jeudi 28 juillet 2011
Dernière modification : mercredi 3 juin 2015
Il y a un an, le gouvernement Sarkozy annonçait sa volonté de « réformer » (pour le « sauver ») le système de retraites par répartition. Il s’agissait notamment de reculer l’âge légal de départ à la retraite et d’augmenter la durée requise de cotisation pour pouvoir partir sans pénalités. L’opposition à ce projet de la très grande majorité des français, suivie d’un mouvement social et politique d’une ampleur comparable à celle des grèves de 1995 et du mouvement « anti-CPE » de 2006 n’ont pas suffi à faire reculer le gouvernement, mais l’ont durablement discrédité, désactivant, au moins momentanément, la puissance de clivage des motifs de l’insécurité et de la valeur-travail. Reste, pour ceux qui ont participé activement à ce mouvement, un sentiment mélangé. D’un côté, l’ouverture de nouveaux possibles, du fait des rencontres multiples, transcatégorielles, entre des mondes censés ne pas se fréquenter, du fait aussi du recours plus partagé à l’arme du blocage de l’économie, jusque là demeurée essentiellement l’apanage des mouvements étudiants. De l’autre, ce qu’il faut bien admettre comme un échec, l’incapacité d’accomplir, par-delà le prévisible travail de sape des directions syndicales, ce qui était sans cesse invoqué : la grève générale reconductible, la paralysie du pays.
Participants occasionnels ou plus réguliers au Mouvement des Chômeurs et Précaires en Lutte de Rennes, nous avons cherché à prendre part à cette lutte, notamment pour y porter un point de vue dissonant avec ce qui était censé faire consensus en son sein : s’en tenir à la défense du système actuel de retraite, faire fond sur la nostalgie de l’âge d’or du plein emploi. Il s’agissait pour nous de mettre au contraire l’accent sur l’auto-organisation des chômeurs, précaires, salariés pour étendre, dans une perspective égalitaire, la sphère des revenus socialisés et attaquer la logique du management capitaliste dans les entreprises et la société.
Ce texte cherche à avancer des éléments d’analyse, nécessairement partiale, de ces événements, en même temps qu’à proposer des perspectives de construction politique à la fois plus quotidienne et potentiellement opérationnelle en cas de reprise d’un mouvement général.
I. La bataille des retraites : contre-réformes et résistances
En France, l’histoire sociale et politique du siècle précédent a notamment abouti à la mise en place de droits sociaux, de conventions collectives et de lois réglementant le travail. Ces droits sont systématiquement remis en cause depuis une trentaine d’années. A ces attaques, les salariés ont fréquemment répondu par des mouvements de protestation. Les événements de l’automne 2010 s’inscrivent ainsi dans une continuité de luttes.
1.1 Retour sur une vieille querelle
La question des retraites [1] est une pierre d’achoppement récurrente entre gouvernements et salariés dont les intérêts sont clairement antagoniques. L’État, obéissant aux soi-disant nécessités économiques, poursuit plusieurs objectifs : faire pression sur les classes populaires et moyennes en réduisant les revenus socialisés (en langage comptable, réduire les déficits publics) et ouvrir de nouveaux marchés aux banques et assureurs.
Le point de départ est défini par la « réforme Balladur » mise en œuvre, sans résistance, en 1993. Celle-ci s’attaque au régime du secteur privé prévoyant l’allongement de la durée de cotisation nécessaire pour une retraite à taux plein (passage de 37,5 annuités à 40) et redéfinissant le nombre des « meilleures années » prises pour calculer le montant de la pension [2]. Les réformes suivantes auront comme objectif d’appliquer ces recommandations à toutes les branches, préparant la fin du système par répartition au profit d’un système par capitalisation. L’objectif étant que les salariés complètent voire même constituent leur retraite en passant des contrats avec des banques ou des assureurs privés.
Les luttes sociales contre ces réformes ont fortement marqué l’histoire des conflits salariaux au cours des années 90 et 2000. Le premier grand mouvement de contestation a lieu en 1995 contre le « plan Juppé » dont l’objectif était d’élargir la réforme Balladur aux fonctionnaires et aux salariés des entreprises publiques. Suite à des grèves de grande ampleur (ex. SNCF, France Télécom) le gouvernement recula sur la question des retraites. [3]
Ne pouvant rester sur l’échec de 1995, en 2003, Fillon propose à son tour une réforme prévoyant l’alignement du régime des fonctionnaires sur celui des salariés du privé et va plus loin, en mettant en place des mesures d’incitation à l’activité des seniors, et en créant un Plan d’épargne retraite populaire (PERP). [4] Cette réforme ne passera pas sans heurts. Des journées d’action dans l’éducation, mais aussi interprofessionnelles, ainsi que des grèves ponctuelles (reconduites parfois pendant plusieurs semaines en particulier dans l’enseignement) sont organisées, sans pour autant obtenir gain de cause. Il se passe peu ou prou la même chose en 2007, lorsque le gouvernement annonce la « réforme des régimes spéciaux ». En réponse à cette énième provocation, les mois d’octobre et novembre sont marqués par des grèves (Air France, fonction publique, étudiants en lutte au même moment contre une réforme universitaire) et des manifestations. Au cours de l’une d’entre elles, Chérèque, secrétaire général de la CFDT, conspué par la foule doit prendre la fuite, après avoir annoncé la veille la signature par son syndicat d’un accord avec le gouvernement.
La crise bancaire de 2008 provoque dans son sillage une aggravation de la crise économique. Dans un premier temps, ce sont des sommes colossales qui sont versées aux banques et des plans de relance qui sont mis en place dans le but de soutenir les secteurs les plus touchés. Puis, très rapidement et malgré les quelques phrases obligées sur les excès « immoraux » de la « spéculation », l’Union Européenne et le FMI, grands décideurs des orientations économiques, retrouvent leur langage habituel et, en bons porte-parole de ces mêmes marchés, exigent que les États recouvrent leur santé financière en réduisant leurs déficits publics. Pour ce faire, des plans de rigueur vont être imposés. Les gouvernements européens font le choix de restreindre les aides et les systèmes de protection sociale, de s’attaquer au droit du travail (notamment à travers l’augmentation du temps de travail et la généralisation du travail du dimanche), mais aussi de privatiser les entreprises nationales (fret ferroviaire, télécommunications) comme le prévoit le traité de Lisbonne ratifié en 2007.
C’est encore de cette épineuse question des retraites, donc du coût et du temps de travail, du montant des cotisations et du financement du système par répartition dont il est question en 2010. Cette énième réforme intervient dans un contexte où la nécessité invoquée de préserver la « sortie de crise » permet d’imposer la logique d’un « principe de réalité » gestionnaire aux classes populaires, alors même que les privilèges les plus symboliques (comme le fameux « bouclier fiscal ») ne sont pas remis en cause. La réforme prévoit l’allongement progressif de la durée de cotisation de 40 ans à 41 années et demi, le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans ainsi que celui de l’âge auquel on peut bénéficier d’une retraite à « taux plein » (65 ans à 67 ans)
Les premiers mois de l’année sont le théâtre de manifestations de plus en plus mobilisatrices (5 de mars à juin, 800 000 personnes en France le 23 mars, 1,92 million le 24 juin). Puis, la trêve estivale passée, les journées d’action reprennent de plus belle, dès le 7 septembre, augurant les débrayages, blocages et grèves reconductibles des semaines suivantes.
1. 2. Composition du mouvement
Ce sont les salariés du secteur pétrolier qui donnent le ton. Les dockers du site de Fos-Lavera cessent le travail le 12 octobre, privant les raffineries de la Mède, près de Marseille, de matière première. Les dockers de Marseille sont alors rapidement suivis tant par les salariés des raffineries Total (10 raffineries sur 12), que par les dockers du Havre. Ces mobilisations font écho à des combats engagés ces dernières années par les dockers contre le démantèlement de leurs statuts avec celui des ports autonomes [5], et par les salariés du groupe Total depuis l’annonce de la fermeture du site de Dunkerque. Le mouvement se durcit avec l’occupation des dépôts d’essence. Le spectre de la pénurie surgit : les stations- service se vident, les aéroports parisiens puisent dans leurs réserves, on entend même certaines sections locales du patronat, comme à Amiens, appeler le gouvernement à négocier avec les syndicats.
Dès lors, le gouvernement choisit d’opter pour des méthodes plus coercitives. Le 22 octobre, 170 salariés de la raffinerie de Grandpuits sont réquisitionnés sur ordre du préfet de Seine-et-Marne et les gendarmes débloquent le site, permettant le redémarrage de l’activité. Au moment où le gouvernement juge que le mouvement a entièrement puisé dans ses réserves de mobilisation et qu’une intervention plus musclée peut se faire sans risquer de radicaliser le mouvement dans son ensemble, la police est également employée pour casser les blocages de dépôts d’essence (Donges, La Rochelle) qui avaient tenu jusque là, ce qui ne s’est pas fait sans heurts. L’ordre de réquisition de la raffinerie de Grandpuits disait : « La continuation de la grève est de nature à entraîner des troubles graves à l’ordre public (pénuries, émeutes). » Cet ordre de réquisition menaçait les travailleurs récalcitrants de leur infliger une peine de six mois de prison et une amende de 10000 euros. Les syndicats n’ont opposé à ces manœuvres pour casser la grève qu’une bien molle réprobation, et le 29 octobre, la totalité des salariés des raffineries avait voté la reprise du travail. Par ailleurs, un engagement oral aurait été passé avec les dirigeants syndicaux des ports avec la promesse que les dockers (qui bloquaient les terminaux pétroliers) bénéficieraient d’aménagements favorables en raison de la pénibilité de leur métier, « accord » dénié par le gouvernement quelques mois après.
Les raffineries étant à l’initiative du mouvement, ces déblocages ont été un mauvais coup pour la mobilisation, qui n’a pas fait long feu ensuite. Puisque les gouvernements se cachent derrière la sacro-sainte économie, le mouvement s’attaqua au système économique là où il est le plus vulnérable : réseau, flux de marchandises et de communication. Là où l’ensemble des politiques capitalistes vise à éliminer tous les obstacles à une circulation accélérée du capital et à disséminer les concentrations industrielles en un vaste réseau productif dépourvu de centre, assumer l’antagonisme avec le pouvoir impliquait la volonté d’interrompre ces flux. Ces blocages de sociétés de transport, d’axes routiers, de dépôts de bus, etc., ont été soutenus ou initiés par des salariés des sites visés en coordination avec d’autres salariés, des précaires, des étudiants, des chômeurs.
