lundi 28 juillet 2014
Dernière modification : lundi 28 juillet 2014
Ça faisait longtemps qu’on y pensait. Il fallait raconter les permanences de la CIP. On a connu des hauts, des moments de grandes mobilisations, des moments où on se sentait nombreux et heureux. On a connu des bas. Des moments où on était cinq aux AG. Mais des permanences CAP (Conséquences de l’Application du Protocole) il y en a toujours eu [1].
On a interviewé deux d’entre nous qui tiennent la permanence.
On voulait savoir d’abord comment on en arrivait à tenir avec une telle ténacité une activité aussi usante.
D*** :
« Je suis monteuse. J’ai toujours été intermittente. En 2003, face au protocole, j’ai eu l’impression que c’était un monstre qui se dressait devant moi. Je me suis demandé, qu’est-ce que je fais ? J’avais plutôt envie de fuir. De ne pas regarder le monstre en face. Et puis, je me suis dit non. Je veux pas rester médusée. Je vais regarder le monstre. Je veux savoir ce qu’il a dans le ventre. C’est pour ça que j’ai rejoint ceux qui s’attelaient au décryptage du protocole [Unedic]. Ensuite, forcément, comme on connaissait le protocole, on a monté une permanence pour recevoir les intermittents qui avaient des problèmes avec les Assedic. On a commencé à essayer de résoudre les problèmes ensemble. Oui, c’est austère. Des fois, c’est satisfaisant de parvenir à comprendre. C’est très obscur l’Unédic. Mais quand on sort une interprétation du texte qui marche, qui permet à un intermittent de retrouver ses droits, c’est excitant. Et on sait qu’après on pourra utiliser cette arme-là avec les autres cas semblables. En tout cas, je n’ai plus peur. C’est bien, déjà. »
V*** :
Avant 2003, comme tout le monde, j’attrapais les informations qui circulaient, souvent de bouche à oreille, sur le fonctionnement des annexes 8 et 10. Sur ce qu’il fallait faire, pas faire. Je suis chanteuse. Comme je m’occupais aussi de l’administration de ma compagnie, j’avais une idée des règlements, et j’ai toujours ressenti le besoin de comprendre.
Au début du mouvement, en 2003, j’ai un peu erré d’une commission à l’autre. J’avais envie de voir ce que chacun faisait. Et puis ça m’a paru évident de m’approprier Cap. Pour défendre les gens, mais aussi pour les former, pour qu’ils puissent ensuite être armés face à l’Assedic. J’aimais cette activité. C’est très concret. Je ne suis pas une intellectuelle. J’ai toujours appris sur le tas. Ma seule formation, c’est agent de voyage. C’est le boulot que je faisais avant de commencer à chanter. Le chant aussi, je l’ai appris sur le tas. Le fonctionnement de Pôle Emploi, je l’ai appris aussi sur le tas.
Les gens viennent à la permanence quand Pôle emploi refuse de leur ouvrir des droits, ou leur réclame un indu [2]. Quand ils n’ont aucune réponse de Pôle emploi. Quand leur dossier est bloqué. Quand on les bascule au Régime Général. Quand ils ne comprennent pas ce que leur écrit Pôle emploi. Depuis dix ans entre deux à trois milles intermittents qui sont passés à la permanence. Sans compter tous ceux à qui on répond par téléphone ou par mail quand ils sont en province.
Au début, j’ai beaucoup regardé et écouté C*** et D***, qui avaient lancé les permanences. Je ne me sentais pas capable de répondre d’emblée aux intermittents qui exposaient leur problème. Longtemps, j’ai eu peur de leur donner une mauvaise réponse.
Notre méthode, c’est toujours de retourner aux textes officiels. On va chercher dans le code du travail, sur les sites officiels. Il faut toujours aller à la source. La plupart des refus d’indemnisation de Pôle emploi ne sont pas argumentés. Il faut vérifier sur quel texte ils s’appuient et, ensuite, comment il peut être interprété. On a vite compris qu’il y avait toujours plusieurs interprétations possibles des textes. Et qu’il fallait parvenir à faire ressortir l’interprétation favorable pour l’intéressé. À la permanence, on ne prend pas de rendez-vous. On est là. Tous les lundis après-midi.
