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Chroniques de permanences, la CAF arrête de verser à Alisha sa prime d’accueil pour jeune enfant

Publié, le mardi 16 août 2016 | Imprimer Imprimer |
Dernière modification : vendredi 9 décembre 2016


Chroniques de permanences #4

Alisha a 27 ans, une fille très mignonne et un mari un peu pénible. Elle a obtenu une protection de la France, et elle a commencé à venir dans mon bureau, comme des centaines d’autres par années, pour un problème de CAF : ils avaient arrêté sans raison de lui verser sa prime d’accueil pour jeune enfant.

On a fait des courriers, et des recommandés, fait des visites. On a passé plein d’appels, pendant que sa fille dessinait à l’indélébile sur toutes les tables jaunies du Secours Catholique. On aurait presque pu devenir copines, avec le temps passé à meubler pendant que la musique d’attente de la CAF nous faisait patienter, avant d’entendre à chaque fois que son argent allait arriver.

Alisha est une femme décidée. Epuisée, mais décidée à y arriver. Elle aimerait vraiment travailler, mais ne trouve pas de place en crèche. Elle aimerait travailler, parce qu’en l’absence de l’argent de la CAF, elle doit demander et justifier chaque euro qu’elle dépense auprès de son mari. On a fait son CV ensemble une fin d’après-midi, après une permanence, parce qu’elle ne trouvait personne pour l’aider. Le Pôle Emploi lui avait dit que le sien était moche, pas assez professionnel, et l’avait laissée là, avec sa feuille dans les mains, sans lui dire autre chose.

Elle m’a raconté ses expériences, qu’on a enrobées avec des mots qui la rendait employable. Au détour de la discussion, je me suis rendue compte que sa dernière expérience, c’était d’avoir été aide à domicile. Avec des conditions un peu particulières. Deux ans, sans pouvoir sortir, en mangeant les restes qui trainaient pendant que sa patronne dormait, sans passeport, sans clé.

Alisha s’est enfuie un jour de vacances en France. Moi je la regarde, assise bien droite dans mon bureau, et je pense à tout ce qu’elle m’a déjà raconté. Elle se marre, parce qu’elle voit bien mon malaise, mon sourire qui s’est crispé, mes mains qui continuent à enrober tout ça pour son CV. « It is ok now madam, it is finish you know ». Son rire me contamine, on continue, l’atmosphère est moins lourde, sa fille a recommencé à jouer.

Le lendemain j’ai rappelé la CAF. Ca faisait quatre mois. Quand la dame m’a dit qu’elle ne pouvait pas me parler car Madame Alisha n’était pas avec moi j’ai haussé le ton. Ah ça ! ça dérange personne à la CAF de m’appeler moi pour me donner les informations concernant son dossier. D’éviter le dialogue avec la personne qui n’a pas été payée depuis quatre mois et qui parle mal français. Par contre, aujourd’hui, je passe pour une vieille totalitaire qui enfreindrait le droit à la vie privée des allocataires. Je hurle donc. La conseillère attend patiemment que ça passe et me dit, comme à chaque appel, que l’argent va être débloqué très vite. Je lui explique que je doute, vu qu’à mon dernier appel, la technicienne m’avait expliqué qu’ils avaient mis ma lettre dans la chemise verte au lieu de violette, et que c’était pour ça que ça n’avait pas été traité. Que je n’ai pas l’air con moi, de devoir expliquer ça à Alisha. Que si elle galère, c’est pas parce que la CAF veut faire des économies mais c’est à cause de la chemise en carton verte.

Ça m’a fait penser à mon collègue qui, un jour d’embrouille avec le Pôle Emploi, leur avait hurlé qu’il ne fallait pas s’étonner que les gens s’immolent devant leurs agences. Ce qui nous avaient fait marrer, mon collègue et moi, c’était la réaction de la conseillère : « monsieur, nous ne tolérons aucune violence verbale à Pole Emploi ». Mais annoncer à une personne qu’elle ne boufferait pas pendant 3 mois, c’était pas violent ? Ah, ce fameux double standard de la violence.

Aujourd’hui, Alisha s’est trompée de destinataire et m’a envoyé un texto. Aujourd’hui, Alisha a écrit qu’elle voulait se suicider. On a parlé, et j’ai écrit un autre recommandé, plein d’articles de loi et de menaces. Alisha a obtenu ses allocations, plus de 10 mois après leur coupure.

12 août 2016

Source : http://marciawanders.tumblr.com/post/148832090498/chroniques-de-permanences-4



De fait ils comptent sur notre consentement pour mener leur politique de précarisation et d’austérité : Économie du non-recours : 1 650 000 pauvres boudent le RSA

Tout le monde n’a pas la chance de tomber sur une perm sociale qui ne lâche pas l’affaire. Ne pas oublier que l’action collective paie, un exemple : CAF Nationale : 8 cars de CRS, 10 policiers en civil (im)mobilisés, 2000 euros de « trop perçu » RMi récupérés

Un avis de lectrice : Merci pour cet édifiant témoignage.
Comme quoi, plutôt que de s’épuiser inutilement au téléphone, pendant des heures et des mois, il est souvent plus efficace de commencer directement
par ce que beaucoup considèrent comme la fin, avant que la situation ne s’envenime pour l’allocataire : une lettre avec A/R bien argumentée en droit, autant que souhaitable, neutre du point de vue émotionnel et sentimental (histoire d’éviter au maximum de livrer des éléments de son intériorité, à l’administration, car ces éléments ne regardent personne et de surcroît, n’ont rien à voir avec le schmilblick), et (suggestion) avec une formule de politesse du genre : « En espérant très sincèrement que cette situation se résoudra de manière amiable et ne pas avoir à recourir à une procédure contentieuse, je vous prie d’accepter, Madame, Monsieur, mes salutations les plus respectueuses ».
Ça peut avoir l’air un peu agressif, mais l’expérience montre que dans un grand nombre de cas, quand on est dans son droit, l’attitude conciliante et arrangeante des allocataires n’aboutit à rien, voire à des complications supplémentaires.
Au contraire une attitude plus sûre d’elle-même et de ses droits est souvent plus rapide, efficace et favorise également les sentiments de dignité et de fierté dont on a particulièrement besoin quand on est dans la mouise.



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