La parrhèsia : le courage de la révolte et de la vérité, Fulvia Carnevale

samedi 23 mai 2009
Dernière modification : lundi 19 janvier 2015

(...) La parrhèsia est une technique d’existence très particulière, puisque elle constitue « une espèce d’activité verbale dans laquelle celui qui parle entretient un rapport spécifique à la vérité à travers la franchise, une certaine relation à sa propre vie à travers le danger, un certain type de rapport à soi-même et aux autres à travers la critique (autocritique ou critique d’autres personnes), et un rapport spécifique à la loi morale à travers la liberté et le devoir (...). Dans la parrhèsia, celui qui parle fait usage de sa liberté, et choisit le franc parler au lieu de la persuasion, la vérité au lieu de la fausseté ou du silence, le risque de la mort au lieu de la vie et de la sécurité, la critique au lieu de l’adulation et le devoir moral au lieu de son propre profit ou de l’apathie morale » .

La parrhèsia constitue à plein titre une technique d’existence, puisque le discours vrai modèle la personne qui le profère, comporte des conséquences politiques, et, naturellement, modifie les relation que le locuteur entretient avec les autres. Forme de souci de soi, elle se situe, comme une sorte de sismographe, au coeur des modifications sociales et politiques. Kiossev écrit que « la parrhèsia est un acte transcendant qui problématise le »politique a priori lui-même ; détruisant le champ structurel qui l’a rendu possible, il semble se répandre dans l’espace de l’« indéfinition » et de la liberté totales, où tous les mécanismes « qui contrôlent et apprivoisent le discours » , toutes les reproductions technologiques devraient être impossibles" .

L’étude de la parrhèsia se situe dans le cadre du projet foucaldien de l’« histoire de la pensée » , qu’il définit ici comme « l’analyse de la manière dans laquelle un champ non problématique d’expériences, ou un ensemble de pratiques qui étaient acceptées sans réserves, qui étaient indiscutées, familières, et »tacites« , deviennent un problème, soulèvent discussions et débats, éveillent de nouvelles réactions, et mettent en crise le comportement tacite précédent, les habitudes, les pratiques et les institutions qui jusqu’à ce point avaient été acceptées » . La notion de « problématisation » , qui apparaît pour la première fois dans L’usage des plaisirs, est le concept clef qui caractérise l’histoire de la pensée et qui la distingue de l’histoire des idées. Parce que « la pensée - écrit Foucault - n’est pas ce qui habite une conduite et lui donne un sens ; elle est plutôt ce qui permet de prendre du recul par rapport à cette manière de faire ou de réagir, de se la donner comme objet de pensée et de l’interroger sur son sens, ses conditions et ses fins. La pensée, c’est la liberté par rapport à ce qu’on fait, le mouvement par lequel on s’en détache, on le constitue comme objet et on le réfléchit comme problème » . L’histoire de la pensée, donc, est avant tout l’analyse d’une liberté, ou bien l’analyse de la possibilité qui se donne historiquement à l’existence de cette liberté. La pensée est ce qui habite la distance entre nous et nos mœurs, ce qui permet le détachement, la déprise. Dans cette perspective, la vérité n’est pas la posture philosophique qui prétend interpréter correctement le monde, mais un instrument d’autotransformation, un moyen de maîtrise de soi.(...)

Et au milieu de cette fragilisation des familiarités, l’acte critique assume toujours une forme parrhèsiastique dans la mesure où il est porteur d’une autre conjugaison de vérité et pouvoir. L’alethurgie créé par l’acte parrhèsiastique éclaire d’une autre lumière le régime de pouvoir présent ainsi que le rapport que le sujet établit avec la vérité. L’ethos parrhèsiastique, comme on le verra, lie le sujet qui se délie du pouvoir à une vérité autre, une contre-vérité qui menace directement le pouvoir et met en danger celui qui la profère.

Ce n’est pas l’epoche, en effet, l’attitude que Foucault nous propose d’assumer vis-à-vis du pouvoir, non pas la suspension du jugement, mais le fait de faire jouer la non-nécessité de tout pouvoir quel qu’il soit. (...)

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Nous sommes tous des irréguliers de ce système absurde et mortifère - L’Interluttants n°29, hiver 2008/2009

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