mercredi 24 septembre 2003
Dernière modification : mardi 10 mars 2015
fondements et bien-fondé d’un régime particulier : l’intermittence
L’activité économique dans le monde de l’audiovisuel, du cinéma et du spectacle est bien souvent irrégulière. Elle s’articule autour de projets de créations, qui durent un temps puis se terminent. Elle conduit ainsi nombre de salariés de ces secteurs à changer d’employeurs, d’un contrat à un autre, alternant périodes de travail et période d’inactivité.
Le caractère discontinu et intermittent de cette activité a été reconnu par le législateur qui a imaginé un cadre légal, le Contrat à Durée Déterminée d’Usage, permettant aux employeurs d’embaucher des salariés artistes ou techniciens en s’affranchissant de certaines règles communes liées aux C.D.D. traditionnels (paiement des primes de précarité, requalification des CDD successifs en CDI).
Les conditions de travail particulières propres à de nombreux salariés de l’audiovisuel, du cinéma et du spectacle vivant génèrent de fréquentes périodes chômées.
Pour prendre en compte cette singularité et apporter une garantie à l’extrême flexibilité de ces salariés, le régime d’Assurance chômage, couvrant solidairement les salariés de l’ensemble des secteurs de la vie économique, a prévu des dispositions spécifiques.
Ces dispositions touchant les salariés de l’audiovisuel, du cinéma et du spectacle, qui travaillent de manière intermittente, ont été regroupées dans deux annexes du régime général de l’Assedic : les annexes 8 et 10.
les annexes au régime général d’assurance-chômage :
le prix de la précarité
Ces annexes 8 et 10 définissent donc les régimes particuliers d’assurance-chômage des artistes et des techniciens du spectacle, du cinéma et de l’audiovisuel en les pensant comme une contrepartie de la précarité de leurs conditions de travail.
Il existe 13 annexes au régime général d’assurance-chomâge qui, toutes, déterminent une façon d’administrer l’assurance-chômage en fonction des spécificités de certains métiers. Issues de la reconnaissance de la fragilité inhérente à ces professions par rapport à un statut « classique » de salarié, elles constituent un mode particulier d’indemnisation des périodes non-travaillées.
Les intermittents, loin de disposer au sein des annexes 8 et 10 d’un « privilège », ont une « dérogation » au régime général, au même titre que bien d’autres métiers, beaucoup plus répandus : les assistantes maternelles (annexe 1), les travailleurs à domicile (annexe 5), les travailleurs intérimaires (annexe 4), les marins-pêcheurs (annexe 9), les vacataires, les V.R.P., les bûcherons-tâcherons, etc.
A l’origine de l’UNEDIC : assurance et solidarité interprofessionnelles
Il convient de rappeler que l’UNEDIC est, dans ses fondements mêmes, un système de solidarité interprofessionnelle censé compenser le déficit dans certaines branches par un excès dans d’autres. En toute logique, le déficit d’une annexe ne devrait donc pas être un argument pour la mettre en question. Et d’ailleurs, toutes les annexes, sans exception, sont déficitaires.
Les deux principes fondateurs de l’UNEDIC sont l’assurance et la solidarité. En glissant vers une vision d’un fonctionnement autonome des annexes, en calculant leur déficit de façon interne, c’est cette idée même de solidarité interprofessionnelle que le protocole d’accord du 26 juin bouleverse. Il instille un principe de non-solidarité dans le système entier.
Quel est ce déficit sur lequel communique le gouvernement ?
Depuis plusieurs années, le Medef répète que le régime spécifique d’assurance chômage des intermittents du spectacle et de l’audiovisuel coûte cher à la solidarité interprofessionnelle.
En 2002, une étude de l’Unedic consacrée aux annexes 8 et 10 a fourni des indications chiffrées que le Medef a aussitôt exploitées pour se construire un argumentaire particulièrement offensif.
Le déficit global de l’Unedic représente sur 2002 près de 3.7 milliards d’euros, celui des annexes 8 et 10 s’élève à 828 millions d’euros.
Pour le Medef, le tour est donc joué : les intermittents sont responsables de près d’un quart du déficit de l’Unedic.
Ce discours, aussi percutant soit-il, repose sur une supercherie.
Il établit une comparaison entre des éléments qui ne sont pas, par nature, comparables.
