La politique est-elle l’art de résoudre les problèmes ou de faire taire ceux qui les posent ? (une tribune non publié)

jeudi 30 décembre 2004
Dernière modification : samedi 7 mars 2009

« La politique est-elle l’art de résoudre les problèmes ou de faire taire ceux qui les posent ? »

Après les récentes interventions de M. Donnedieu de Vabres devant le parlement, nous prenons acte avec satisfaction qu’après un an et demi de contestation du protocole du 26 juin 2003, le ministre de la Culture admet l’absurdité d’une approche comptable des annexes 8 et 10 de l’Unédic, et se prononce enfin clairement pour le rétablissement d’une date anniversaire . Par ailleurs, le ministre semble partager notre perplexité devant les errements statistiques des gestionnaires de l’Unédic. Bref, il désavoue poliment à son tour l’incompétence des signataires d’un accord à la fois socialement intenable et économiquement douteux, et qui s’avère au reste incapable de remplir la mission qu’ils s’étaient donnée : réduire le déficit des annexes 8 et 10. Forts de cette analyse partagée, nous attendions de découvrir les moyens que comptait mettre en oeuvre le gouvernement afin de résoudre une crise qui n’a que trop duré. Or, nous constatons qu’il laisse à des partenaires sociaux -qui n’ont jusqu’ici brillé ni par leur goût du dialogue, ni par leur amour de la culture - la liberté de laisser pourrir la situation jusqu’à l’expiration prévue de la Convention régissant l’Unédic, c’est-à-dire décembre 2005.

Le ministre de la Culture entend, pendant ce temps-là promouvoir une « politique ambitieuse de l’emploi culturel » dont l’intitulé semble difficilement contestable : qui en effet osera jamais encore proposer « un arrangement mesquin pour intermittents incultes » après le précédent du 26 juin ? Son intention, développée par l’expert Guillot dans son récent rapport, est que la production artistique ne soit plus rémunérée en partie par les Assédic, mais par des salaires, correspondant de préférence à des emplois permanents. Certainement cet objectif politique obéit-il à des intentions qu’on peut qualifier de « bonnes », mais comment ne pas douter du sérieux du projet quand on constate que ni l’expert ni le ministre ne prennent le risque d’annoncer comment et surtout par qui seront financés ces emplois permanents ?
Nous constatons en revanche que des moyens de coercition pour obliger à pérenniser les emplois sont prévus. Dans le domaine du théâtre par exemple, si nous le comprenons bien, l’expert imagine de conditionner l’octroi des conventionnements (subventions de fonctionnement) à la création de postes permanents, et les aides à la production au paiement d’un quota d’heures de répétition. En un mot, seules les compagnies qui ont de l’argent pourront continuer à demander de l’argent au ministère de la Culture, et seuls les spectacles dont la production est déjà assurée pourront voir leur financement bouclé par les DRAC. On imagine l’encouragement à la création, à la novation, à la prise de risque qu’impliquent ces préconisations. On mesure surtout l’économie substantielle réalisée par cette mesure simple, efficace, et peu coûteuse. Trois lignes spécifiant ces nouvelles obligations dans les formulaires de demandes de subventions, et par magie, des centaines de projets, de compagnies dont les dossiers engorgeaient les bureaux des DRAC s¹évanouissent. Mme Rived, secrétaire de la Fédération CFDT Communication et Culture, toute à son oeuvre de collaboration avec le Medef, de promotion de l’industrie télévisuelle et d’éradication du spectacle vivant s’est empressée d’apporter sa pierre à l’édifice en proposant que la licence d’entrepreneur du spectacle, indispensable pour solliciter quelque subvention que ce soit, soit elle aussi conditionnée à cette logique d’emploi permanent.
Nul n’a jamais dénié à quiconque le droit de vouloir être employé, ou d’employer des salariés permanents. Ce que nous remettons en cause dans cette préconisation de M. Guillot, c’est d’abord l’intrusion d’un formatage à priori dans le temps de production, de fabrication, de représentation des oeuvres ; qui peut décider en combien de temps et comment se travaille tel ou tel spectacle ? C’est ensuite l’hypocrisie d’une sélection qui n’ose pas s’avouer telle. C’est enfin et surtout une manière de claquer la porte au nez des jeunes artistes et/ou techniciens, « les primo entrants » comme les qualifie élégamment un autre expert, M. Charpillon, mandaté pour sa part pour biffer des lignes dans les nomenclatures de métiers susceptibles de relever des annexes 8 et 10.