Le maître mot pour les grévistes et militants les plus actifs dans la contestation a donc été : il faut bloquer l’économie. Un des secteurs dont est redoutée la capacité de blocage est celui du transport ferroviaire. Les cheminots ont souvent représenté une grande force dans les mouvements (ex. 1995). Cependant, durant l’automne 2010, les cheminots et a fortiori les traminots (ex. RATP) n’ont pas été des plus mobilisés. Du coté de la SNCF, les organisations syndicales appellent à la grève reconductible le 12 octobre. Même si le taux de grévistes retombe rapidement, l’activité ferroviaire est sensiblement ralentie durant 6 jours. Pourtant, si pour les médias ou le gouvernement le fait d’empêcher la circulation de 4 TGV sur 10 au départ de Paris demeure une intolérable prise d’otages, pour obtenir des droits c’est trop peu. En effet depuis la loi de 2007 sur le « service minimum », les services de transports en commun sont contraints d’assurer un minimum de fonctionnement (circulation d’un nombre minimal de trains mobilisant du personnel, obligation de se déclarer gréviste 48 h à l’avance) Les cheminots attaqués directement dans leurs droits de grève voient leur marge de manœuvre très réduite, affaiblissant au passage l’ensemble du mouvement. L’action des agents RATP a été assez circonscrite. A Marseille, les grévistes ont fait le choix d’arrêter certaines lignes de bus, notamment celles qui desservent les principaux centres commerciaux.
Cette loi dite du service minimum s’applique aussi à l’Éducation nationale (dans le primaire), ce qui a pu contribuer à la faible implication du personnel éducatif au cours du mouvement. Phénomène qui s’explique avant tout par la désillusion née de l’échec, malgré leur forte participation du mouvement contre la réforme des retraites de 2003 et les attaques multiples dont ils font depuis l’objet (baisse du nombre de postes, interventionnisme croissant du gouvernement dans les pratiques pédagogiques et la vie de l’école, tentative d’instaurer un salaire au « mérite »). Les salariés de l’Éducation nationale sont d’ailleurs régulièrement convoqués aux grandes messes syndicales que sont les « journées d’action » et, à la différence de la majorité des salariés, en ont été depuis longtemps dégoûtés.
Cette tendance à une faible mobilisation des secteurs habituellement les plus actifs se vérifie également, dans les entreprises du secteur public récemment privatisées, que ce soit à la Poste ou à EDF. Dans ces branches, les salariés ont mené de nombreuses luttes depuis 2008, subissant de grosses restructurations qui mettent à mal leur potentiel combatif. Néanmoins, à la Poste, les syndicats ont lancé l’appel à la grève illimitée à partir du 19 octobre, mais les durées et modalités de mobilisation ont varié selon les endroits. A Marseille, certains ont continué durant 2 mois, tandis que dans d’autres villes la distribution du courrier a repris rapidement. Les agents d’EDF des sites de Tricastin et de Flamanville ont décidé une grève de deux jours et une baisse de 50% de l’activité, forçant le Réseau de transport d’électricité (RTE) à importer de l’électricité, alors que la France est normalement exportatrice. Du coté de France Telecom-Orange, la situation est inextricable. Privatisé depuis 2004, la mise en place du « plan NExT » de réduction des effectifs, accompagné de nouvelles mesures de management, entraîne dépressions et suicides (54 ces deux dernières années). Le 12 octobre, 21 % des 80 000 agents étaient tout de même en grève.
Autre secteur d’activité dont l’arrêt est vite ressenti, celui de la collecte des déchets. Les éboueurs de Marseille, Toulouse, Belfort ont non seulement arrêté de ramasser les ordures, mais ils ont également perturbé le fonctionnement des centres techniques et bloqué les dépôts. Mentionnons aussi les crèches et les cantines scolaires où il y a eu de nombreux débrayages. A Marseille, 240 cantines ont arrêté de fonctionner.
Concernant les salariés du privé, leur participation aux manifestations a compensé en partie l’affaiblissement du secteur public. Les routiers ont rejoint le mouvement le 17 octobre, participant aux blocages et ralentissant les approvisionnements, mais leur implication fut de courte durée, rendue difficile par la menace de sanction (en vigueur depuis les grandes grèves de 1995) s’ils utilisaient leurs camions. De nombreuses PME ont fait grève, notamment les équipementiers automobiles. A Lyon, la vallée de la chimie a été fortement touchée : fabrication textile, peinture, pharmaceutique, silicone, etc. L’ont aussi été de grandes entreprises comme Peugeot, Renault, Michelin.
Dans l’ensemble, les manifestants semblent avoir été dès le début partagés entre mécontentement et abattement. Après le déblocage des raffineries, continuer de lutter paraissait d’autant plus difficile que la loi venait d’être votée, revers prévisible d’une rhétorique syndicale qui visait à accorder la temporalité du mouvement aux étapes du débat parlementaire, dans une classique division des rôles entre légitimité du pouvoir étatico-parlementaire et protestation populaire. Le texte est adopté définitivement le 20 octobre par le sénat. En suivant la logique des grandes centrales syndicales et des principaux partis de gauche, la seule continuité possible pour le mouvement s’imposait d’elle-même : les élections de 2012.
II. Encadrement et débordement , une autonomie problématique
2.1. La stratégie de l’intersyndicale
Après de nombreux appels à des journées de grève ou à des débrayages pour manifester, le gouvernement ne bouge toujours pas, et aucune fausse négociation n’est proposée. Début octobre, la CGT appelle à durcir le mouvement, signe que ses bases syndicales peuvent se lancer dans la bataille, mais à aucun moment elle n’appelle à la grève générale. « La grève générale ne se décrète pas dans un bureau, ni de façon incantatoire » nous dit Bernard Thibault, déniant l’influence de son discours sur la motivation des sections syndicales dans la lutte et légitimant les positions frileuses de l’intersyndicale. Ceci donne à penser que la direction nationale laisse ses militants et les salariés décider de partir en grève et que si la grève ne se généralise pas spontanément, c’est que les conditions ne sont pas réunies. Ce qui implique d’accorder un crédit excessif au caractère démocratique des centrales syndicales : les salariés n’auraient qu’à prendre leurs responsabilités, personne ne les en empêche. Or c’est précisément ce discours qui tient lieu de position politique : celle de ne pas vouloir contribuer à ce que le pays soit bloqué, dénigrant ainsi tous ceux qui se battent pour que la grève générale devienne un mot d’ordre du mouvement.
2.2. La grève reconductible
La grève reconductible a été lancée localement par des assemblées interprofessionnelles composées de militants aguerris et de travailleurs des secteurs qui avaient déjà su manifester leur combativité. Les raffineries ont donné le ton, en raison d’une tradition marquée par la domination de la CGT, et à travers elle, du PCF sur le mouvement ouvrier, qui croit simultanément en la nécessité de recourir à une grève dure et longue pour construire un rapport de force et en la nécessité qu’elle soit sous contrôle de la direction. Selon cette conception, le conflit doit d’abord se concentrer dans une boîte puis se propager dans les autres par le biais d’intersyndicales dans lesquelles ne sont autorisés à siéger que les représentants syndicaux, pourvus d’heures de délégation. Si l’on peut rejeter cette conception, il n’en reste pas moins que cette configuration syndicale, aiguillonnée par la pression faite par Sud et Fo dans certains secteurs pour que la CGT appelle à la grève plutôt qu’à négocier, a joué un rôle majeur pour la mise en œuvre, même limitée, du mot d’ordre de grève reconductible. Voyant d’autres réformes se profiler déjà (réformes de l’assurance chômage, de la sécurité sociale, de la justice...), les militants les plus combatifs y ont vu la possibilité d’un bras de fer avec le gouvernement pour tenter d’endiguer la vague de réformes.
Le manque de soutien des centrales n’est pas le seul facteur de l’attentisme général, du fait que « ça n’ait pas pris ». Il est difficile d’expliquer les raisons qui font qu’à un moment donné personne n’arrive vraiment à croire en la possibilité d’une victoire. Il est probable qu’ont fortement pesé, après l’enthousiasme du mouvement contre le CPE, les trois années qui ont succédé à l’élection de Sarkozy, années dominées par un sentiment d’impuissance face à un gouvernement qui a réussi à vaincre d’importantes luttes dans l’éducation et à la SNCF, et à imposer une multitude de réformes - dont on peut dire qu’elles étaient toutes plus ou moins inspirées du projet de « liquidation de l’héritage de mai 68 », selon l’ambition du candidat Sarkozy. D’autre part, l’opération consistant à présenter la réforme sous le jour d’un réalisme économique, au moment où la même situation se décline dans plusieurs pays d’Europe amenant avec elle un effet de comparaison relativisant, n’a pas été sans effet. C’est, on pourrait dire, la victoire de l’économie qui nie sa dimension éminemment politique. Et sur ce point, la gauche majoritaire, reconnaissant la nécessité d’allonger la durée de cotisation, n’émet pas un discours différent.
La forte sympathie indiquée par les sondages d’opinion ne s’est pas traduite par une participation active dans le mouvement, bien que la constitution des caisses de grève ait mis à mal le discours des directions syndicales sur le caractère impopulaire des blocages. Ces caisses de grève ont non seulement permis à beaucoup d’apporter leur soutien matériel aux luttes, en minorant les effets financiers de la grève notamment sur les bas salaires, mais aussi d’exprimer une solidarité idéologique. Ces caisses de grève ont pris dans le mouvement une dimension surprenante : l’idée a pris corps que si les secteurs clefs étaient bloqués, le gouvernement céderait forcément. Ce point de vue « stratégique » peut s’apparenter également à une forme de délégation, s’appuyant sur la croyance que le rapport de force tiendrait à la capacité de provoquer une pénurie. Or soutenir une grève dans un secteur clef de l’économie ne peut se substituer à la volonté de favoriser la généralisation du mouvement, qui, en plus des caisses de soutien, peut également s’inscrire dans le recours à des formes de luttes moins connues, comme les grèves tournantes [6], perlées [7], de 59 minutes [8], selon les situations, afin que soit envisagé collectivement la possibilité pour le plus grand nombre de personnes de prendre part à un mouvement de longue haleine.