En effet, le déficit global de l’Unedic est le résultat de la différence entre l’ensemble des allocations versées au demandeurs d’emploi sur 2002 et le total des cotisations versées par les salariés et leurs employeurs sur cette même année.
Pour évaluer le déficit des annexes 8 et 10, le Medef utilise une toute autre méthode : il calcule la différence entre les indemnités versées sur 2002 aux intermittents pendant leur période chômées et les cotisations versées par ces mêmes intermittents lorsqu’ils sont sous contrats.
Dans le premier calcul, le déficit prend donc en compte les cotisations de toute une population active. Dans le second, seul l’apport des demandeurs d’emploi eux-mêmes, est pris en compte.
Une approche objective et non idéologique des chiffres édités par l’Unedic permet de porter un autre regard sur le poids financier du régime spécifique des annexes 8 et 10.
En 2002, les 102 600 intermittents ayant perçu une indemnisation chômage représentent 4,9 % des demandeurs d’emplois indemnisés en France. Le montant global des allocations versées à ces mêmes intermittents représente 3,6 % du montant total des allocations versées à l’ensemble des demandeurs d’emploi en France.
Les recours abusifs à l’intermittence
Pour réduire leurs frais de fonctionnement ou pour permettre plus de flexibilité, un certain nombre d’employeurs ont recours à des intermittents pour occuper des postes qui impliquent pourtant des tâches permanentes. Le système d’indemnisation du chômage est ainsi utilisé pour compléter les salaires.
Ce sont les sociétés de production audiovisuelle qui ont le plus souvent recours à ce genre de pratiques. Ainsi, l’assistante de Bernard Pivot a conservé son statut d’intermittente durant 25 ans, alors même que pendant tout ce temps elle n’a jamais changé de poste....
Lorsque ces abus sont portés à la connaissance de la justice, les tribunaux requalifient quasiment systématiquement les contrats des intermittents en contrats à durée indéterminée. Mais, très peu d’inspecteurs du travail connaissent de façon précise les contrats des intermittents et ainsi une centaine seulement de demandes de requalification ont été effectuées depuis 10 ans, alors que le problème concerne des milliers d’intermittents.
Les signataires de l’accord doivent avoir connaissance de ces informations, pourtant aucune mesure ne s’attaque concrètement à ces abus.
Le nouvel accord va même jusqu’à favoriser les intermittents qui ont des périodes de travail très régulières ( voir mot-clé 6). Or , quand on sait que les chaînes de télévision (dont France 2 et France 3 ) figurent en tête de la liste des plus gros employeurs d’intermittents, on peut imaginer la part que les abus représentent dans le déficit...
le nouvel accord : une précarisation et des inégalités renforcées
Actuellement, l’ouverture des droits permet d’être indemnisé pour les jours non travaillés sur une période d’un an de date à date ( droits calendaires).
L’accord du 26 juin rompt avec cette pratique : à l’ouverture des droits, l’intermittent reçoit un crédit de 243 jours indemnisables qui doit être impérativement consommé avant que les droits puissent être réexaminés (droits capitalisés).
Chaque jour travaillé, donc non indemnisé, repousse la date de réexamen des droits ( il en est de même d’autres mécanismes dont le caractère technique ne permet pas un exposé rapide et simple : franchise, décalage ).
En conséquence :
la date de réexamen n’est plus fixe ; elle devient même pratiquement imprévisible puisque l’embauche est régie par des facteurs non maîtrisables par l’intermittent.
La période d’indemnisation s’étire ; elle peut facilement dépasser 15 mois, voire 2 ans ; il y a donc gel dans une situation qui, encore une fois, n’est pas vraiment maîtrisable par l’intermittent.
Lors du réexamen, par une méthode dite de glissement, l’Assedic va chercher en amont une période de 10 ( ou 10,5 ) mois incluant au moins 507 heures travaillées. Si elle existe, elle prend le nom de période de référence. C’est elle qui permettra de calculer le taux d’indemnisation. En résumé, même si des droits sont ouverts, la période de référence à venir, et par conséquent les revenus, sont pratiquement imprévisibles.
En conclusion, alors que le régime de l’intermittence est censé compenser l’irrégularité des périodes d’emploi, seuls les intermittents qui ont un travail régulier pourront prévoir leurs revenus ( paradoxe, voir mot-clé 5).
