, aussi mal payés et précaires soient-ils trouvent vite preneur, non pas à cause de la crainte d’une radiation, mais tout simplement parce que même sans sanction, l’indemnisation du chômage est suffisamment basse et peu étendue sur la durée pour contraindre les demandeurs à accepter n’importe quoi, à très brève échéance. Et ce d’autant plus quand l’absence totale de revenu de substitution est une réalité pour une part grandissante de la population : les jeunes exclus du RSA, sauf exceptions rarissimes. Mais aussi, toutes celles et ceux, qui ayant épuisé leur droit au chômage indemnisé, ne peuvent prétendre au RSA, parce que leur conjointE a un emploi et que les revenus sont calculés par foyer. Sans oublier une partie des étrangers, pour qui le renouvellement d’un titre de séjour est souvent conditionné à un contrat de travail, et qui sans-papiers après avoir été licenciés ne pourront avoir droit à leur allocations chômage même s’ils ont cotisé.

Mais si les politiques de contrôle des chômeurs,ne font pas revenir dans les caisses de l’Etat ou de l’UNEDIC les produits d’une fraude qui n’existe pas, elles ne sont pas neutres économiquement. Elles représentent un enrichissement conséquent pour un secteur en plein boom : celui de l’ « aide au retour à l’emploi ».

C’est un secteur d’activité peu connu du grand public et même des médias : en effet, il ne se présente pas comme tel dans les statistiques économiques, et regroupe toutes sortes de structures, certaines associatives, d’autres prenant la forme de PME, d’autres encore étant de grands groupes internationaux ou des filiales de géants de l’intérim. Leurs prestations sont également variées dans les appellations : du « coaching » à l’ « aide à la recherche d’emploi », de l’ « entreprise d’insertion » au « stage de remise à niveau ».

Les chômeurs et précaires eux les connaissent bien : rare est désormais celui ou celle qui ne s’est pas vu un jour imposer quelques jours ou quelques semaines, voire quelques mois de « stage » ou de « session de formation » ou de « suivi renforcé » pendant sa période de chômage.

Le plus souvent, cette expérience sera pour lui celle du vide et de la perte de temps : refaire un CV pour la millième fois, appeler des employeurs pendant des matinées entières sous la surveillance de « coachs », répondre à des annonces déjà proposées par le Pôle Emploi et devoir discuter des heures de la lettre de motivation idéale. Ce sera aussi très souvent un souvenir d’humiliation et de pression, qui prend la forme d’un « bilan de compétences » contraint, dont les conclusions sont toujours les mêmes : le projet personnel de la personne est totalement inadapté à la situation du marché de l’emploi, et celle-ci doit baisser ses prétentions.

Très souvent aussi, ce sera l’occasion pour les « chercheurs d’emploi », comme disent ces spécialistes des « nouveaux concepts », de visiter des bureaux semi-déserts en périphérie de zone industrielle, où l’on a disposé quelques tables et chaises, deux ou trois téléphones, et un ou deux postes informatiques démodés, plus un tableau blanc où un formateur qui s’avère être un précaire lui-même écrit des banalités sur un tableau à feutre Welleda [3].

La caractéristique du secteur privé du contrôle des chômeurs est ainsi de n’être pas contrôlé lui-même. Il y a quelques années déjà, les rares études indépendantes sur le sujet faisaient état d’un coût multiplié par deux ou par trois en cas de suivi privé d’un demandeur d’emploi par rapport au suivi par un conseiller Pôle Emploi pour des résultats au mieux similaires. Soumise à un flot de critiques, la politique de recours aux prestataires privés n’a pas été abandonnée : Pôle Emploi a simplement diminué la part des prestations de plus de trois mois, qui concernent quand même 239 000 chômeurs chaque année pour les orienter vers une multitude de prestations plus courtes mais tout aussi inefficaces comme le relevait encore la Cour des Comptes en juillet 2014

Depuis très régulièrement, un scandale éclate à propos d’une officine ou d’une autre, comme récemment en Seine Saint Denis où les patrons de la boîte de suivi avaient aussi crée de fausses structures destinées à embaucher fictivement des demandeurs en contrat aidé et à empocher les subventions. La boite de suivi en question C3 Consultants est un des principaux prestataires privés du secteur.

Les contrats aidés sont d’ailleurs bien sont d’ailleurs l’autre facette de la politique d’ensemble qui place le contrôle au centre de son dispositif. Et au quotidien, l’alternative entre la radiation et l’acceptation de ces contrats est d’ailleurs très courante .

Contrairement aux idées reçues, ces contrats aidés ne créent pas de nouvel emploi , qu’il s’agisse de tâches autrefois assurées par des fonctionnaires dans le cadre du service public, ou de tâches pour lesquelles les patrons du privé étaient au moins obligés d’offrir des CDD au SMIC avec prime de précarité.