On peut évidemment considérer que la structure du mouvement en lui-même ne permettait pas de croire réellement que celui-ci puisse prendre : en effet la faiblesse des contre-pouvoirs aux directions syndicales n’a pas permis la constitution d’une opposition ferme et basiste qui aurait pu sortir de l’isolement les franges combatives. Cependant, la tentative a été faite de porter une autre voix au sein du mouvement en cherchant à favoriser la participation la plus large aux blocages des flux de marchandises, des axes de communication et des sites industriels, pour chercher à suppléer au caractère très relatif de l’effet bloquant des trop rares arrêts de travail prolongés.
2.3 Intersyndicales locales, intersyndicales « bis », AG interpro : une volonté d’autonomie vis-à-vis des directions
Dans plusieurs villes en France, on a vu fleurir, en marge des intersyndicales, des assemblées générales dites « interprofessionnelles » ou « interluttes ». Celles-ci étaient composées de chômeurs, précaires, salariés, lycéens et étudiants, qui voulaient se doter d’une forme d’organisation pouvant jouer un rôle indépendant vis-à-vis des directions syndicales et de leurs intersyndicales : organiser des blocages, étendre la grève, défendre face à la logique des journées d’action la temporalité d’une lutte continue. Cet espace permettait également aux chômeurs et aux précaires d’avoir des lieux de rassemblement pour lutter, eux qui n’ont pas forcément de lieu de production attitré ou dans lequel ils se sentent en capacité de se mettre en grève. A Rennes, on peut dire que cela a pris sa source dans deux formes d’intervention : d’abord, grâce à l’initiative de certains syndicalistes d’élargir les discussions portant sur la stratégie du mouvement, puis, par l’invitation par ces mêmes syndicalistes d’organisations comme celle du Syndicat des travailleurs bretons (SLB) et le Mouvement des Chômeurs et Précaires en Lutte dans une « intersyndicale bis » autour du mot d’ordre de retrait de la réforme. Ces démarches avaient pour but de renforcer une tendance qui voulait à la fois organiser des actions communes et se donner la possibilité de peser sur les orientations des luttes. En parallèle, des précaires sont allés à la rencontre des différents piquets pour proposer aux travailleurs en lutte de prendre la parole aux assemblées générales étudiantes et enquêter sur les grèves locales.
La constitution de l’AG interpro a eu lieu à Rennes assez tôt au cours du mouvement, réunissant régulièrement une centaine de personnes. C’est cette AG interpro qui a pris l’initiative d’occuper d’anciens locaux de la CFDT et d’y ouvrir une « maison de la grève », ayant vocation à être un foyer de lutte permanent, mais aussi de discussions, de moments conviviaux autour de repas et de fêtes. Ainsi, des chômeurs/précaires, des étudiants, des salariés en grève isolés, se sont retrouvés presque chaque jour au plus fort du mouvement pour se rencontrer, écrire leurs propres tracts, organiser des actions. Mais il a manqué à ces AG interpros d’être reconnues par la plupart des salariés et des syndicalistes comme des lieux privilégiés de décision pour qu’elles le deviennent effectivement, sauf lorsqu’elles était tenues en main par des intersyndicales locales. Le choix de se tenir à distance fait par certains syndicalistes de lutte, qui n’ont pas relayé cet espace de prise de décision, s’explique à la fois par le fait que celui-ci n’a pas rencontré l’écho qu’il prétendait avoir parmi les salariés, et que ces syndicalistes étaient déjà fort occupés à mener le combat au sein de leur propre structure. En termes de revendications, les AGI ont permis de s’écarter un peu des discours des grandes centrales. Elles n’ont pourtant pas réussi à imposer d’énoncés sur la question des chômeurs/précaires ou celle des sans-papiers, catégories totalement oubliées du discours syndical hégémonique. Celui-ci s’est contenté de revendiquer le retour au plein emploi, la taxation des profits ou la suppression de certains privilèges fiscaux comme ce qui rendrait possible, en termes comptables de financement, la préservation du système actuel. Aucun syndicat n’a cherché à souligner les défaillances de l’actuel système, défavorable aux chômeurs, aux précaires, à ceux qui n’ont pas suffisamment cotisé, aux salariés les plus pauvres.
2.4. Les actions de blocage : la position des syndicats
C’est davantage au niveau des blocages que les AGI ont pu jouer un rôle de relais et se faire force de proposition. Si la direction locale de la CGT Ille et Vilaine (l’union départementale 35) ne revendiquait pas ouvertement les blocages, elle laissait faire des « dif »Ÿ de tracts gênant la circulation" . Toujours au courant de ce qui se passait, elle autorisait ses militants à participer à des blocages effectifs, mais lorsqu’elle jugeait que ce n’était pas approprié, elle leur demandait de revenir à des pratiques plus symboliques, ou de quitter les lieux d’action. L’un des enjeux des AGI a été de tenter d’initier des actions avec des militants en se passant des autorisations des directions syndicales, ce qui a été difficile. Il va sans dire que la présence syndicale sur les piquets mobiles semble être un moyen par lequel nous pouvions rendre effective une liaison par l’association entre des formes ritualisées de lutte, et celles qui refusent de s’en tenir à une stricte légalité.
La question du débordement, qui pourrait se définir comme la détermination des grévistes d’aller plus loin que les orientations fixées par les directions, se pose lorsqu’une situation semble être sous le contrôle exclusif de ces dernières, particulièrement lorsque la stratégie qu’elles proposent semble vouée à l’échec. Il s’agit de trouver dans le débordement des initiatives qui encouragent et élargissent la dimension d’auto-organisation [9]. Le problème est que ces gestes peuvent renforcer les mêmes structures qui sclérosent, à certains moments, les luttes et figer artificiellement des lignes de partage au sein du mouvement. Ainsi, lorsque, cédant à leur impatience, les forces qui prônent le débordement se refusent à chercher, à construire un consensus majoritaire susceptible de rassembler les tendances les plus offensives et d’être admissible par les hésitants, elles risquent de s’enfermer dans une pure négativité, d’échouer dans leur volonté d’introduire dans les luttes un moment irréversible pour le plus grand nombre. En cela, l’autonomie aurait plus à voir avec l’indiscipline à l’égard des professionnels de l’encadrement des mouvements, indiscipline nécessaire à la réappropriation des luttes par le plus grand nombre, et, inséparablement, la constitution d’une discipline où les espaces de délibération et de décision collective engagent effectivement ceux qui y prennent part. Un tel « débordement » aurait pu se manifester pratiquement par le refus d’interrompre une action à l’appel du syndicat, comme geste d’insubordination. Par exemple si les ouvriers de l’industrie du port de Brest en grève, qui bloquaient l’arrivée des tankers aux côtés du collectif inter-pro, n’avaient pas stoppé la grève sur un coup de fil du syndicat [10]. Le problème de la structure pyramidale des principaux syndicats, et ce que cela suscite comme confinement des luttes, ne peut pas être envisagé uniquement par une réforme du fonctionnement interne des syndicats. Cela doit s’accompagner d’une critique en acte qui vient assumer le prolongement d’une histoire des luttes ouvrières : celle de l’autodétermination de ceux qui luttent, syndiqués ou non. Autodétermination qui ne se restreint pas au lieu de production assigné et qui a cherché à se construire à travers le travail de liaison mené par ceux qui prenaient part aux AGI.
Avec un peu de recul, il semble que le fait que personne n’ait prôné la rupture ouverte d’un des syndicats majoritaires avec l’intersyndicale révèle que son existence apparaissait, dans un contexte de faiblesse des luttes de classe, comme une garantie du caractère de masse du mouvement. Dans cette perspective, nous pensons que la manière la plus pertinente (plus que les luttes syndicales internes) d’échapper à la paralysie impliquée par le respect du cadre de l’intersyndicale était d’œuvrer à la constitution des AG interpro. Seule leur coordination, en apparaissant localement et nationalement comme un contre-pouvoir crédible car animé par des syndicalistes, des grévistes et des militants de base impliqués dans les luttes locales, eut été en capacité de contester le leadership de l’intersyndicale et de contribuer à la généralisation du mouvement [11].
2.5 La « violence »
Cette question revient à chaque fois qu’un mouvement prend quelque ampleur : on assiste généralement à la communion de tous ceux qui ont part au pouvoir établi (gouvernement, médias dominants, directions syndicales) autour de la même dénonciation des actes de certains manifestants qui affrontent la police, s’attaquent à des cibles symboliques du pouvoir étatique et capitaliste, ou pillent des magasins. Cette condamnation reste rarement sans écho auprès de la plupart des participants aux mouvements, et il est indispensable, souvent long et difficile de combattre cette grille de lecture qui active la division, toujours prête à servir, entre « vrais manifestants non-violents » et « casseurs infiltrés ». Cette division a essentiellement pour fonction d’interdire au mouvement lui-même toute évolution vers un degré plus élevé d’antagonisme, en jetant le discrédit sur toute forme d’action outre-passant les limites de la légalité, susceptible de donner lieu à la répression policière, laquelle ne peut qu’inciter le mouvement à se poser la question de son auto-défense. Elle s’appuie sur la peur des manifestants d’être entraînés dans un affrontement dont ils ne veulent pas ou pour lesquels ils ne se sentent pas prêts. Elle fait système avec une représentation de l’acte politique comme pure protestation, exercice d’un droit constitutionnel qui exclut par principe la confrontation physique avec un ennemi.
Au cours du mouvement, les médias et le gouvernement n’ont pas ménagé leurs efforts pour donner corps à leur figure du « casseur », en particulier en présentant les affrontements récurrents de la place Bellecour à Lyon comme un déchaînement de violence gratuite, alors que de nombreux récits ont fait état des bouclages de la place où les manifestants, quel que soit leur « profil », étaient sévèrement gazés et tabassés. Les manifestants arrêtés et condamnés pour faits de « violence » étaient loin de tous présenter le profil supposément infamant de « jeunes des cités » et invoquaient généralement leur révolte contre le projet de loi, le gouvernement et le système capitaliste.
Il n’en est pas moins vrai que le gouvernement a tout fait pour accréditer cette division, et il est probable que se sont cachés, à Paris en particulier, parmi d’authentiques émeutiers, des provocateurs de la police. L’affaire « Ninja » [12] a été le fait divers le plus significatif d’une complicité objective entre le gouvernement, les médias, et, malheureusement, une grande partie de la gauche, pour éliminer tous ceux qui voient, dans l’état du monde actuel, plus de raisons pour laisser exploser leur colère que pour la contenir.