Devant ce tableau contrasté de la situation, face à un ministre de la Culture qui admet finalement la justesse de ce que nous proclamons depuis un an, mais propose pour y parer un autre système d’exclusion, nous nous posons la question : Pourquoi ne parvenons-nous pas à sortir de cette crise ? Pourquoi notre démocratie s’avoue-t-elle incapable de répondre à une situation complexe certes, mais dont les tenants et les aboutissant ont été balisés par chacun depuis 18 mois de conflit ? Sans doute, parce que les premiers concernés, les acteurs réels de la réforme, ceux dont la vie est en jeu dans cette affaire ne sont pas écoutés et parce que leurs pratiques sont ignorées. Il suffit pour s’en convaincre de lire la bibliographie de l’expertise de M. Guillot : un seul recueil de textes écrits par des intermittents pour 49 ouvrages écrits par des universitaires, fonctionnaires, consultants en tout genre. S’il avait interrogé n’importe lequel des acteurs de nos métiers, il aurait appris qu’il n’était nul besoin d’appeler à une quelconque « professionnalisation », et que depuis vingt ans jamais les niveaux techniques des musiciens ou des danseurs, par exemple, n’ont été aussi élevés. Peut-être quelqu’un de moins étranger que M. Guillot à la notion de création artistique aurait hésité à jeter dans le même sac les 63 milliards d’heures passées par les français à regarder la télé, à se rendre au cinéma, au théâtre, dans une salle de concert. Il aurait su que pour nous, ces activités ne sont pas de natures égales, ni comparables. Idem, il ne nous a pas échappé que dans les 57 pages que constituent ces « Propositions à M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture et de la Communication (pour une politique de l’emploi dans le spectacle vivant, le cinéma et l’audiovisuel ») pas une ligne n’est consacrée au systèmes d’indemnisation proposés par les opposants à la réforme (Nouveau Modèle d’indemnisation du chômage des salariés intermittents de la Coordination nationale des intermittents et précaires , accord Fesac).

Il convient de signaler ici qu’une expertise effective de ces modèles alternatifs aurait supposé que M. Guillot disposât de données exploitables fournies par l’Unédic. Or il s’est avéré que les données conservées par cet organisme sont trop lacunaires pour permettre une évaluation fiable des contre-propositions comme du protocole de juin 2003. S’embarrassant peu de tels scrupules, c’est sur la base de ces données tronquées que l’Unédic annonce périodiquement à grand cris de nouveaux déficits, prétextes à de nouvelles saignées parmi les indemnisés. On ne peut que s’inquiéter du fait que cette institution, qui gère l’indemnisation de millions de salariés calcule ses budgets à la louche et privilégie la propagande à une analyse sérieuse de sa propre situation. Et c’est avec cette même rigueur, et ce même goût de la véracité que les mêmes acteurs se promettent de renégocier la Convention assurance-chômage, fin 2005.

Ainsi donc, le pouvoir politique, aveugle aux réalités de nos pratiques, sourd aux propositions faites par les premiers concernés, tétanisé par sa peur d’affronter Medef et CFDT, ne nous semble pas en mesure de mettre en place le « Valois de la Culture » qu’il appelle de ses voeux. Pour autant, nous ne nous résignons pas. Après avoir analysé le protocole du 26 juin 2003 et sa circulaire d’application, après avoir élaboré un Nouveau modèle d’indemnisation des salariés intermittents, nous continuons à travailler. Soucieux d’éclaircir précisément la situation, de mieux savoir qui nous sommes, de connaître la réalité quantitative et qualitative de nos pratiques, nous avons lancé une expertise collective indépendante réalisée en coopération avec le laboratoire Matisse-Isys (CNRS). Cette recherche en cours comprend une étude statistique de l’indemnisation des salariés intermittents, (à ce jour hélas retardée par le refus de l’Unédic de rendre accessible sa base de données aux chercheurs comme aux usagers). Elle intègre également une analyse sociologique, déjà en cours depuis deux mois auprès d’un échantillon de 1500 intermittents.

Après 18 mois de lutte, nous savons vain de vouloir parvenir à « une analyse partagée » de la situation, ou à un consensus avec les signataires d’un accord Unédic qui n’a pour unique objectif que d’exclure et de précariser le plus grand nombre possible d’entre nous. Nous ne voulons pas participer à la création d’une excellence culturelle coupée du reste de la société. Nous ne défendons pas le privilège d’une corporation, mais réclamons au contraire la reconfiguration du champ d’application des annexes 8 et 10 : auteurs, plasticiens, pigistes et ceux partageant avec nous, mêmes pratiques d’emploi et semblable précarité. Nous ne souhaitons pas protéger les avantages d’une génération, en interdisant à la suivante de jouir des mêmes. Et c’est parce que nous pensons avoir quelque chose à partager avec tous que nous prétendons défendre un bien commun.

Il nous semble qu’un ministre de la Culture ne peut que partager ces mêmes convictions, et ne saurait s’interdire d’en tirer les conclusions qui s’imposent. Nous espérons donc une véritable décision politique, soufflée au reste par M. Paillé, président (UMP) de la Mission d’information sur les métiers artistiques de l’Assemblée Nationale. Nous demandons à M. Renaud Donnedieu de Vabres d’ouvrir la nouvelle année par un acte politique majeur : l’abrogation du protocole du 26 juin 2003.

Groupe Pollen cip-idf

1 Quoi que le ministre ne l’ait pas exprimé clairement, nous l’entendons bien comme suit : 507 heures cotisées sur une période de 12 mois ouvrent une indemnisation de chaque jour chômé pendant 12 mois. Ce dispositif est la première garantie d’une redistribution mutualiste. Toute autre acception du terme de « date anniversaire » rompant avec la logique mutualiste (507 heures en 12 mois avec capitalisation de 243 jours indemnisés, par exemple) relèverait donc pour nous de la pure falsification.
Le texte de ce Nouveau modèle d’indemnisation est consultable sur le site de la Coordination : http://www.cip-idf.org

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