L’ensemble du dispositif s’apparente à une loterie, conduisant à une précarité renforcée et des inégalités plus grandes. Il ne lutte pas contre les abus, n’apporte aucune garantie de réduction du déficit, mais seulement celle d’exclure de ces droits une grande partie (estimée à 30%) des intermittents actuels. Bien évidemment, comme dans tout système précaire, les plus fragiles seront les premiers touchés...
Les collectifs représentant les intermittents ne nient pas la nécessité d’une réforme. En effet, le développement culturel dans les années 80 a fait croître les effectifs et les a diversifiés de façon importante, phénomène exigeant une reconsidération du système.
La profession y travaille depuis longtemps et des accords avaient déjà été signés, mystérieusement mis de côté. Ces collectifs constitués en commissions travaillent actuellement à la conception d’un nouveau modèle d’indemnisation fondé sur un principe mutualiste. En voici les points principaux ( mise à jour du 7/12/2003 par la Coordination Nationale).
Art 1 -Annexe unique-
Le nouveau modèle réunit en une annexe unique maintenue dans un régime de solidarité interprofessionnelle, l’ensemble des salariés intermittents, partageant les mêmes pratiques de travail.
Art 2 -Affiliation-
Contre la logique de capitalisation des droits, nous défendons un système de date anniversaire fixe : 507 heures réalisées en 12 mois ouvrent une période d’indemnisation de 12 mois. Afin de prendre en compte le très grand nombre de cotisants n’accédant pas à ce régime (entrants, accidents de parcours), un assouplissement des critères d’accès est envisagé, sous la forme d’un crédit de prolongation de la période de référence, basculée à l’allocation plancher.
Un certain nombre de mesures, concernant notamment la comptabilisation des heures travaillées, contribuent à mettre en cohérence ce régime avec nos pratiques, évitant ainsi les fausses déclarations et autres arrangements, suscités par des règles inadéquates.
Art 3 -Calcul de l’Indemnité Journalière-
Nous proposons une nouvelle formule de calcul qui ne se base plus sur le paramètre SJR, inadapté à nos pratiques, et réduit l’écart entre les faibles et les fortes indemnités. Elle est la première, et la seule à ce jour, à pouvoir rompre avec l’incitation à la sous-déclaration des heures travaillées, qui alimente le déséquilibre cotisations/allocations, dans le régime actuel comme dans le protocole du 26 juin.
Art 4 -Nombre de Jours Indemnisés-
Refusant la logique de maintien du niveau de vie, sous-tendue par la règle du décalage mise en application le 31 décembre prochain, nous revenons à un principe simple et logique : un jour travaillé est un jour non indemnisé.
Art 5 -Plafond de cumul salaires+indemnités-
Pour lutter contre la dérive du revenu de complément, nous inaugurons, en lieu et place de la carence, un mode de régulation efficace, attentif aux réels besoins de l’allocataire, sous la forme d’un plafond de cumul salaires+indemnités, réajusté tous les mois. Ce dispositif induit une économie générale et sert de garde-fou contre la permittence.
Art 6 -Allocation spécifique-
Les salariés intermittents peuvent bénéficier d’une allocation de fin de droits, financée par le régime de solidarité, équivalent à ce qu’est l’A.S.S. pour les salariés du régime général.
Les équipes permanente et intermittente de la Ferme du Buisson.
Pour en savoir plus sur notre activité / nos actions :
Tel : 01 64 62 77 00
Site web : www.ferme-du-buisson.com
Cellule d’information / documentation en accès libre dans le hall du théâtre de la Ferme du Buisson en présence des artistes et des personnels permanent et intermittent de la Ferme du Buisson.
La coordination des intermittents et précaires, kesaco ?
Nous sommes tous des irréguliers de ce système absurde et mortifère, éditorial et sommaire de L’Interluttants n°29, hiver 2008/2009
Pour ne pas se laisser faire, agir collectivement :
Permanence CAP d’accueil et d’information sur le régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle, lundi de 15h à 18h. Envoyez questions détaillées, remarques, analyses à cap cip-idf.org
Permanences précarité, lundi de 15h à 17h30. Adressez témoignages, analyses, questions à permanenceprecarite cip-idf.org
À la CIP, au Café de la Commune Libre d’Aligre : 3 rue d’Aligre, Paris 12e.
Tél : 01 40 34 59 74
Voir aussi l’article de la CIP-IDF Propositions pour un nouveau modèle d’indemnisation des salariés intermittents