Le but a été atteint quand les manifestants ne voient plus l’émeutier comme un manifestant qui emploie d’autres moyens, mais comme un policier infiltré. La déclaration de Mélenchon, chef du Front de Gauche, selon qui ceux qui jetaient des pierres ou brisaient des vitrines étaient des « sarkozystes militants », ne peut que renforcer la division, qu’il convient au contraire de chercher à défaire, entre révolte spontanée des plus précaires, et travail politique et syndical quotidien, bien souvent mené par des catégories plus favorisées.
Ces gesticulations médiatiques ont eu pour effet de faire écran devant les innombrables interventions policières musclées contre les blocages économiques, les blocages de lycées, les occupations, interventions qui ont occasionné des dizaines de blessés et des centaines de condamnations à des peines parfois très lourdes. Premiers frappés : les jeunes des quartiers populaires, auxquels il s’agit de rappeler que rien ne sera toléré venant d’eux. Le souvenir de novembre 2005 est encore frais dans les mémoires.
On objectera à raison que la question de la violence n’était sans doute pas la question essentielle de ce mouvement. De nombreux militants, même « radicaux », sentaient bien que travailler à la généralisation de la grève, à l’intensification des blocages économiques, était plus pertinent que d’insister sur la confrontation directe, le gouvernement cherchant à tout prix à réduire le foyer local, généralement restreint, de « bloqueurs » et de grévistes actifs en effrayant, en arrêtant, en condamnant, parfois pour de simples « entraves à la circulation ». Cela ne doit pas empêcher de constater combien les blocages les plus inoffensifs étaient tolérés, à la différence des plus gênants qui ont été systématiquement dégagés par la police. On ne doit donc pas opposer grèves et émeutes, comme si la première était en soi plus menaçante pour le pouvoir que les affrontements de rue. Dernier mouvement d’ampleur en date, le mouvement anti- CPE s’était ainsi démarqué des mouvements plus traditionnels par la coexistence de blocages d’universités et de lycées, de blocages économiques, d’émeutes et de journées d’action syndicales. Cette configuration inédite était parvenue à faire reculer, au moins partiellement, le gouvernement.
Ainsi, la complaisance ou même la passivité envers les discours qui assimilent émeutiers et policiers doit être combattue. Qu’il soit avéré ou non qu’un flic infiltré ait pu casser une vitrine dans une manif, il faut toujours refuser cette assimilation et travailler à poser la question des moyens, des formes de lutte dans le cadre du mouvement, de telle sorte que des tactiques différentes puissent faire l’objet d’une problématisation collective et éventuellement coexister. Ce qui implique de ne jamais se rapporter aux forces ennemies, police, médias dominants et bureaucratie syndicale dont l’étroite complicité n’est plus à démontrer, comme à des instances neutres. Et de ne jamais relayer parmi nous leurs pratiques de stigmatisation de « sujets à risque », bons à jeter en pâture à la police.
III- Un aperçu du syndicalisme
3-1 Syndicalisme et histoire du mouvement ouvrier en France
Le syndicalisme connaît une importante décrue de ses effectifs militants depuis une quarantaine d’années, à l’image des organisations de masse du mouvement ouvrier, telles que le parti communiste et ses ramifications associatives et culturelles. Corrélativement à la chute du nombre d’effectifs, la « crise » du syndicalisme se traduit par l’affaiblissement de la perspective militante de transformation sociale et politique, en particulier celle qui fait des luttes sur le lieu de travail le levier principal d’une telle transformation. Le syndicalisme se divise aujourd’hui entre une tendance qui prône la résistance aux restructurations libérales et une tendance à l’« accompagnement social » de ces restructurations.
Par le passé (si l’on excepte les fortes tendances syndicalistes révolutionnaires d’avant 1914 [13]) et jusqu’aux années 60 il se divisait globalement entre un syndicalisme d’obédience marxiste qui existait comme courroie de transmission des partis de gauche (en particulier le PCF), et un syndicalisme non-marxiste, prétendument apolitique, parfois inspiré par le christianisme social, qui généralement rejetait la lutte des classes et lui préférait une approche en termes de défense d’intérêts catégoriels, quand il n’était pas simplement jaune ou pro-patronal. La capacité de certains syndicats de cette deuxième tendance à accueillir les éléments critiques de gauche au stalinisme et post-stalinisme russe leur a permis parfois d’apparaître comme une alternative au sein du camp ouvrier (FO, fortement investi par les trotskystes, et surtout la CFDT, un bref moment gagnée à des positions autogestionnaires). Nous avons assisté depuis les années 60 à une importante dissémination du paysage syndical français : essor de la CFDT, maintien prolongé de la CFTC ainsi que des cadres de la CGC comme « syndicats représentatifs », apparition de syndicats corporatifs dits « autonomes » (UNSA), enfin naissance de SUD ( [14] à gauche de la CGT.
On peut dire que globalement, on a assisté depuis le début des années 80 à une « démarxisation » du syndicalisme français, une relative autonomisation vis-à-vis des partis politiques (même si le syndicalisme majoritaire reste fortement lié à la gauche majoritaire, la CGT incarnant son aile gauche et la CFDT son aile droite), un alignement sur les évolutions des représentations politiques dominantes. Peu à peu, l’idée d’une division fondamentale de la société en deux classes antagonistes s’est estompée [15], favorisant l’essor des représentations d’une société fragmentée par des lignes de clivage plus sociales que politiques, aux divisions multiples mais relatives entre « inclus » et « exclus », entre « statuts garantis » et « précaires », « public » et « privé », jeunes scolarisés et adultes salariés, français « de souche » et « d’origine immigrée », centre-ville privilégiés et périphéries défavorisées. La nécessaire prise en compte de cette fragmentation, en l’absence d’un mouvement puissant en capacité de coordonner la multiplicité des situations d’oppression, a eu tendance, dans le discours de la gauche majoritaire, à dissoudre la perspective égalitaire d’une société sans classe dans la problématique de l’exclusion et de la lutte contre les discriminations.
Le syndicalisme s’est trouvé confronté à un double processus : la crise du rapport syndicat/ parti, la différenciation et la segmentation au sein de l’ex-classe ouvrière, rebaptisée « monde du travail ». Le schéma du syndicat ouvert aux non-communistes mais subordonné au parti [16], qui pouvait paraître constituer une articulation pertinente entre lutte quotidienne pour l’amélioration des conditions de travail et perspective d’un changement politique global, n’a pas résisté aux vagues successives de désillusion vis à vis du modèle soviétique, à l’évènement de mai 68 et à la défaite du mouvement révolutionnaire dans la décennie suivante.
Ce modèle était trop lié, dans sa mise en œuvre effective, à la défaite du mouvement révolutionnaire antérieur (1917-1923) qui avait vu l’irruption d’un troisième terme entre syndicat et parti, celui des conseils, expression d’une intervention prolétarienne directe (à travers notamment l’élection de délégués responsables et révocables) et sa constitution comme pouvoir politique alternatif à l’oligarchie capitaliste despotique ou libérale. La victoire des contre-révolutions en Europe et la bureaucratisation des soviets en Russie n’ont pas permis à une telle forme d’organisation de se maintenir et de contester le monopole des syndicats et des partis sociaux-démocrates et staliniens sur la politique ouvrière [17]. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les équipes dirigeantes aussi bien à la CGT qu’au PCF n’ont jamais manifesté une grande sympathie pour la formation de tels organes de lutte révolutionnaire.
68 peut être envisagé en grande partie comme l’effet d’une volonté populaire d’agir sans attendre le signal ou l’autorisation des directions de « ses » organisations. Mais la décennie de luttes qui a suivi 68, et la défaite du mouvement révolutionnaire pour de longues années, n’ont pas vu la construction de formes d’organisation pérennes, capables de contester durablement le monopole des organisations traditionnelles. Les formes syndicales et de parti ont donc subsisté, sans parvenir à surmonter leur crise. Par ailleurs, le syndicalisme de lutte de classe [18] avait eu pour double caractéristique une contribution à l’amélioration des conditions de vie des salariés et la subordination de leurs luttes à la stratégie des partis de gauche hostiles à toute tentative révolutionnaire.
Cette hostilité à la perspective révolutionnaire n’a pas été seulement imposée aux militants ouvriers, elle s’est appuyée sur une hostilité déjà là parmi ceux qui étaient les plus influencés par la social- démocratie [19], et elle a contribué à rejeter hors des rangs du mouvement ouvrier officiel ce qui cherchait à marquer sa fidélité à la perspective révolutionnaire ouverte en 1917 plutôt qu’avec le régime qui s’en voulait l’héritier. C’est ainsi que nombre des adversaires communistes de la social-démocratie dans les années 20 sont progressivement devenus, au sein du mouvement ouvrier où ils avaient conquis l’hégémonie, les plus zélés liquidateurs de cette perspective révolutionnaire.
Le syndicalisme qui s’était développé avec le plus d’ampleur dans cette période 1920-1970 a fortement pâti de l’ajournement perpétuel des combats décisifs. Après 1945, s’affirme une tendance grandissante à lutter exclusivement pour améliorer les conditions de vie des salariés en évacuant la question de leur pouvoir politique. Faisant fond sur une confiance excessive dans le progrès supposément inhérent aux lois de l’histoire, sans volonté réelle de prendre en compte toutes les formes de l’exploitation et de l’oppression ainsi que leurs mutations, le syndicalisme s’est peu à peu imposé, à partir de ses bastions, comme un acteur à part entière des politiques industrielles de l’Etat capitaliste, en abandonnant toute référence, même invocatoire, au mot d’ordre d’abolition du salariat. Une telle évolution a peu à peu entraîné un affaiblissement de la teneur politique des luttes dites sociales, et, le syndicalisme, s’étant avéré impuissant par la suite à empêcher les restructurations industrielles, n’a pu contre-carrer un processus de re-différenciation des intérêts catégoriels, qui ne lui permet plus aujourd’hui de jouer son rôle de contre-pouvoir. Dans ces conditions, l’image qui s’est imposée du syndicalisme est celle d’une représentation institutionnalisée des différents secteurs socio-professionnels de ce qui n’est plus une classe potentiellement révolutionnaire, mais un « monde du travail » où tous défendent leurs intérêts irréductiblement particuliers. Du point de vue des gouvernants, la fonction utile du syndicalisme s’apparente dès lors à faciliter, par son expertise des conditions de travail et de l’environnement économique, la composition de tous les intérêts en présence, n’excluant pas des épisodes de conflictualité, à partir d’un consensus sur la rationalité ultime des lois de l’économie capitaliste. Un tel devenir du syndicalisme majoritaire donne ainsi en creux l’image du déclin politique des classes populaires. Pour autant, il est loin de présenter un visage uniforme.
