lundi 4 avril 2016
Dernière modification : lundi 4 avril 2016
Qu’est-il arrivé ce 31 mars 2016 ? Sous couvert d’une opération de « mise à l’abri », comme l’appelle la communication de la Mairie de Paris, des migrants ont été raflés et se sont retrouvés emprisonnés en centre de rétention.
Jeudi 31 mars, nous avons appris vers 2h du matin qu’une rafle avait eu lieu à La Chapelle à 11h du matin.
L’info nous est parvenue grâce à Hikmat, un jeune afghan qui, suite à l’évacuation de mercredi, s’était retrouvé dans une église à 2h de Paris avec 6 autres demandeurs d’asile.
En l’absence de prise en charge, et après avoir attendu en vain, ils avaient décidé de repartir. Le lendemain à La Chapelle, la police est venue à 11h pour les embarquer pour un « controle d’identité ».
Ils et elles étaient 30. Du commissariat de Marcadet-Poissonniers ils ont été transférés à celui de la rue de Clignancourt. Si Hikmat à pu sortir avec son récépissé de demande d’asile au bout de 4h, nous n’avons pas, ce 1er avril à midi, de nouvelles des autres.
La présence d’un mineur parmi eux a été confirmée. A 16h, nous apprenons que 11 sont en centre de rétention à Vincennes.
Rappelons que les méthodes de gouvernance expérimentées sur les réfugiés, invisibilisation, parcellisation des cas, arbitraire du traitement social, répression policière ou judiciaire devant la moindre tentative de traduction politique des revendications, ressemblent à celles que subissent tou.te.s les précaires. Et sans refus et résistance collective, elles risquent bien d’être des formes de gestion des populations appliqués pour tous.
Depuis quelques mois, le travail de la police parisienne consiste à
violenter les exilé-e-s pour les empêcher de se regrouper ou à escorter
les salarié-e-s de l’humanitaire pour évacuer les campements qui ont
malgré tout pu se former.
Évacuer ces campements, cela signifie encercler les migrant-e-s puis les
faire monter dans des bus pour les emmener dans des hébergements,
souvent lointains, dont, à part les organisateurs et organisatrices de
l’expulsion, la préfecture, la mairie et les humanitaires, personne ne
sait rien : ni les lieux, ni la durée ni les conditions d’accueil et de
vie.
A Paris, c’est Emmaüs, qui assure le volet humanitaire, l’association
étant en autre missionnée pour le « diagnostic social des campements », comme ils disent. Donc, lors des évacuations, il y a toujours Emmaüs.
Parfois il y a aussi des bus de la BAPSA (Brigade d’Assistance aux Personnes Sans-Abri, qui dépend de la Préfecture de Police) pour conduire les réfugiés vers les centres de la Boulangerie ou celui de Nanterre. Cette Brigade
est un service de police qui n’est censé intervenir que sur demande d’un commissariat, d’une mairie ou du Samu social pour emmener les personnes en grande difficulté vers des hébergements pour une nuit.
Ce jeudi 31 mars, au métro Stalingrad, alors qu’une vingtaine de flics
contrôlaient trente migrants, Emmaüs était là, et notamment le salarié
qui coordonne les opérations de diagnostics et d’évacuation.
L’interprète et la BAPSA étaient également de la partie. Bien sûr, les
flics étaient très agressifs, ils s’en prenaient à toute personne qui
posait des questions et ils ont même essayé de rattraper deux migrants
qui, profitant d’un moment d’inattention, se sont enfuis en courant. Mais
à part ça tout semblait en place pour que le camion BAPSA prenne la
direction d’un hébergement d’urgence. Seulement cette fois, en guise
d’hébergement, c’est le commissariat de la rue de Clignancourt qui a été
proposé aux réfugiés, puis, pour quinze d’entre eux, le centre de
rétention de Vincennes, la prison où on enferme les personnes sans
papiers pour les expulser.
Parmi les migrants interpellés, plusieurs revenaient d’une église située
à deux heures de Paris où la veille, lors de la grande opération
d’évacuation pour laquelle la mairie se vante d’avoir hébergé plus de
800 personnes, la police les avaient conduits, mais où rien ni personne
ne les attendait. Ils étaient donc revenus au point de départ,
l’endroit qu’ils connaissent, où ils se retrouvent, où on les a aidés,
Stalingrad, y retrouvant sans doute quelques unes des 100 personnes
laissées sur le carreau la veille. Parmi les migrants raflés ce jeudi 31
mars juste parce qu’ils étaient là, à Stalingrad, à côté de l’ancien
campement maintenant entièrement grillagé pour éviter toute
réinstallation, il y avait aussi un mineur reconnu par l’Aide Sociale à l’Enfance qui, lui aussi, a atterri au centre de rétention, et plusieurs personnes ayant
entamées leurs démarches de demande d’asile.
Les personnes arrêtées ce jour là sont pour la plupart sorties ce
week-end sur décision préfectorale (on ne peut par exemple placer en rétention un mineur ou une personne en cours de demande d’asile) ou
après passage devant le tribunal administratif grâce à des recours faits
par l’ASSFAM (Association Service Social Familial Migrants). Certains sont encore enfermés et verront le ou la juge du tribunal administratif lundi 4 avril dans l’après-midi.
Serait-ce donc les nouvelles stratégies des autorités parisiennes pour
faire disparaître les migrants et migrantes des rues de la ville et
empêcher toute lutte et visibilité ? Peut-être faudrait-il arrêter de
considérer que la présence d’Emmaüs ou de la BAPSA ou la couleur rose de
la Mairie de Paris sont synonymes d’hébergement d’urgence.
Il faut aussi regarder ce qui se passe ici dans un contexte européen.
En moins de 24 heures, des lieux estampillés « Centres d’accueil » se sont
transformés en « Centres de rétention ». La Turquie est devenue le meilleur
allié de l’Union européenne en sous-traitant les expulsions vers des
pays en guerre tels que l’Afghanistan ou la Syrie. L’Etat français vient
d’ailleurs d’envoyer 122 fonctionnaires de police en Grèce qui
participeront à l’effort de guerre contre les migrants et migrantes.
En l’absence de toute réflexion sur la question du contrôle et de la
liberté de circulation, en l’absence d’organisation collective autre
qu’humanitaire et en l’absence d’auto-organisation des migrants et
migrantes qui se retrouvent coincé-e-s ici ou en attente de réponse à
leur demande d’asile, nous sommes malheureusement contraint-e-s de subir
tout changement de stratégie politique des gouvernant-es et de leurs
auxiliaires. Face à cela, continuons à essayer de nous organiser et au
minimum réagissons partout où nous sommes, contre les rafles et la
chasse aux pauvres et aux étranger-ère-s.
• Sur l’évacuation du mercredi 30 mars au métro Stalingrad, on peut lire
Les migrant.e.s à C’est comme ça Land / Stalingrad 2, Evacuation numéro 27 mercredi 30 mars 2016 par Houssam El Assimi
• Sur la transformation des « hot spots » de l’Union européenne en camps de détention fermés, consulter régulièrement le site du réseau Migreurop.
• Quatre numéros de Merhaba, journal des migrants (Mise à jour : avril 2016)