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La presse féminine dans l’avenir très proche (puis : la presse en générale)

Publié, le mardi 9 décembre 2003 | Imprimer Imprimer |
Dernière modification : mardi 9 décembre 2003


http://www.acrimed.org/article.php3?id_article=1390

Vrais catalogues, faux magazines : la presse féminine sort ses
« magalogues »

Une nouvelle génération de « féminins » est en train de s’implanter en
France ! En quête de nouveaux créneaux pour une rentabilité maximum, trois
grands groupes industriels de la presse féminine lancent leurs
« magalogues ». Entre « magazine » et « catalogue », ce « concept
marketing » s’affirme d’entrée de jeu et clairement en totale contradiction
avec les règles et les principes essentiels du monde de la presse [1].

Shopping : le « magalogue » de Prisma est apparu en mai 2003. Il se
positionne comme le « premier magazine de shopping de France. Mods, celui du
Groupe Marie Claire sortira le 15 février 2004 et se présente comme un
magazine bimestriel de shopping « premier guide de mode et de beauté haut de
gamme ». Quant à Glamour, celui de Condé Nast France, il est attendu pour le
15 mars.

Pour la première fois en France, sans provoquer la moindre réaction, le
moindre scandale, des éditeurs de la presse magazine sont en train de mettre
sur le marché, des catalogues entièrement dédiés à la consommation et qui,
grâce à leur « label » de « magazine », présentent l’avantage d’être payants
pour les annonceurs comme pour les lectrices !

Des catalogues payants !Des magazines qui n’ont plus besoin de faire de
place au « journalisme ». Dans le numéro 3 de Shopping, hors consommation,
il n’y a plus ni article, ni information, investigation, interview ou de
reportage. Et dans l’ours à part une rédactrice en chef adjointe, la
rédaction ne comporte que des spécialistes mode, beauté, déco.

Alerte et questions (1)

Comment ne pas s’indigner qu’un tel catalogue payant ait pu obtenir
l’agrément de la commission paritaire ? A ce titre, et au nom de la liberté
d’expression et du pluralisme, ces catalogues payants, sont distribués par
les MNPP, mais aussi et surtout ils bénéficient des aides directes et
indirectes attribués de la presse. Quelle ironie, quel scandale, quelle
honte ! Pour garantir la liberté de la presse, ces catalogues payants sont
tout bonnement aidés, subventionnés par l’ensemble des contribuables
français. Les voilà exonérés de la taxe professionnelle, et bénéficiant d’un
taux de TVA à 2,1%, et d’avantages fiscaux, ainsi de de réduction pour leurs
tarifs postaux ou SNCF. Un beau pactole !

Jusqu’à quand les avantages prévus pour garantir une véritable presse
d’information, de plus en plus en péril, de plus en plus menacée, vont-ils
être détournés au bénéfice de grands groupes industriels ?

A l’heure où la notion d’auteur est menacée, ou le statut et la déontologie
des journalistes se font de plus en plus floues, ne faut-il pas refuser que
des spécialistes en communication, en marketing bénéficient de la carte de
journalistes professionnels ?

Le vrai visage de la presse féminine

Finalement le seul avantage, si l’on peut dire, de ces « magalogues » est
qu’ils dévoilent le vrai visage de la presse féminine. Sans plus chercher à
se cacher derrière des alibis vaguement féministes ou sous une soit disant
complicité féminine, intime et toujours réactionnaire, la presse féminine,
avec ses « magalogues », se pose clairement comme une presse entièrement
soumise à des intérêts privées, comme un outil au service d’une idéologie
archi libérale, celle de la consommation forcenée et à tout prix.

Une trahison et une catastrophe les femmes. Face à une société paradoxale et
contradictoire, qui proclame l’égalité des sexes alors que les droits des
femmes sont de plus en plus menacés et que leur situation économique
régresse, les femmes n’ont plus ni repères ni relais, ni soutien. Pas plus
du côté des féminins que du côté des autres médias.

Et une plaie pour toute la presse. Réservés pour le moment à la presse
féminine, ces « magalogues » qui n’ont plus rien à voir ni avec la presse,
ni avec le journalisme, risquent fort en cas de succès, de faire des petits
dans toute la presse magazine.

Alerte et questions (2)

Qui oserait affirmer que les lectrices en se détournant de cette presse,
pouvaient être les seules à la mettre en échec ? Comment ignorer le pouvoir
de séduction dont dispose la presse féminine ? Comment ignorer qu’en dépit
de tous ses titres, de son apparente extraordinaire variété, toute la presse
féminine d’aujourd’hui fonctionne selon trois mécanismes bien rodés :
séduction, distraction et manipulation. Et alors qu’une grande partie des
femmes se détourne de ce secteur de presse, forte du revenus de ses
annonceurs, la presse féminine parvient non seulement à survivre mais plus
encore à maximaliser ses profits. Un paradoxe, un miracle ? Non une
réalité !

Faisons ensemble les comptes du prestigieux Marie Claire. Après avoir attiré
plus d’un Million de lectrices dans les années soixante, il fonctionne
aujourd’hui, avec profit et bénéfice, avec 400.000 lectrices, soit 7,5% de
moins qu’en 97. Avec un prix kiosque à 2E50 les 400.000 lectrices de Marie
Claire rapportent mensuellement 1ME. Mais avec leurs 130 pages de pub
mensuelles, à 31.000E la page les annonceurs rapportent aux : 4.000.000 E.

Rendez- vous compte : chaque mois les annonceurs de Marie Claire rapportent
quatre fois plus que ses lectrices ! Alors quiconque persiste à considérer
que les femmes sont défendues, soutenues par la presse féminine se leurre
complètement. La presse féminine, avec ou sans « magalogue », est à
l’entière disposition de ses clients principaux : les annonceurs. Des
clients prioritaires et de plus en plus exigeants.

Et les annonceurs ne s’intéressent guère aux femmes qui lisent ni à celles
qui achètent les féminins. Plus que le score de diffusion, c’est le score
d’audience des magazines qui dicte leurs choix. Ils recherchent par dessus
tout, des « feuilleteuses », celles qui chez une amie ou chez le coiffeur,
tournent les pages et gobent sans même le savoir les images et les messages
des grandes marques. Et si aujourd’hui encore Marie Claire demeure le
chouchou des annonceurs, c’est qu’en terme d’audience, avec ses trois
millions de « feuilleteuses » mensuelles, il est compte encore parmi les
meilleurs des féminins. Une aubaine pour les grandes marques de mode, de
parfums et de cosmétiques.

Et les « magalogues », ces nouveaux produits marketing, dans lesquels il n’y
a plus rien ni à lire, ni rien qui informe ou fait réfléchir, sont tout
simplement une « presse » faite par et pour les annonceurs. Qui souhaitent
par dessus tout que les femmes ne soient plus que des consommatrices
« feuilleteuses » pressées. Pour le plus grand profit des grandes marques de
mode, de parfums et de cosmétiques.

Alors que faire ? De quelles armes disposons-nous pour que les femmes ne
puissent plus être dupes ? De quelles armes disposons nous, pour que les
annonceurs et les éditeurs respectent les règles de la presse et les
journalistes ? Prises au piége, elles aussi, de plus en plus de journalistes
de la presse féminine sont en alerte, doutent et s’interrogent. Demain
peut-être elles oseront prendre la parole. Pour dénoncer une presse aux
ordres, une presse qui manipule et qui ment.

Véronique Maurin

Lire également :« De la puissance de la presse féminine »

[1] Première version : 5 décembre 2003, complétée et corrigée le 6





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