3-2 Prises de position syndicales et conflits internes
Dans le mouvement que nous venons de traverser, tous les syndicats de quelque importance ont cherché à marquer leur singularité, malgré le respect du cadre de l’intersyndicale. Mais ils ont fait face en interne à des tendances contradictoires (hormis la CFDT) qui donnent à penser que les lignes de clivage sont transversales aux différents syndicats. Ainsi voit-on la CGT par exemple fortement divisée. D’un côté, les partisans de la ligne Thibault, favorables au rapprochement avec la CFDT, et qui cherchent à disputer à cette dernière le rôle d’interlocuteur privilégié du gouvernement et du MEDEF, en se débarrassant des anciennes méthodes où la conflictualité prime sur la négociation. L’ouverture de négociations sera ainsi la revendication que la CGT, main dans la main avec la CFDT, va opposer à ceux qui demandent un « retrait pur et simple » (FO, SUD, CNT...), cherchant ainsi à se débarrasser de son image, héritée d’un passé déjà lointain, du « syndicat qui ne signe jamais ».
La grève devient dans cette perspective l’« ultime recours ». Face à cette tendance, une importante minorité a cherché au cours du mouvement à impulser des intersyndicales locales fortes, des cadres d’organisation du type AGI ou des actions. Cette minorité n’est pas homogène, partagée entre partisans du rôle dirigeant des syndicats (et a fortiori de la CGT) dans toutes les formes d’action et de mobilisation, le plus souvent réservant leurs critiques pour la ligne Thibault, et syndicalistes ouverts à l’action commune avec tous les éléments combatifs, syndiqués ou non, y compris les étudiants, chômeurs et précaires.
Chez SUD, les divergences internes étaient sans doute moins accusées qu’à la CGT, étant donné le consensus sur la volonté d’incarner une alternative au tandem CGT-CFDT. Mais s’est néanmoins révélé un important clivage entre ceux qui entendaient bien ne pas être accusés de remettre en cause la légitimité du cadre de l’intersyndicale, et ceux qui jugeaient nécessaire de marquer l’hétérogénéité des positions au sein du mouvement et d’indiquer les impasses auxquelles les directions syndicales coalisées ne manqueraient pas de nous conduire. Les premiers, comme la majorité des CGTistes critiques de la ligne Thibault, se sont montrés très réticents vis à vis de ce qui sortait du cadre de l’intersyndicale, et n’ont pas fait montre d’initiatives en dehors de ce cadre ; les seconds ont parfois impulsé, comme à Rennes, des intersyndicales- bis avec les syndicalistes de lutte et des précaires organisés, ainsi que des AG interpro. Il semble que la première tendance demeure aujourd’hui majoritaire, étant donné les prises de position qui ont été celles des leaders en vue dans les grands médias.
A FO, qui constitue un syndicat sans véritable orientation autre que sa distance vis à vis des deux « grands », il apparaît que l’extrême fragmentation des positionnements politiques profite aux courants les plus cohérents (trotskystes et libertaires) pour imposer une ligne hostile à la négociation et favorable à la grève générale de 24 h. Mais les situations locales sont trop variées pour que puissent être dégagées une ou plusieurs tendances distinctes. Néanmoins, à Rennes comme à Brest, les sections de FO, influencées par l’anarcho-syndicalisme, se sont affirmées globalement favorables à l’autonomie à l’égard de l’intersyndicale. Enfin, la CFDT s’est retrouvée dans un rôle inhabituel pour elle, où elle ne pouvait pas quitter l’intersyndicale pour aller négocier avec le gouvernement, étant donné qu’il n’y avait rien à négocier. Pourtant, elle n’a pas été avare de perches tendues, notamment sur la question de la retraite à taux plein, tant elle craignait que le mouvement prenne réellement de l’ampleur, et qu’elle soit obligée de le cautionner ou d’être accusée de le saboter en le désavouant. Mais l’exercice s’est révélé très profitable pour elle, à court terme bien sûr, au sens où la centrale a pu passer pour une vraie force d’opposition tout en restant parfaitement homogène à la rationalité capitaliste. Quant aux militants CFDT de base, on a pu les voir sur des blocages là où l’intersyndicale était véritablement dynamique, comme au Havre. Ailleurs, ils n’ont eu visiblement de vraie présence que pour former les gros bataillons orange des manifs entre midi et deux.
3-3 Réémergence d’un syndicalisme émancipé
On pourrait avancer que le syndicalisme aujourd’hui, tel qu’il nous est apparu dans ce mouvement est divisé en trois tendances :
• une tendance majoritaire qui voit la CFDT et la majorité de la CGT s’orienter vers un syndicalisme d’accompagnement qui accepte pleinement son rôle de faire valoir des intérêts des salariés dans le cadre d’un « principe de réalité » économique, (nécessité d’accroître la compétitivité des entreprises françaises, d’accepter la généralisation de la précarité) tout en cherchant à anticiper et à en amenuiser les conséquences sociales.
• une tendance encore numériquement forte, et qui a été centrale dans le dernier mouvement, qu’on peut retrouver essentiellement à la CGT, mais aussi à SUD et FO, réellement désireuse qu’un grand mouvement advienne avec des appels clairs à la grève générale reconductible, mais qui dans ses pratiques de lutte parvient difficilement à échapper à l’idée qu’il lui faut un mandat (du syndicat, des salariés) pour participer à une AGI ou à des actions.
• une tendance encore numériquement faible mais qui s’est réellement affirmée pour la première fois dans ce mouvement, de syndicalistes de base à la CGT, à FO, à SUD, à la CNT (et le SLB en Bretagne) pour qui c’est réellement dans un cadre transcatégoriel ouvert aussi aux salariés, étudiants, chômeurs et précaires non syndiqués que doit se construire un mouvement cherchant à se donner les moyens de faire converger actions de blocage et contribution réelle au déclenchement de grèves dans les entreprises.
Nous nous garderons donc de bien de faire l’apologie d’une organisation contre une autre, pas plus que d’affirmer qu’il existe un conflit irréductible entre syndicalistes de base en général et directions syndicales en général. Le clivage syndicalisme de lutte/ syndicalisme d’accompagnement ne semble pas non plus absolument suffire. En plus de ces éléments qui peuvent faire clivage, il importe d’insister sur une ligne de fracture interne au camp de ceux qui peuvent se dire partisans d’un « syndicalisme de lutte ». En forçant exagérément le trait, on peut distinguer un syndicalisme clos sur son organisation, sur son lieu de travail, contenu par l’idée qu’il faut agir au diapason de ce qu’on estime être la majorité, l’« opinion publique ». Auquel s’oppose un syndicalisme qui appelle de ses vœux le travail commun entre syndicalistes de lutte de différents secteurs et de différentes organisations. Pour ces derniers, des formes d’activité et de coopération existent et doivent se développer également en dehors des entreprises ; selon eux, c’est en osant à certains moments le passage à l’acte d’un blocage, d’une occupation, et en cherchant à y associer ceux qui n’en sont pas familiers, qu’on peut donner confiance à d’autres dans leur capacité d’en faire autant. En résumé, plutôt un clivage entre ceux qui intègrent au syndicalisme les critiques du syndicalisme pour en assumer la dimension pleinement politique, et ceux qui demeurent pris dans la méfiance envers ce qui n’est pas intégralement assimilable à une organisation syndicale ou politique estampillée « mouvement ouvrier ». Cette ligne de fracture n’est bien entendu pas irréductible. Mais elle indique à la tendance vivante du syndicalisme à quelles conditions elle peut contribuer à la réémergence d’un mouvement révolutionnaire, en lien avec des collectifs engagés contre d’autres aspects de l’oppression que l’antagonisme capital/travail au sein de l’entreprise.
IV- La situation politique et ses limites
4-1 Récurrence et faiblesse des luttes contemporaines
Le revers de l’ère de « la crise », justifiant les menées des capitalistes afin de préserver leurs marges, est la multiplication des temps d’expression d’une colère diffuse se manifestant au travers de luttes récurrentes cristallisant épisodiquement la voix d’une partie de la population. Ces luttes multiples se sont opposées tant à ce qu’induit l’économie capitaliste en restructuration permanente qu’aux gouvernements successifs à la solde de celle-ci.
L’horizon du capitalisme semble être de produire à bas coût, sans cesse et toujours plus d’objets à obsolescence programmée ou de savoirs fonctionnels à cette logique. Chacun est tenu d’être mobilisé et de se rendre capable jour après jour de retourner bosser. Les entreprises sollicitent un désir de s’investir complètement, de s’accomplir par le travail, mais la réalité de la coopération dans les équipes se révèle bien vite, et de manière de plus en plus dramatique, comme règne de la mise en concurrence, généralisation de l’évaluation des « compétences » et élimination des moins « performants ». D’autre part, la concurrence, stimulus de la loi du marché, induit quand le rapport de force patronal s’exerce sans entrave qu’il faille abaisser le coût du travail afin que l’entreprise puisse continuer à se faire de l’argent sur le dos des salariés. Ces derniers sont, quant à eux, considérés comme de simples variables d’ajustement devant être prêts à faire des concessions sur leurs acquis sociaux s’ils veulent préserver leur emploi (retour aux 40h, baisse des salaires, congés reportés ou inexistants...).
L’exemple des Contis permet d’illustrer dans quelle mesure le rapport de force peut à certains moments se rééquilibrer en faveur des salariés. En 2007, les salariés de Continental acceptèrent le retour aux 40h contre la promesse de leur direction de maintenir l’emploi jusqu’en 2012. Mars 2009, annonce de la fermeture du site. Dès lors les salariés décident de mener la bataille : occupation d’usine, mise à sac de la préfecture de Compiègne, action en justice... L’usine de Clairoix n’échappe pas à la fermeture mais chacun des 1120 salariés reçoit une prime de départ de 50 000€ au lieu des 10 000€ initialement concédés. Les Contis ont dû recourir à des gestes portant la conflictualité à un niveau supérieur, ne se contentant pas des formes d’action autorisées par la loi, pour qu’enfin la lutte paie. Dans une situation où prévaut généralement un certain fatalisme, ils n’ont pourtant pas été les seuls à entrer en résistance.
