jeudi 11 mars 2004
Dernière modification : jeudi 11 mars 2004
De victoires de la musique en césars, la question des intermittents continue d’occuper le devant de la scène. La CFDT a, dans ce domaine, pris ses responsabilités, face au patronat qui voulait supprimer le régime spécifique des intermittents pour le remplacer par celui des intérimaires. Elle les assume pleinement. Elle entend aussi le malaise qui persiste dans le monde des intermittents et des acteurs de la culture. C’est pourquoi je soumets aujourd’hui une proposition, afin de sortir du blocage dans lequel tous les acteurs se sont enfermés. Il s’agirait de faire appel à de nouvelles sources de financement pour compléter l’assurance chômage des intermittents.
Nous nous trouvons en effet dans une situation intenable. L’Unedic ne peut continuer à distribuer des ressources qu’elle n’a pas, et ce exclusivement en faisant payer les salariés du privé qui ne constituent pas, à eux seuls, le public de la culture. Rappelons tout de même que, si nous avons dû procéder à une réforme du régime des intermittents, c’est parce que le déficit avait atteint un niveau insupportable : une cotisation versée pour huit prestations servies. Et pour cause : de 31 000 en 1985, le nombre d’intermittents est passé à 100 000 en 2003, au fil d’une dérive libérale qui a paupérisé la profession, avec des contrats de plus en plus courts et de moins en moins bien rémunérés. Le turn-over de la profession atteint 50 %, car, à un noyau de professionnels, sont venus s’ajouter 360 000 personnes qui aspirent au statut d’intermittents [1].
La réforme engagée ne réduira du reste qu’une partie modeste du déficit de l’assurance chômage, et ce pour une raison simple : la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC ont été soucieuses de préserver ce régime et de trouver un compromis entre les intérêts des différentes catégories de salariés. Soucieuses aussi de rappeler aux autres acteurs leurs propres responsabilités : c’est aux employeurs de négocier la liste des métiers éligibles au statut d’intermittent et c’est au législateur de « faire la loi », au propre comme au figuré, pour en finir avec les abus des employeurs publics et privés et de leurs sous-traitants. L’Unedic n’a pas ce rôle, et encore moins ce pouvoir. Elle n’est qu’une caisse d’assurance chômage. Elle n’a pas non plus la responsabilité de la politique culturelle, comme le reconnaît Jacques Peskine, président de la Fédération des entreprises du spectacle vivant de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (Fesac) : « La question de l’assurance chômage n’est que la résultante de l’absence de financement de la politique culturelle. Or, il est vain de s’attaquer à une résultante. »
Si nous voulons à la fois gérer correctement l’Unedic et améliorer la protection des intermittents, il nous faut donc imaginer d’autres sources de financement. Car, contrairement à ce que pensent certains, beaucoup d’entre eux ne sont pas dans une situation privilégiée et nous devons penser en priorité à tous ceux les plus vulnérables, les plus précaires qui se trouveront en difficulté demain, victimes de l’hyperflexibilité qui règne dans la plupart des entreprises culturelles aujourd’hui. C’est pourquoi je propose aux intermittents, au gouvernement, au patronat et à l’ensemble des acteurs publics que nous réfléchissions rapidement à la mise en place d’une caisse complémentaire qui aurait vocation à compléter l’assurance chômage des intermittents, mais avec des ressources distinctes de celles de l’Unedic.
Il faut en effet cesser de considérer que les seuls salariés du privé seraient comptables de cette protection. Si, comme nous le croyons, la culture est un enjeu national, alors il serait juste que l’Etat y contribue davantage. Si, comme il est avéré, les entreprises du secteur culturel, y compris publiques, profitent largement du régime des intermittents, alors il serait juste qu’elles y contribuent également. Si, comme il est amplement démontré (cf. le coût local de
la suppression des festivals de l’été), les collectivités territoriales bénéficient d’une production culturelle ambitieuse et de qualité, alors il serait juste qu’elles y contribuent elles aussi. En définitive, il serait juste que ceux qui profitent de ce système participent davantage à son financement.
Cette proposition permet de resituer le dossier des intermittents en l’inscrivant dans le cadre plus large de la politique culturelle du pays, de ses régions et de ses villes. Ce cadre est le bon. D’un côté, un régime spécifique d’assurance chômage qui reste unique au monde financé par les cotisations des salariés du privé. En cela, cette solidarité relève des représentants de tous les salariés, et non de la seule catégorie des intermittents. D’un autre côté, compte tenu des spécificités de la production culturelle, cette solidarité serait complétée par les parties prenantes du système : Etat, collectivités territoriales, entreprises de la profession. Car le dispositif ne peut pas reposer exclusivement sur les épaules des salariés du privé. Sauf à considérer que ceux-ci devraient payer la note de l’exceptionnelle flexibilité dont profitent les employeurs culturels, et des inégalités extraordinaires qu’ils génèrent dans ce secteur. Employeurs qui, pour certains dans le cinéma, n’hésitent pas à délocaliser à l’étranger une partie de leurs productions, avec la même recherche de profit qu’ils dénoncent avec vigueur quand il s’agit des emplois du textile ou de la métallurgie.
Je suis sûr que la plupart des intermittents comprendront que ce n’est pas toujours et seulement aux mêmes de financer les contreparties aux facilités que leur régime offre aux entreprises et aux patrons. Et je suis persuadé qu’ils comprendront que la porte de l’Unedic, qui est celle de la solidarité entre les salariés, n’est pas la seule à laquelle il faille frapper aujourd’hui. Ne nous laissons pas enfermer dans un jeu de dupes où les précaires du spectacle se voient renvoyés à la solidarité d’un salariat privé où les précaires, là aussi, ne manquent pas. Cette solidarité purement horizontale qui demande aux petits de payer pour les petits ne me semble pas conforme à la justice sociale. La CFDT ne l’accepte pas. Et pourtant, c’est ce pour quoi une coordination, dont tout le monde ignore la représentativité, soutenue par une confédération syndicale, des chambres patronales du secteur et certains artistes, eux-mêmes tour à tour producteurs-employeurs-salariés, se mobilisent. Etonnante alliance entre patrons et salariés qui, dans un conflit social, font cause commune pour maintenir un état de précarité. Et curieuse mise en oeuvre de ce que certains pourraient appeler une sécurité sociale professionnelle.
Il est temps que s’arrête cette formidable tromperie où règnent les postures de procureur, les procès en trahison, la confusion des genres et la collusion d’intérêts. Il est temps de ne plus se tromper de débat et d’interlocuteurs. Pour que s’ouvre enfin, à travers les rencontres initiées par le gouvernement, le temps du dialogue et de la responsabilité entre les véritables acteurs de la politique culturelle.
François Chérèque,
[1] Enquête Insee présentée le 13 février devant la
commission permanente du Conseil national des
professions du spectacle.