Entretien, bâtiment, administratif, service à la personne, accueil du public, manutention, professorat , aide à la scolarisation des enfants handicapés...il n’est désormais pas un secteur qui n’utilise pas les CUI ou les contrats d’avenir. Et pour cause, ces contrats prévoient un subventionnement allant jusqu’à 90% du salaire , pour une période pouvant aller jusqu’à deux ans. Autre avantage, ils sont dérogatoires dans beaucoup de secteurs à la nouvelle loi fixant un minimum de 26h par semaine au contrat de travail.

Ces dix dernières années, le discours de stigmatisation des chômeurs , de normalisation des contraintes et du contrôle sont allées de pair avec un laxisme envers les employeurs, qui va jusqu’à utiliser l’argent public pour payer une grande partie des salaires. Si ces contrats n’existaient pas, la plupart de ces emplois ne disparaîtraient pas , d’autant que certains sont dans des secteurs qui se portent très bien économiquement parlant, et qui sont pour beaucoup non délocalisables. En fait, ces emplois seraient proposés selon les règles normales du Code du Travail, il n’y aurait pas d’exonération des cotisations sociales, les caisses de l’Etat comme celle des organismes fondés sur la solidarité nationale seraient mieux remplies.

En lieu et place, l’argent public tombe dans les poches des employeurs dans un cercle sans fin.

Embauchés pour un salaire de misère, les précaires sont débauchés six mois ou deux ans plus tard. Ainsi après la fin d’un contrat aidé dans le public, seulement 39% sont en emploi six moisaprès. Dans le privé, le chiffre est beaucoup plus élevé,...mais ceci est du en grande partie à l’ « effet d’aubaine », les contrats aidés étant utilisés pour des postes de toute façon nécessaires à l’employeur qui a ainsi la possibilité de toucher des aides au salaires pendant deux ans avant un CDI.

De retour au Pôle Emploi, le niveau d’indemnisation des ex-emplois aidés sera extrêmement faible, et très vite ils seront de toute façon de retour aux minima sociaux...et de nouveau éligibles à un contrat aidé qu’ils accepteront de guerre lasse, sous menace d’une radiation pour refus d’une offre raisonnable d’emploi. Et de nouveau , un employeur public ou privé percevra sa subvention au salaire. Dans l’intervalle, leur orientation vers des prestataires privés d’accompagnement vers l’emploi, pour des ateliers de quelques jours ou quelques semaines aura permis à d’autres patrons de percevoir également une petite manne d’argent public.

Et encore les contrats aidés, prévoient-ils au moins un salaire...Evidemment, l’emploi sans salaire ça n’existe pas ? Et bien si, c’est même une situation devenue banale, et auxquels de nombreuses personnes sont astreintes, dans le cadre de leur « recherche d’emploi ». On appelle ça, « immersion en milieu de travail », et jusqu’ici, les appellations précises variaient selon qu’elles soient prescrites par le Pôle Emploi, par des structures d’insertion ou par les missions locales. Chez Pôle Emploi, on appelait cela EMT, évaluation en milieu de travail : totalement illégales, sanctionnées par des décisions de justice, ces périodes de travail gratuit sont néanmoins imposées aux demandeurs d’emploi depuis des années. En 2014, le régime de ces « mises en situation en milieu professionnel » a été unifié, sous couvert de « faire découvrir un métier » ou de « consolider un projet professionnel ».....Aucun salaire, aucune indemnisation pour les concernés, légalement considérés comme « en recherche d’emploi »...alors qu’ils sont en emploi.

Le contrôle des chômeurs, et son pendant médiatique, la stigmatisation des prétendus assistés a donc une utilité bien réelle, renverser la réalité dans les discours politiques : pendant qu’on montre le chômeur du doigt, personne ne regarde le patron. Celui qui empoche depuis des années, sans contrôle des subventions aux salaires énormes , censées l’amener finalement à créer des emplois pérennes. La politique des « droits et des devoirs », c’est des droits pour le MEDEF, des devoirs pour les travailleurs en emploi ou non.

Et à mesure que la précarité s’étend, la frontière devient de plus en plus floue entre l’emploi et le chômage : on est désormais en « insertion », ce terme désignant un nombre croissant de situations dérogatoires au Code du Travail, où l’on travaille sans avoir les droits d’un salarié, tandis que l’employeur bénéficie d’un transfert des allocations chômage ou des minima sociaux.

De plus en plus de luttes émergentes ont d’ailleurs pour acteurs et actrices une génération de précaires qui a intégré cette situation mouvante : intermittents,AVS/EVS de l’Education Nationale, intérimaires savent bien désormais que leur sort se joue en même temps dans les décisions concernant l’indemnisation du chômage et le contrôle des chômeurs tout autant que dans les modifications du Code du Travail. Si ce savoir est aujourd’hui avant tout une expérience subie, il sera sans doute à la base des mobilisations choisies dans l’avenir.

Source : http://www.ac.eu.org/spip.php?article2195

Notes Cip-Idf





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