D’autres salariés ont également eu recours à des formes de lutte plus déterminées telles que des séquestrations de personnel de direction (Caterpillar, 3M, Sony), des menaces de faire sauter l’usine (New Fabris, Sodimatex), des grèves longues (6 mois pour Total Dunkerque), la décision symbolique (effective pendant trois jours) d’instaurer le « contrôle ouvrier » de la production en vue d’une mise en œuvre de l’« autogestion » (Philips), les manifestations massives de solidarité (les Conti aux côtés des salariés de GoodYear).
De quoi voir en ces luttes, la volonté de ces salariés de ne pas se laisser manœuvrer par le capital. Néanmoins, nous devons admettre que ces luttes ne sont parvenues à arracher que quelques concessions au patronat (augmentation des primes de départ, report de la fermeture du site...). D’autre part, la focalisation de la plus grande part de ces mouvements sur la question des indemnités indique, négativement, une certaine forme d’acceptation de la nécessité des « lois de l’économie » et l’affaiblissement des formes de pouvoir ouvrier dans l’entreprise, condition de possibilité d’un horizon autogestionnaire. De plus, la précarité qui tend à devenir le lot commun, permet au capital de conserver l’initiative sur la bataille de la mobilité [20], favorisant ainsi le chantage à l’emploi qui fait contrepoids à la dégradation des conditions de travail ouvrier et au délitement de sa valeur, objective et subjective. Les luttes de ceux qui, menacés de licenciement, cessent d’être des salariés « garantis » pour devenir des « précaires » sont ainsi écartelées entre une résistance globalement impuissante face aux décisions de restructuration des capitalistes particuliers et le choix d’une lutte ouverte contre l’Etat capitaliste pour se garantir le revenu, au-delà d’indemnités compensatrices, qui permettrait de poser la question de la coopération ou de l’autogestion dans un cadre inventé collectivement.
Les mouvements lycéens et étudiants se sont également illustrés par leur capacité à représenter une menace pour le pouvoir-institutionnel-génération-Sarkozy. La devise de l’ère néolibérale, crise-dette-austérité, colportée par les gouvernements successifs, se heurte à des mouvements de jeunesse qui entendent bien ne pas voir leurs conditions d’existence et leur avenir se dégrader davantage.
Depuis la lutte dite « anti-CPE », les moyens d’action se sont en une certaine mesure radicalisés : blocage de lycée, d’université, de route et de gare, affrontements avec les forces de l’ordre, attaque symbolique des officines du pouvoir économique et politique, auto-réductions dans des supermarchés... Retour et persistance d’une certaine violence politique dont les réactions de ses détracteurs témoignent du caractère inquiétant de ces modes d’action. Songeons par exemple à l’inquiétude du gouvernement en 2006 craignant par-dessus tout une liaison du mouvement des étudiants (LEC-CPE) à celui des jeunes des quartiers populaires dont la rage s’exprima de cité en cité lors du grand incendie de 2005.
Pour autant, les luttes étudiantes et lycéennes, n’en ressortent jamais victorieuses hormis pour la lutte contre la loi dite de l’égalité des chances dont fût retiré le seul point concernant le CPE. A chaque fois, la classe dirigeante semble bien sourde face à ces mouvements massifs et compte bien à chacune de ses apparitions médiatiques « ne pas plier face à la rue » puisque selon ces édiles « ce n’est pas la rue qui gouverne ». De tels discours ne viennent que corroborer l’hypothèse que nos dirigeants auraient trop à perdre si la situation politique venait à leur échapper, s’ils commençaient à lâcher sur quelque chose.
Autre signe et non des moindres témoignant d’une opposition politique contre ce monde dominé par le Capital et ses politiques xénophobes et sécuritaires est la multiplication des émeutes. Selon Alain Bertho [21], la dernière décennie a connu plus de désordres civils que les années 1960 pourtant considérée comme la décennie de l’expression d’une révolte généralisée. Pour la seule année 2009, plus de cinq cent vingt-quatre émeutes ont été répertoriées dans le monde. Nul continent, ni territoire épargné. Emeutes de la faim (nombreuses en 2008, suite à la flambée du prix des denrées alimentaires de base en Egypte, Maroc, Haïti, Côte d’Ivoire, Burkina Faso...), émeutes à l’annonce de mesures d’austérité (Grèce, Angleterre, Italie...), à la suite de violences policières (Villiers-le-Bel en 2007, Grenoble 2010), à l’occasion d’une élection (3 jours d’émeutes dans les villes de l’Hexagone en 2007, suite à l’élection de Sarkozy). Autant de moments témoignant d’une rage collective, caractérisés par une violence politique assumée par ses acteurs. Voitures brûlées, bâtiments publics saccagés, affrontements avec les flics, réquisitions de marchandises... les cibles comme les raisons ne manquent pas, mais ne font souvent qu’un feu de paille. La colère exprimée lors de ces manifestations politiques retombe, apparaissant sans autre perspective qu’un retour à la normale, malgré les morts, les blessés et les nombreux emprisonnés. L’occupation militaire du territoire vise d’abord à isoler le foyer de rébellion et va de pair avec des appels non dissimulés à la délation (exemplairement à Villiers le Bel).
Quand ces émeutes en viennent à se généraliser, qu’elles se coordonnent autour d’une même volonté de faire chuter le régime et qu’elles parviennent à interrompre le fonctionnement normal des institutions, elles se transforment en véritables soulèvements, tels ceux qui ont éclaté en Tunisie, Egypte et Libye il y a quelques semaines, et auxquels nous assistons aujourd’hui en Syrie et au Yémen.
4.2 Des mouvements en panne d’horizon
Si l’on excepte les soulèvements actuels, nous ne pouvons que relativiser le résultat de ces apparitions, en particulier dans les pays occidentaux, et tenter d’avancer quelques raisons. Saturation du temps de la vie par le travail, casse des services publics et des acquis sociaux, pillage de la nature, lois et dispositifs sécuritaires, impérialisme occidental... tout cela est certes contesté mais les logiques en œuvre dans le capitalisme, sources de ces maux, persistent et s’étendent à tous les moments de la vie.
Paradoxalement, la baisse substantielle du niveau de vie de bien des foyers, les problèmes d’endettement, la généralisation des contrats précaires ou encore la défection des solidarités entre salariés, composent le terreau de ce qui met en échec une possible généralisation et extension des mouvements de grève.
Une autre raison majeure réside dans le sentiment dominant qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme. Ce dernier semble en effet être en capacité de tout absorber, y compris les espoirs portés un temps par le communisme, tels que l’accès aux loisirs et aux biens de consommation courante pour tous, en les dépouillant de leur dimension d’antagonisme de classe (solidarité au lieu de partage des richesses, généralisation de la surveillance unilatérale du pouvoir, pour assurer la sécurité des « biens et des personnes » au lieu d’un contrôle populaire s’établissant comme pouvoir, égalité des chances à la place de l’égalité). En face du mouvement communiste qui s’est effondré, laissant l’image de régimes policiers, aussi inégalitaires que ceux qu’ils dénonçaient et passablement en retard sur les questions de l’abondance des biens et des possibilités d’accomplissement de soi, le capitalisme a pu se targuer d’un « bilan globalement positif » [22]. Et ce, même si les libertés publiques y sont toujours relatives et précaires, et si le modèle de croissance économique qui a entraîné cette abondance nous entraîne à la destruction des milieux de vie.
L’effondrement des régimes « socialistes » et des organisations du mouvement ouvrier a eu pour corollaire un affaiblissement du paradigme de la lutte des classes, même si ces dernières n’ont en aucun cas disparu. C’est plutôt l’évidence d’un sujet de classe ouvrier ou prolétarien qui s’est dissipée. L’autre terme de la lutte des classes, la bourgeoisie, demeure intact, si ce n’est renforcé, et a atteint un stade lui permettant d’afficher et de multiplier les attaques au grand jour.
V- Nouvelles perspectives pour la lutte des classes
5.1 Se déprendre des vieilles figures
Périodiquement, on assiste à la résurgence du motif de la lutte des classes qui s’impose dans le débat public le temps d’une lutte, d’un événement. La lutte contre la réforme des retraites a été une occasion de cette réactualisation allant à l’encontre de la tendance générale des principales centrales syndicales à délaisser, voire à renier cette lecture marxiste des rapports salariaux. Reste que cette grille d’analyse, portée notamment par le syndicalisme de lutte, fait fond sur l’idée qu’il existe toujours un sujet immédiat et central de la lutte des classes : le « salarié » travaillant en CDI à 35 ou 40 heures par semaine, figure dont il s’agit de défendre le statut, les fameux « acquis » [23]. Or, cette figure du salarié, supposément homogène, ne dit rien des formes de précarisation croissante subie par d’importantes fractions des classes populaires, les contraignant à une plus grande dépendance à un marché de l’emploi qui n’offre à ces catégories que de petits boulots jetables.
Il faut intégrer par ailleurs un facteur subjectif à la lutte des classes : si n’est pas nouvelle l’idée que l’adhésion à la cause de la classe ouvrière n’est pas du seul fait des gens qui la composent, en revanche il y a une reconfiguration quant au rapport à l’idéologie capitaliste. L’économie s’adresse désormais à n’importe qui ; tout un chacun doit en être partie prenante. En témoigne la sollicitation faite aux chômeurs à s’envisager comme auto-entrepreneurs : ils ne sont plus « les victimes de la désindustrialisation », « les laissés pour compte » mais sont ceux qui devront apprendre à se mobiliser, s’auto-exploiter, travailler sur eux-mêmes pour « s’insérer » dans la société. Les « qualités » de chacun sont des compétences en puissance valorisables sur le marché de l’emploi, transformant en valeur potentielle tout ce qui peut concerner l’emploi du temps de la vie. Ainsi ce que l’on pourrait nommer « culture d’entreprise » s’immisce partout.
Dans ces conditions, la position subalterne dans les espaces de travail ne détermine plus nécessairement une disposition à l’antagonisme. Etre « privé d’emploi » non plus. Le revers de l’individualisation des conditions de vie et de travail se manifeste pour beaucoup par des formes de révolte individuelle, de passivité, de fuite (arrêt-maladie, démission...) voire par le suicide (exemplairement, l’immolation par le feu, du précaire tunisien au cadre de l’entreprise française fraîchement privatisée). Le lieu de travail ne configurant plus que rarement de communauté consistante, il s’opère alors un repli sur ce qui est « extérieur » au travail : famille, activités associatives, « loisirs », dès lors que le travail n’est visiblement pas ou plus la source d’accomplissement qu’il prétend être.