On a toujours voulu garder un accueil physique des intermittents. D’abord parce qu’on préfère avoir un dialogue direct. Et puis aussi parce que Pôle emploi, c’est ce qu’ils font de moins en moins. Ils dématérialisent la rencontre [3].
Nous voulions aussi aussi que l’accueil des intermittents et l’étude des dossiers soient collectifs. Que tout le monde puisse assister à l’exposition du problème des autres, c’est très important. On demande d’abord à chacun s’il est d’accord pour exposer son cas devant les autres. Tout le monde a toujours accepté cette règle du jeu. Sauf une fois. C’est enrichissant pour tous, ce partage d’expérience. L’idée est aussi d’appendre à chercher ensemble. De partager nos expériences.
Une permanence, c’est une astreinte. Ça doit absolument être régulier. Certains lundis, il n’y a que trois intermittents qui passent. Et d’autres lundis, il y en a quinze qui attendent. On essaye de prendre notre temps. On n’optimise pas l’accueil. Des fois, on voit que les autres qui attendent sont en train de bouillir. Ils veulent exposer leur problème à leur tour. On aime mieux être à deux pour écouter chaque cas. On pourrait croire que c’est du temps perdu : évidemment, si on recevait un intermittent chacune, on travaillerait deux fois plus vite. Mais on préfère recevoir ensemble. Il ne faut pas perdre de vue qu’on n’est pas un service social. On est des militantes. Des fois, on a des doutes. On en parle entre nous.
Des fois, je me demande : s’il n’y avait pas nos permanences, si les intermittents n’avaient vraiment aucun recours, est-ce que les intermittents ne seraient pas plus révoltés ? ça n’aurait pas pété ? On répare les pots cassés des accords débiles de l’Unédic. C’est un paradoxe.
On a aussi mis en place des outils pour que les intermittents puissent s’approprier l’expérience des permanences. Ce sont les livrets « Conséquence de l’application du Protocole » [4]. Tout le monde peut les télécharger. C’est gratuit. La plupart des questions qu’on nous pose y ont leur réponse. Mais on continue toujours à recevoir autant d’intermittents le lundi. Maintenant, beaucoup passent au RSA. Alors on les envoie à la permanence précarité [5]. Avec la nouvelle convention, je me suis intéressée plus précisément au régime général. Il y a une porosité de plus en plus grande avec les annexes 8 et 10.
On recense les types de problèmes abordés chaque lundi. On demande à chacun de nous tenir au courant du succès ou de l’échec de ses démarches. Un suivi. C’est comme ça qu’on accumule de l’expérience. Hélas, peu le font. C’est pénible de sentir que, parfois, les intermittents considèrent notre permanence comme un lieu où on vient consommer de l’aide. Oui, bien sûr, c’est gratuit notre permanence.
On s’est aussi spécialisé. S*** suit maintenant spécifiquement des contrôles mandataires, ceux des intermittents accusés de fraude [6].
Les matermittentes, c’est l’exemple d’un bon fonctionnement. On a découvert que les intermittentes enceintes avaient toutes les mêmes difficultés avec Pôle Emploi et la Sécu. On les a aidées à se rassembler en un seul collectif. Elles se sont collectivement prises en main. La discrimination dont elles sont victimes est reconnue par le Défenseur des droits. Pour autant, les règles qui régissent leur cas n’ont toujours pas changé.
Par contre, elles ont accompagné jusqu’au procès un certain nombre de femmes et gagné en cour d’appel [7].
C’est vrai, quand on parvient à rouvrir des droits à quelqu’un qui n’en avait plus depuis trois ans, ça nous rend heureuses. C’est bien la preuve qu’on était dans notre bon droit. Ça nous relance. On peut faire face.
Exemple de lettre reçues aux permanences : Lettre ouverte et écorchée à tous ceux qui estiment qu’avec 456 euros par mois nous parasiterions la société française.
Cet article est paru dans L’interluttants n° 33, été 2014
[1] CAP : Conséquences de l’Application du Protocole Unedic.
[4] Les règles de l’indemnisation chômage des intermittents du spectacle et leurs pièges - Manuel CAP
[6] Voir Cap au pays des contrôles
[7] Le blog des Matermittentes