samedi 22 juillet 2006
Dernière modification : samedi 22 juillet 2006
« La parole donnée doit être respectée »
Tout le monde connaît la rude histoire à laquelle sont confrontés depuis trois ans les intermittents du spectacle, ces artistes et techniciens qui font l’essentiel de nos plaisirs artistiques et culturels.
Le 26 juin 2003, au sein de l’Unedic certains partenaires sociaux minoritaires côté salariés et patronal signaient en - effet un protocole d’accord chargé de faire des économies, de supprimer des abus, de précariser la précarité des intermittents, ce que le gouvernement agréa.
On sait le mouvement d’ampleur nationale, avec une solidarité jamais démentie, qui en résulta, et jusqu’à la création d’un comité de suivi regroupant partenaires sociaux non - signataires et majoritaires côté salariés et patronal (CGT spectacle, SUD spectacle, SRF, Syndéac, U fisc), la coordination des intermittents et des députés et sénateurs de toutes sensibilités. Tout fut alors action-construction pour aboutir à une proposition de loi soutenue par 471 parlementaires, dont la majorité de députés à l’Assemblée nationale.
Les partis politiques soutinrent cette démarche. Ainsi la convention pour la culture de l’UMP, le 24 janvier 2006, où Nicolas Sarkozy déclara notamment : « Cessons de croire qu’en matière culturelle les déclarations d’intentions suffisent. (...) Ce n’est pas parce qu’il s’agit de culture que l’on doit se contenter de mots ».
Le ministre de la Culture, plusieurs fois dans l’année et solennellement devant l’Assemblée nationale le 30 mars 2006, alla dans le même sens.
À vrai dire, pour certains, l’engagement législatif était conditionné à l’échec des négociations reprises à la fin de l’automne entre les partenaires - sociaux.
Précisément, il y eut échec le 18 avril, après de nombreuses étapes sans conclusion. Si un projet vit le jour, il était très proche de celui de juin 2003, qui n’avait d’ailleurs ni fait d’économies, ni réglé les abus mais précarisé l’intermittence.
Ce projet inéquitable, illisible, inefficace malgré une retouche gouvernementale n’eut le 18 mai 2006, date butoir, qu’une signature, celle du MEDEF, la CFDT suivie par la CFTC et la CGC remettant leurs signatures éventuelles à plus tard. Aujourd’hui, il serait question du 19 décembre.
Pourtant, bien qu’il n’y ait que la signature du MEDEF, le ministère la fortifiant en déclarant qu’il agréera le texte tel quel, rien ne se passe.
Ainsi, tant de forces réunies et,d’un seul coup, c’est l’impasse. En fait, nous sommes face à l’impuissance démissionnaire consécutive à la rupture muette des engagements pris par certains, c’est la déréglementation de la parole donnée.
Voilà un projet de loi, expérience combien heureuse d’élaboration démocratique ayant mêlé experts et experts du quotidien, un projet de loi rare qui fait société et qui, au moment du passage à l’acte, est abandonné par une partie de ses auteurs, et non des moindres, après des semaines d’incertitude, de flou, d’atermoiements, d’enlisement pour déboucher sur la précarité de la parole donnée.
Voilà un projet de loi que la CFDT accompagnée de la CFTC et de la CGC viennent de demander au président de l’Assemblée nationale de ne pas inscrire à l’ordre du jour et s’entendre répondre que, pour lui, c’est d’abord la négociation des partenaires sociaux qui compte, revenant ainsi sur ses engagements devant le comité de suivi le 2 mars dernier, c’est de l’irrespect de la parole donnée. Soyons précis : les irrespectueux en agissant ainsi pratiquent l’arrogance, l’outrage, osons le mot, une forme de violence, c’est-à-dire tentent d’obliger au silence l’autre, les autres, l’immense majorité. C’est comme une mise à l’index. C’est une forme d’arbitraire visant à désespérer le monde du spectacle.
Cette année, le Festival d’Avignon fête ses soixante ans. 1 142 jours après le mauvais coup du 26 juin 2003, c’est un témoignage de solidarité avec ce Festival, ses artisans, ses artistes qu’habite l’esprit de Jean Vilar, « homme de la parole donnée et respectée », qui ne méprisait rien tant que les
« girouettes ». Ce qui se passe sur ce dossier d’intérêt national et artistique est un déni de culture, un déni de démocratie, un déni d’égalité.
Les infidèles aux engagements pris devraient savoir que de manigancer des conflits à dormir debout, que de lancer de bonnes paroles du bord de la route peut contrarier le mouvement artistique, mais ne le bloquera pas, car, reprenant les mots de Péguy ; nous disons aux autocenseurs de leurs engagements : « Il ne vous manque rien/ Il vous manque encore ceci/ Il ne vous manque plus que ceci/ Mais il ne vous manque pas moins/ Il vous manque encore ceci/ Il vous manque de savoir. »
Comme le disait René Char, que « l’inaccompli bourdonne l’essentiel ». Dans cet essentiel, il y a la dignité, le respect de l’autre, l’heure exacte de la conscience, la résistance, de nouveaux commencements, la culture comme bien public.
À demain, en multipliant les occasions de penser et d’agir, en étant des gêneurs perpétuels, des citoyens comme Jean Vilar, c’est-à-dire « une expérience et de la morale ». Le comité de suivi doit demeurer pour que l’essentiel s’accomplisse.
Par Jack Ralite, sénateur.