Le texte qui suit a été diffusé aux participants à la coordination nationale étudiante samedi 2 avril 2016 à Rennes. [1]
Proposition d’enquête action dans et contre l’emploi précaire à destination des AG de lutte et des isolés appelés à les rejoindre
La seule richesse que nous avons à tirer aujourd’hui de l’école
c’est la dynamique de lutte qu’elle peut entrainer...
Parmi ceux qui sont à la fois les plus mobilisés et les plus en butte à la répression, les questions du travail et de la précarité sont en train d’être abordées collectivement, creusée de manière critique. Voici quelques notes à ce propos, en espérant qu’elles puissent être utiles à des échanges parmi ceux qui luttent et parmi tous ceux qui sont appelles à les rejoindre.
Une proposition immédiate serait de réaliser des petits moments d’enquête (qui taffe où ? comment fait-on pour vivre ?) qui permettent d’ajouter aux formes de luttes actuellement expérimentées, des actions de perturbations/interruptions qui visent des entreprises, événements et institutions organisatrices du travail, de pratiquer des formes de grèves qui puissent s’assurer le maximum d’impunité salariale, disciplinaire, policière.
Il peut être plus aisé d’occuper tranquillement un Mac do deux heures pendant le rush [2] après avoir bloqué une plate forme téléphonique, puis d’aller agir ailleurs, que de se confronter frontalement à la police. Il s’agit de nuire aux entreprises (etc.) dont on dépend, par exemple en y faisant intervenir des inconnus de ces boites, comme lorsque le mouvement des intermittents et précaires bloquait des spectacle à la demande d’intermittents qui ne pouvaient s’y mettre en grève, et ainsi de contribuer à faire des lycées et facs en lutte des lieux d’élaboration depuis lesquels soient impulsées de multiples actions vers l’extérieur.
Bien des « jeunes » vivent le présent en pensant à l’avenir (par ex. la loi travail). Pensées souvent placées sous le signe de la crainte : la précarité qui les menace et qu’ils peuvent combattre pour cette raison (comme lors du mouvement actuel : lutter dans et contre la peur met en cause la gouvernementalité) ; la précarité à laquelle échapper (ou moins concéder) en obtenant des diplômes (et en montrant patte blanche : stages, candidatures, faire la preuve de son adaptabilité, d’Erasmus à l’intérim).
Or ces entrants dans le salariat ont déjà une connaissance précise de l’avenir (leur participation aux manifs n’est pas « absurde » contrairement à ce qu’a dit MEK), c’est le temps des parents, des aînés : crise, travail emmerdant, inutile, dégradant, entre dépendance au marché de l’emploi (chômage, pauvreté, ennui, dévalorisation, indignité) et surinvestissement obligé dans l’emploi (heures supp. non payées, ..., burn out).
Mais ils se considèrent usuellement comme en train de « préparer l’avenir », ce qui entrave leur capacité à « se faire experts » - pour la lutte ! - de leur propre sort dans le travail et la discipline scolaire : horaires, hiérarchie, évaluation sont une préparation au travail, un apprentissage de l’adaptabilité à des fonctions changeantes (le capitalisme c’est la crise et la restructuration continues), le préalable à une polyvalence requise par l’emploi variable.
Avant d’en revenir au présent, un détour par deux textes critiques quant à la fonction de l’école dans la société capitaliste peuvent s’avérer salubres. Écrits peu après des mobilisations massives de scolarisés, ils restent actuels par certains de leurs aspects (car oui, la peur du chômage a repoussé à l’arrière plan l’angoisse d’avoir à s’employer pour de la merde, de perdre sa vie à la gagner, même si, grâce à la brutalité du PS, ce refus là revient en force...) :
• L’école, atelier de la société-usine - L’école-en-lutte, 1973 [3]
• Etudiants, si vous saviez - Cash, 1986 [4]
Ainsi par exemple peut-on encore aujourd’hui faire quelque chose de ce qui suit.