Les luttes collectives, à l’initiative ou non des syndicats, n’ont pour autant pas disparu. Parfois, ne s’en tenant pas à une stricte défense des salaires et de l’emploi, elles cherchent à assumer publiquement certains aspects des formes de révolte individuelle : déjouant le consensus corporatiste, elles s’affirment comme lutte contre le management, l’esprit et la culture d’entreprise (ainsi des conseillers Pôle Emploi dénonçant la machine à radier, des enseignants « désobéisseurs » [24]...).
Le sujet de la lutte des classes n’est donc pas simplement le prolétaire au sens de Marx, celui qui n’aurait que « sa force de travail à vendre ». C’est aussi celui qui, même non formellement salarié, se trouvant confronté aux formes de travail capitalistes, cherche à combattre les injonctions de l’économie et à assumer l’antagonisme avec ces ennemis communs que sont l’Etat et les capitalistes (qu’ils soient patrons, managers, etc). Les lycéens, les chômeurs et les salariés, en sont les acteurs à égalité.
5.2 Lutte des classes et grève des chômeurs
Partir de notre condition de chômeurs et de précaires permet d’attaquer la valeur-travail depuis une subjectivité aujourd’hui largement partagée. L’expérience faite massivement aujourd’hui, du fait de la raréfaction de l’emploi salarié, d’une certaine disponibilité à l’invention autonome de son mode de vie et de ses activités [25], pourrait ne pas inévitablement échouer dans la constitution d’un nouveau vivier productif où le capital n’a qu’à puiser pour se régénérer. C’est ce que la campagne de « grève des chômeurs » [26] a cherché à affirmer, que cette disponibilité pouvait être l’occasion d’un choix pour la politique, qui fasse résonner et assume publiquement les implications politiques affichées ou non de cette invention autonome.
A l’heure où le chômage est devenu massif, le gouvernement met en avant des chiffres du chômage ne prenant en compte qu’une faible proportion de la précarité réelle. Les gouvernants sont parvenus à créer une figure du chômeur- profiteur en opposition à ceux qui souffrent au travail, détournant ainsi l’attention des dirigeants responsables du chômage et qui en tirent profit. Cette suspicion justifie la mise en œuvre de dispositifs de flicage, contraignant le chômeur à accepter sans broncher toutes les formes de « mobilisations vers l’emploi » : petits boulots dans les secteurs en tension, stages C.V., EMT [27], coaching, etc. Un tel flicage s’accompagne d’une sollicitation, d’une collaboration active du chômeur lui même, qui le pousse à intérioriser les exigences du marché du travail et des entreprises au détriment de ses propres aspirations, idéalement jusqu’au point ou les deux se confondent.
C’est dans cette mesure que lutter contre les restrictions à l’inconditionnalité des allocations-chômage ou du RSA peut participer de cette constitution en classe politique : il s’agit moins de demander la reconnaissance d’une activité non salariée mais « socialement utile » et/ou productive, que d’affirmer une volonté largement partagée de tenir le choix pour l’expérimentation, en particulier l’expérimentation politique, et de s’en donner les moyens.
Ensuite, il s’agit d’insister sur le nécessaire décloisonnement entre les mondes supposés être séparés de l’emploi, du chômage et de la formation. Les chômeurs et précaires (y compris les jeunes scolarisés) sont aussi salariés, l’ont été ou le seront et sont donc parfaitement légitimes pour prendre part à un « conflit de travail », même s’ils n’y sont pas formellement ou actuellement en poste, que ce soit parce qu’ils ont travaillé à cet endroit, qu’ils y aspirent, qu’ils s’y rapportent comme usagers ou « citoyens », ou encore parce qu"Ÿils se sentent partie prenante du conflit au titre d’une appartenance de classe.
Ainsi, réactiver le motif de la lutte des classes ne doit pas être compris comme une manière de revaloriser l’identité ouvrière ou prolétarienne au sein des rapports capitalistes, qu’on la définisse par la maîtrise du « métier » ou au contraire par l’aliénation du travail, mais plutôt comme une manière d’insister sur le moment politique de dérèglement des rapports de production quotidiens, au cours duquel le conflit porté à l’encontre de l’ennemi décolle l’identité impliquée par la réduction de chacun à un statut de force productive (serait-elle renommée « force-invention », comme chez Moulier-Boutang). A travers l’affirmation politique d’un tel décollement peut s’ouvrir la constitution d’un contre- pouvoir populaire qui dénie toute légitimité aux détenteurs du pouvoir et de la richesse.
5.3 Travail de liaison
A partir de là, il s’agit d’inventer des formes de liaison aux forces syndicales offensives dont nous avons parlé précédemment. Ceci implique de ne pas céder à l’injonction de choisir une fois pour toutes entre les diverses revendications disponibles, censées convenir en n’importe quelles circonstances (telles que hausse des salaires, revenu garanti, réduction du temps de travail...), mais de partir de ce que ceux qui commencent une lutte identifient comme leurs besoins insatisfaits dans la condition qui leur est faite. C’est dans la manière dont une lutte va se faire l’écho implicite ou explicite d’autres luttes que ces besoins singuliers vont également s’affirmer comme besoin de commun, de communauté politique, transversal à un certain nombre de collectifs. Les revendications exemplifient alors certains principes qui les distinguent de luttes simplement corporatistes : par exemple, insister sur la revendication d’une augmentation égale de tous les bas salaires, sur l’égalité salariale (salaire politique), sur la participation des subalternes à la prise de décision...
Le travail de liaison peut s’effectuer autour de revendications à la fois pragmatiques et portant une dimension inintégrable. En premier lieu, porter une revendication permet de faire l’épreuve de la délibération et de la décision collective, de s’entendre sur ce qui peut motiver le refus d’une situation établie. [28] Certes, on aura raison de souligner que la plupart des revendications sont généralement formulées avec le souci d’apparaître parfaitement compatibles avec l’ordre des choses. Mais les luttes, même à priori défensives, peuvent être dites offensives lorsqu’elles font une large place à l’idée que lutter pour la satisfaction de certaines revendications c’est chercher à anéantir la prétention du capitalisme à constituer le seul monde possible. Dès lors, plus la revendication remet en cause une institution, plus elle nécessite un rapport de force suffisant pour la porter, c’est-à-dire autant une certaine amplitude numérique qu’un fort sentiment de l’hétérogénéité de nos aspirations avec celles qui sont véhiculées par le « discours de vérité » économique.
Dans ces conditions, la confiance peut gagner le camp de ceux qui formulent les revendications, qui peuvent alors devenir l’outil d’une classe qui se constitue en les partageant. Lier la revendication à un rapport de classe conflictuel est peut être ce qui rend possible la liaison des revendications émises depuis les formes segmentées de résistance contemporaine (droit au logement, arrêt du nucléaire, liberté de circulation pour tous...). Ces terrains, une fois trouvés les opérateurs de leur liaison (aussi bien matériel qu’idéologique) auront à construire leur horizon commun, non pas tant en termes de programme mais de principes (émancipation, égalité, coopération...).
A ce titre, les revendications ne constituent pas un critère de sérieux politique mais une arme utilisable dans des temps et des espaces circonscrits : il n’y a pas de revendications « miracles » capables par elles-mêmes de mener un conflit populaire à sa victoire, elles sont seulement susceptibles de concourir à ce que le mouvement prenne un tour plus offensif. Le débat sur les revendications est généralement un facteur de division au sein du mouvement, parce que les organisations politiques ou syndicales cherchent à opérer des rassemblements autour de la ligne de leur organisation, mais elles peuvent aussi être une manière de cristalliser un consensus autour de positions plus subversives, et ainsi travailler à affaiblir les tendances au statu quo et à l’électoralisme.
La recomposition d’une conflictualité de la classe ne se fera pas simplement depuis des formes de solidarité mais depuis le rassemblement de tous ceux qui se sentent partie prenante d’un rapport de classe subversif, en rupture avec l’éclatement des luttes catégorielles et/ou corporatistes. Sans doute cela demande un certain nombre de concessions et la seule volonté ne résout pas les difficultés rencontrées. Mais il faut faire en sorte que chacun puisse prendre part aux luttes sans que cela se fasse seulement au titre d’une participation à une organisation politique mais depuis un rapport de classe.
Réaffirmer avec force la question de la lutte des classes sans la réduire au rapport capital/travail, même complexifié et étendu à la lutte contre la mise au travail de tout le temps de la vie, implique de ne pas renoncer à prendre au sérieux les luttes qui ont été qualifiées de « minoritaires » ou de « spécifiques » (féministe, antiraciste, écologiste...)
En effet, il importe de mettre en avant combien la logique de l’exploitation est transversale aux rapports salariés/patrons, chômeurs/contrôleurs, mais aussi dans le rapport homme/nature et dans une certaine mesure en tous les lieux où une forme de domination ou de subordination peut exister (homme/femme, parents/enfants, français/immigrés...) Cette logique implique de considérer l’être singulier avant tout comme un objet susceptible de nous rapporter une plus-value réelle ou symbolique et qui peut se plier à nos exigences de satisfaction, mettant au second plan ses besoins propres. En négligeant les liens qui nous unissent à lui, le rapport d’exploitation nous interdit à la fois de considérer ce qui en l’autre nous constitue aussi et provoque une négligence, un manque d’attention systématique aux dommages que nous occasionnons.
Dans cette mesure, la lutte de classe n’est pas d’abord la lutte ouvrière étendue éventuellement aux luttes « minoritaires ». Elle est le conflit politique mené depuis une situation spécifique de subordination et d’exploitation, dès lors qu’il met en cause ce rapport lui-même. Son extension implique d’identifier et de dénoncer le pouvoir d’une classe dominante (tendanciellement et globalement capitaliste, productiviste, raciste et sexiste) et d’affirmer la perspective de construction du mouvement révolutionnaire comme classe politique antagoniste et espace de mise en œuvre des principes égalitaires.
Le travail de tissage politique s’accompagne également d’un travail collectif autour de la création d’espaces publics comme ce peut être le cas avec les permanences précarité, les lieux collectifs autogérés, les tentatives d’opposition à la politique locale, etc. Ceux-ci mettent en jeu d’autres formes de liens que celles à l’œuvre dans les discussions politiques, œuvrant à une confiance collective, et à une puissance de rassemblement plus forte vis-à-vis d’une actualité qui appelle sans cesse à la spécialisation des luttes.