La fac : l’école du travail
En fait l’inquiétude ressentie dans les milieux scolaires, ce n’est pas tant la peur du chômage que le type de travail que l’on est sûr de trouver. Car la massification des diplômes cela signifie un travail de merde, comme tous les autres travaux, qui nous échappe totalement aussi sûrement que le travail de l’ouvrier d’usine. La chaîne si elle est devenue abstraite, n’en demeure pas moins une chaîne. Et nous ne pourrons pas plus nous prévaloir d’un savoir faire spécifique, nous ne sommes chacun qu’un parmi des milliers, interchangeables et jetés dans le domaine de la concurrence. Et le salaire que nous pourrons espérer obtenir ne dépassera guère le SMIC. Cette concurrence c’est également l’école qui la gère indirectement. C’est un des rôles de la sélection. À travers des diplômes différents, elle permet de hiérarchiser les individus de leur donner des salaires différents pour le même travail. Prenez l’exemple des profs : quelle différence dans le boulot d’un agrégé ou d’un maitre auxiliaire ; la même merde avec 6 heures de moins et 4000 F en plus pour l’agrégé. Cette même hiérarchisation se trouve dans l’ensemble du public et dans les grandes boites du privé. Elle permet la division en catégories et l’impression que l’on appartient à un corps que le travail et le salaire que l’on nous donne revienne à notre mérite, celui qui nous a permis de décrocher notre diplôme.(Etudiants, si vous saviez).
L’« étudiant » n’est rien d’autre qu’une idée archéologique, partagée par le syndicat, un gauchisme rabougri, des pro-situs, alors que la figure de l’étudiant n’existe plus. Faire l’étudiant, c’est dans 75% des cas !! ÊTRE déjà UN TRAVAILLEUR PRÉCAIRE, dans le phone marketing, la grande distribution, la restauration rapide, les services à la personnes, l’intérim, etc., ou directement dans son domaine de formation, voire comme pute. Et c’est de là qu’il faut partir.
Car autant se le dire, les bons sentiments ne font pas une politique. Pour inventer un égoïsme collectif et solidaire, plutôt que de se dire d’abord « solidaire de... » qui est en plus mauvaise posture (par ex. les Rroms, migrants, chômeurs), ou serait plus légitimes (par ex « les travailleurs ») mieux vaut partir de sa propre situation, et donc à propos de la Loi Travaille !, des pratiques d’emploi que l’on vit et expérimente déjà, pour en faire collectivement une lecture orientée. On y trouvera davantage de raisons et des raisons plus solides d’agir avec les migrants, les chômeurs, les précaires et les salariés en poste.
Ce rapport à l’emploi précaire des scolarisés, il commence dès le secondaire. 1/3 des lycéens de plus de 16 ans travaillent en plus de l’école, pas pour des diplômes et pour plus tard, mais pour de l’argent, tout de suite [5].
Des échanges sur ces questions (où ? pour qui ? comment ? à quel prix travaillons nous ?) entre scolarisés, à l’école, dans les filières générales et techniques, en IUT ou à la fac, doivent avoir lieu ! C’est le seul moyen de se faire collectivement une idée précise et concrète du travail, au présent ! De tels échanges ont vocation à déboucher sur l’organisation d’actions (ag, blocage, manifs, ok, mais pas seulement !!).
Il s’agit aussi en inventant de tels espaces et moments de lutte d’éviter deux écueils qui grèvent de l’intérieur le développement du mouvement : d’une part, le schéma travailliste et bureaucratique des syndicats et organisations de gauche (CDI pour tous, alors que cela ne motive - et pas à tout coup ! - que la recherche d’une sécurité plutôt illusoire, cf CDI chez Mac do et tant d’autres, 26 000 « ruptures conventionnelles » par mois, période d’essai abrégées par le patron à son gré, etc.), un schéma qui entrave l’action des militants et sympathisants qui y adhèrent peu ou prou ; d’autre part, les idéologies insurrectionnalistes en vogue actuellement et qui conduisent ceux qui s’y reconnaissent plus ou moins explicitement à renforcer une « identité » (à se distinguer du vulgaire) plutôt qu’à agir avec tous, alors que c’est la seule voie qui permettrait de mettre en oeuvre une transformation réelle, produire des effets qui dépassent les participants actuels au mouvement.
• Réunion ouverte pour monter des comités d’action mercredi 6 avril à 18h - Bourse du Travail de Paris, 3 rue du château d’eau, Métro République
• Voir également : Mars attaque ! Mai ce sera trop tard !
• Un peu de théorie ? Aujourd’hui la classe ouvrière n’a qu’à se regarder pour comprendre le capital. Elle n’a qu’à se combattre elle-même pour détruire le capital. Lutte contre le travail, Mario Tronti, Ouvriers et capital, livre en ligne.