En conclusion, il est indispensable de densifier les formes de rassemblement entre les diverses composantes qui tentent de prendre part aux mouvements (collectifs de lutte pour les sans-papiers, syndicalistes dissidents, collectifs de chômeurs, etc.), de manière à pouvoir être partie prenante de l’élaboration des mots d’ordre et reprendre à notre compte le caractère public qu’un conflit fait éclater au grand jour, au titre d’un rapport de classe, sans reconduire la centralité du sujet « salarié », tout en maintenant une hostilité partagée envers l’ennemi.
Quelques participants au MCPL (Mouvement des Chômeurs et Précaires en Lutte de Rennes), juillet 2011.
Une version papier de ce texte sera disponible lors de la parution du prochain Sabot, en septembre.
[1] On peut dénombrer 600 types de régimes de retraite de base. Ces derniers sont répartis en quatre grandes catégories : le régime général des travailleurs du secteur privé, celui des artisans, commerçants et agriculteurs, celui du secteur public et enfin les régimes spéciaux. Sont concernés par les régimes spéciaux, les travailleurs de certaines entreprises publiques (ex. SNCF), des branches des Industries électrique et gazière (IEG), les militaires et certaines professions (ex. dockers). Les différences de statut portent sur l’âge d’ouverture des droits à la retraite, l’âge de départ à taux plein et la durée de cotisation. Ces calculs sont plus ou moins favorables aux travailleurs selon les luttes et les négociations passées.
[2] Les pensions sont dorénavant calculées sur les 25 meilleures années de cotisation, au lieu des 10 meilleures.
[3] Mais pas sur le volet de la sécurité sociale (prévoyant notamment une déremboursement significatif de certains médicaments et des restrictions sur les allocations familiales), ce qui implique de relativiser la présentation de ce mouvement comme une pure et simple « victoire ».
[4] Le PERP est un produit d’épargne à long terme qui permet d’obtenir, à partir de l’âge de la retraite, un revenu régulier supplémentaire.
[5] Depuis 2008, des lois européennes sont votées qui vont dans le sens d’une privatisation de l’outillage public synonyme de démantèlement des Ports
Autonomes (qui bénéficient du statut d’entreprise publique). Menaçant en premier lieu les conducteurs d’engins, mais aussi les salariés ouvriers, les techniciens, qui voient la pérennité de leurs emplois, leurs statuts, leurs salaires remis en cause.
[6] Grève qui procède par rotation des postes ou secteurs pour réduire les pertes de salaire.
[7] Ralentissement de la production, non considéré officiellement comme une grève. Forme d’action illégale
[8] Dans les secteurs où est en vigueur le service minimum, une faille de la législation permet, en deçà d’une heure de grève, de ne perdre que l’heure non travaillée, et non la journée entière.
[9] Qui peut commencer par le fait d’aller rencontrer directement d’autres grévistes, d’imposer aux leaders que les décisions soient prises en assemblées générales... et implique donc une tendance à ce que ceux qui luttent s’approprient tous les aspects matériels et immatériels de leur lutte, dans une perspective d’autonomie de classe (voir cinquième partie)
[10] Exemple issu du journal « Jusqu"Ÿici », paru durant le mouvement des retraites.
[11] Coordination qui a bien connu un début de réalisation (rencontre de Tours) mais au moment où le mouvement avait déjà commencé à refluer.
[12] Lors d’une manifestation à Paris, un homme masqué avait été arrêté après avoir donné un coup de pied sauté dans le dos d’un manifestant, lequel avait lui-même tenté de ceinturer un émeutier qui brisait une vitrine. De nombreux internautes « de gauche » avaient affirmé, sans l’ombre d’une preuve, que cet homme, ayant empêché un honnête citoyen de ceinturer un « casseur », ne pouvait être qu’un policier. Malgré l’absurdité de cette assertion, il a fallu la lourde condamnation pénale du « camarade ninja » pour dissiper les soupçons.
[13] Qui défendait l’indépendance du syndicat vis-à-vis des partis politiques et faisait de ce même syndicat l’instrument de la lutte quotidienne, de la grève générale expropriatrice et de la réorganisation autogestionnaire de la production.
[14] à partir d’une tendance de la CFDT restée fidèle à la composante « gauchiste » et « autogestionnaire » de la CFDT des années 70 et hostiles à son tournant social-libéral lors des années 80 et 90.
[15] du fait de la défaite des luttes révolutionnaires et de la fragmentation croissante du salariat.
[16] rapport où le parti se voulait l’instrument indispensable à la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière et le syndicat celui de la conquête de son hégémonie dans la production.
[17] en dehors des épisodes révolutionnaires espagnols (1936-37), hongrois (1956) et tchécoslovaque (1968).
[18] au moins depuis 1933 et l’arrivée d’Hitler au pouvoir qui imposait aux yeux de Staline la nécessité d’une alliance de l’URSS avec les « démocraties » occidentales ; tendance renforcée par le partage du monde en « blocs » convenu à Yalta.
[19] confiante en la possibilité, à travers une conquête progressive et pacifique des institutions, de « démocratiser » la société capitaliste au bénéfice des classes populaires (suivant la voie définie notamment par Bernstein).
[20] Au sens d’un environnement économique fondamentalement instable, où toute situation établie peut être remise en question au gré des décisions des capitalistes, s’opposant à la mobilité comme forme de résistance à l’assignation à vie à un lieu, à une fonction, à une position subalterne dans la hiérarchie.
[21] Professeur d’anthropologie à Paris 8, auteur du livre Le temps des émeutes
[22] Selon l’expression de Georges Marchais évoquant l’expérience de l"ŸURSS en 1979
[23] Acquis dont on ne dit jamais combien ils ont été, au mieux, l’effet de compromis et comment ils portent l’empreinte des défaites et des régressions successives ; reliquats de l’âge d’or du mouvement ouvrier qu’il faut défendre, faute d’horizon révolutionnaire, contre le pire, toujours à venir, à l’exclusion de toute revendication offensive ou mot d’ordre « secondaire ». Ce qui a pour effet à la fois d’inhiber toute réflexion sur un horizon désirable et d’entretenir une confusion sur ce qui est véritablement défendu dans les luttes : aspiration limitée à la conservation d’acquis ou volonté de mettre en échec le management capitaliste en tant que tel, de lui opposer une logique égalitaire. Confusion qui n’est pas l’articulation invoquée entre revendications immédiates et perspective de transformation sociale, mais qui fait fond sur la coexistence chez de nombreux participants aux luttes, d’un « réalisme » désillusionné et d’un radicalisme incantatoire (« Partage du temps de travail, partage des richesses, ou alors ça va péter ! »...)
[24] Qui rejettent certaines mesures mis en place par le gouvernement actuel, telle que le fichage des enfants dans la « base élèves » ou les dispositifs d’évaluation de plus en plus précoces et stigmatisants.
[25] Conséquence d’une aspiration à échapper aux impératifs productivistes, méritocratiques et disciplinaires d’une économie largement tertiarisée, nous assistons à la diffusion du désir et des pratiques de rupture vis-à-vis du salariat et de la culture d’entreprise. Ainsi, on constate un regain d’intérêt pour des coopératives et pour des formes d’activités basées sur l’anti-productivisme. Cependant, ces pratiques ne peuvent se suffire à elle-même. Leur généralisation se confronte à une lutte de l’Etat contre les formes auto-instituées (Loppsi 2) et à une volonté de récupération par le biais de l’institutionnalisation et de l’intégration au processus de valorisation du capital (développement durable).
[26] Lutter contre les politiques qui visent à sanctionner la mauvaise volonté des « demandeurs d’emploi » est une des raisons principales qui ont (re)mis sur pied les collectifs de chômeurs depuis les marches de 2009, prélude à la campagne de mai-juin 2010 baptisée « Grève des chômeurs ». Cette campagne, animée par l’aspiration au libre emploi du temps de la vie, visait à déconstruire l’image du mauvais chômeur (celui qui fait preuve de mauvaise volonté dans ses recherches d’emploi) et la culpabilité qui en découle, chacun étant tenu pour responsable de sa situation. Voilà comment l’ennemi s‘y prend pour dépolitiser une condition partagée par beaucoup, alors que c’est l’économie capitaliste qui produit structurellement du chômage.
[27] Evaluation en Milieu de Travail, devant officiellement permettre à un chômeur qui le désire de « tester » un nouvel espace de travail en vue de se reconvertir, et de plus en plus fréquemment détourné par les entreprises (un exemple parmi d’autres, l’entreprise agroalimentaire Saveol à Brest) avec la complicité de Pôle Emploi, en manne de travail non seulement gratuit (15 jours non payés) mais même rémunérateur (subventions étatiques).
[28] D’aucuns affirmeront que formuler une revendication, c’est reconnaître la légitimité d’un pouvoir qui serait seul à même de la satisfaire. Mais cette objection suppose que l« Ÿalternative réside entre protestation inoffensive et offensive révolutionnaire. Cette position conduit bien souvent, sous couvert de radicalité, à rejeter tout travail de liaison et lui préférer une temporalité faite d »Ÿescarmouches ponctuelles entre de longues plages de retrait.
• Permanence d’accueil et d’information sur le régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle
Envoyez questions détaillées, remarques, analyses à cap cip-idf.org
• Permanence précarité
Adressez témoignages, analyses, questions à permanenceprecarite cip-idf.org
Les lundi de 15h à 17h30
à la CIP, 13 bd de Strasbourg, M° Strasbourg Saint-Denis
Tel 01 40 34 59 74
La coordination a dû déménager pour éviter une expulsion et le paiement de 100 000 € d’astreinte. Provisoirement installés dans un local municipal exigu, nous vous demandons de contribuer activement à faire respecter l’engagement de relogement pris par la Ville. Il s’agit dans les temps qui viennent d’imposer un relogement qui permette de maintenir et développer les activités de ce qui fut un centre social parisien, alors que le manque de tels espaces politiques se fait cruellement sentir.
Pour contribuer à la suite :
• faites connaître et signer en ligne Nous avons besoin de lieux pour habiter le monde.
• indiquez à accueil cip-idf.org un n° de téléphone afin de recevoir un SMS pour être prévenus lors d’action pour le relogement ou d’autres échéances importantes et urgentes.